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Le Français Benjamin Brière, nouvelle victime de la diplomatie des otages de l'Iran

Accusé d'espionnage et de propagande, le touriste a été condamné à huit ans et huit mois de prison après un an et demi passé dans les geôles iraniennes. En pleines négociations sur le nucléaire, l'Iran accentue sa pression sur les pays occidentaux.

Condamné à huit ans de réclusion, Benjamin Brière avait été arrêté il y a un an et demi en Iran. | Compte Twitter de Saeid Dehghan / AFP 
Condamné à huit ans de réclusion, Benjamin Brière avait été arrêté il y a un an et demi en Iran. | Compte Twitter de Saeid Dehghan / AFP 

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«C'est une mascarade», dénonce son avocat après l'annonce de la condamnation de Benjamin Brière en Iran. Près d'un an et demi après son arrestation à la frontière iranienne avec le Turkménistan, le Français de 36 ans a été entendu pour la première fois par un tribunal révolutionnaire iranien, jeudi 20 janvier.

À l'issue d'un procès expéditif, l'homme a été condamné à huit ans de prison pour espionnage et huit mois supplémentaires pour propagande contre le régime. Son tort? Avoir pris des photos, avec un drone, de «zones interdites» situées dans un parc naturel, et avoir critiqué sur les réseaux sociaux l'obligation du port du voile pour les Iraniennes, alors qu'il voyageait dans le pays à bord de son van.

Depuis dix-huit mois déjà, Benjamin Brière est retenu dans les geôles iraniennes. Il a entamé en décembre une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. «On n'a eu la date du procès que quarante-huit heures avant», raconte son avocat, Philippe Valent. «Aucun élément de l'accusation n'a été fourni à la défense avant le procès. On ne savait même pas avec exactitude la nature des griefs qui lui seraient reprochés avant les réquisitions de peine.»

«Les juges du tribunal révolutionnaire iranien ne sont pas des juges, ajoute l'avocat, mais des Gardiens de la révolution [organisation paramilitaire ne répondant qu'au Guide suprême, Ali Khameini, ndlr], il n'y a aucun élément à charge, aucune possibilité de se défendre: ce n'est qu'un procès politique.» «Cette condamnation, que rien ne permet d'étayer, est inacceptable», a réagi le ministère français des Affaires étrangères.

Des motifs fallacieux

Benjamin Brière est un otage de plus dans l'arsenal diplomatique iranien. D'autres ressortissants occidentaux croupissent également dans les geôles iraniennes pour des accusations aussi vastes et floues qu'«espionnage», «propagande», «complot visant à renverser le gouvernement iranien» ou «collusion en vue de porter atteinte à la sécurité nationale»… «Des charges assez classiques avancées par les Iraniens quand ils veulent prendre des Occidentaux pour faire pression sur des pays», souligne Étienne Dignat, chercheur en science politique et auteur de l'article «Iran: la diplomatie de l'otage», paru dans la revue Esprit.

C'est le cas de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, retenue en Iran depuis 2019 et condamnée à cinq ans de prison pour collusion en vue de porter atteinte à la sécurité nationale et propagande contre le système. «D'habitude, ils arrêtent des gens qui ont la double nationalité, car l'Iran ne reconnaissant pas la double nationalité, ils n'ont pas d'accès consulaire», explique Farid Vahid, directeur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès et spécialiste de l'Iran. Sauf que Benjamin Brière est franco-français.


Otage contre libération d'agents du régime iranien?

«Ils vont probablement chercher à monnayer sa libération contre un besoin qu'on ne connaît pas à ce stade», confie Philippe Valent. La question d'un possible échange de prisonniers aurait été évoquée pendant son procès. Le chercheur français Roland Marchal, arrêté en même temps que sa collègue Fariba Adelkhah en 2019, avait été relâché de cette manière en mars 2020, quelques heures après que la France eut renvoyé l'ingénieur iranien Jalal Rohollahnejad à Téhéran, et ce malgré la demande d'extradition des États-Unis.

Le sort de Benjamin Brière semble inextricablement lié à l'avancée des négociations pour un retour des États-Unis dans l'accord sur le nucléaire iranien.

La monnaie d'échange, cette fois-ci, pourrait se trouver non en France mais en Belgique, où est incarcéré le diplomate iranien Assadollah Assadi, condamné en février 2021 à vingt ans de prison pour avoir projeté un attentat contre le groupe dissident des moudjahidines du peuple près de Paris, en juin 2018. Téhéran n'a de cesse de réclamer sa libération.

«La diplomatie des otages de l'Iran date de 1979 et de la crise des otages de l'ambassade des États-Unis, dont les employés ont été retenus pendant 444 jours», retrace Etienne Dignat. «Cette pratique a perduré, mais de manière moins violente et plus insidieuse. Une cinquantaine d'étrangers et binationaux ont ainsi été arrêtés pendant la dernière décennie sous prétexte d'espionnage ou d'atteinte à la sûreté de l'État, dont certains ont finalement été libérés après des concessions obtenues par Téhéran, dans ce qui ressemble à des négociations d'otages

Pour certains, la détention peut être longue. C'est le cas pour l'Irano-Britannique Nazanin Zaghari-Ratcliffe, emprisonnée en Iran depuis 2016 et dont la liberté semble conditionnée au remboursement par le Royaume-Uni d'une dette de 400 millions de livres (464 millions d'euros) liée à un contrat d'armement datant… d'avant la Révolution iranienne de 1979.

Un pion dans le jeu des échecs nucléaires

Le sort de Benjamin Brière semble également lié de façon inextricable à l'avancée des négociations pour un retour des États-Unis dans l'accord sur le nucléaire iranien, duquel Donald Trump s'était retiré unilatéralement en 2018 et que son successeur Joe Biden tente de réintégrer avec la participation au processus de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Chine et de la Russie.

En témoigne l'enchaînement des événements. Son procès s'est tenu le 20 janvier après dix-huit mois d'attente. Quelques jours plus tôt, l'anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah a été renvoyée en prison au motif qu'elle n'aurait pas respecté son assignation à résidence. Elle vivait depuis octobre 2020 en résidence surveillée. Au même moment, les négociations entraient dans leur phase finale à Vienne –ce n'est qu'une question de «semaines» avant qu'elles n'aboutissent, jugeait encore récemment Washington.

Selon les dernières déclarations de Robert Malley, l'émissaire spécial des États-Unis pour l'Iran, les Américains chercheraient en parallèle à libérer quatre de leurs ressortissants binationaux «retenus en otage par l'Iran». «Si les États-Unis respectent les accords déjà signés, cette question pourrait être résolue avec une approche humanitaire», a répondu le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh.

«Il faut voir ce chantage diplomatique comme une stratégie de pression maximale alors que l'Iran se trouve en position de faiblesse car sous le coup de sanctions économiques», éclaire Farid Vahid. «C'est une carte de plus pour mener les négociations.» En ce qui concerne Benjamin Brière, «la France, selon les responsables iraniens, a toujours eu un rôle de “bad cop” dans les négociations sur le nucléaire; c'est une façon de l'inciter à ne pas être trop dure en affaires».

L'Iran avait déjà usé et abusé de ce type de pratique au moment des négociations menant à l'accord sur le nucléaire de 2015. L'accord signé, Téhéran avait libéré dès sa mise en place en janvier 2016 quatre prisonniers irano-américains en réponse à la levée des sanctions internationales. Parmi eux, le journaliste du Washington Post Jason Rezaian.

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