Société

L'inaction de Benoît XVI en question dans une nouvelle affaire de pédocriminalité au sein de l'Église

À différents moments de sa vie religieuse, l'ancien souverain pontife aurait fermé les yeux sur des viols et des agressions sexuelles.

Le pape Benoît XVI, au cœur de ce nouveau scandale autour d'actes pédocriminels commis dans l'Église. | Vincenzo Pinto / AFP
Le pape Benoît XVI, au cœur de ce nouveau scandale autour d'actes pédocriminels commis dans l'Église. | Vincenzo Pinto / AFP

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C'est une nouvelle bombe qui vient d'exploser au sein de l'Église catholique. Le 20 janvier dernier, le cabinet d'avocats bavarois Westpfahl Spilker Wastl (WSW) a remis un rapport accablant sur les actes pédocriminels commandé par le diocèse de Munich. Selon les 1.000 pages de ce document, qui couvre la période allant de 1945 à 2019, 235 prêtres, diacres et laïcs missionnés ont agressé sexuellement au moins 497 victimes. Signe particulier: Joseph Ratzinger, l'ancien pape Benoît XVI (de 2005 à 2013), aurait couvert quatre prêtres violeurs alors qu'il était archevêque de Munich entre 1977 et 1982.

Durant son court épiscopat bavarois, Joseph Ratzinger aurait eu notamment connaissance du passé de deux prêtres pédocriminels et n'aurait guère enquêté. L'un d'eux fut même remis au contact de jeunes, et de nouveau condamné en 1986. Sollicité pendant l'enquête, l'ancien pape allemand a rédigé un témoignage de quatre-vingts pages dans lequel il nie «strictement» toute responsabilité, ce qui n'a guère convaincu les enquêteurs.

Lors de la présentation de ce rapport, l'un des rédacteurs affirma même que Joseph Ratzinger «peut être accusé de mauvaise conduite». Depuis, l'ancien pape a précisé son témoignage, reconnaissant avoir assisté à une réunion durant laquelle le cas de ce prêtre fut évoqué.

Aucun archevêque de Munich durant cette période n'est épargné, y compris le cardinal Reinhard Marx, en poste depuis 2007. Ce proche du pape François avait d'ailleurs présenté sa démission en juin 2021, laquelle fut finalement refusée par le pape François. Ce 20 janvier, le cardinal Marx a présenté ses «excuses» et encouragé la poursuite du «chemin synodal». Cette démarche de réflexion collective entamée en 2019 fait suite à un précédent rapport sur les actes pédocriminels dans l'Église et devrait s'achever à l'automne 2023.

De son côté, Georg Bätzing, président de la Conférence épiscopale allemande et évêque de Limbourg, a confié sa «honte». Citant l'ancien pape Benoît XVI, il a affirmé dans une homélie que «les dissimulations et les couvertures [avaient] duré assez longtemps». Quant au Vatican, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège a exprimé «sa proximité avec toutes les victimes», redisant «son sentiment de honte et de remords» et son souhait d'étudier le rapport bavarois.

Effet domino

L'année 2022 démarre donc mal pour l'Église catholique, déjà ébranlée par les scandales et les multiples rapports sur les agressions sexuelles commises par le clergé. Et cela devrait se poursuivre. Après la publication du rapport Sauvé en octobre dernier, des voix se sont élevées au Portugal et en Espagne pour réclamer semblable démarche.

Si les évêques portugais sont bien décidés à faire la lumière sur les actes commis par le clergé, les évêques espagnols sont plus réticents, et il fallut une enquête du journal El País pour les contraindre. D'après le quotidien espagnol, entre 1943 et 2018, au moins 251 clercs auraient fait 1.257 victimes dans le pays. Cette enquête fut envoyée à François.

Pour le vaticaniste Marco Politi, il s'agit d'une «page noire du pontificat de Ratzinger».

Le lendemain du rapport incriminant son prédécesseur, François a demandé lors d'une audience à la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Saint-Office) de «rendre justice aux victimes d'abus» commis par des ecclésiastiques. Il n'a pas fait mention de l'ancien pape Benoît XVI, qui fut préfet de cette même Congrégation (1982-2005) avant son élection à la papauté. À cette place, Joseph Ratzinger eut connaissance de tous les scandales d'agressions sexuelles, ceux-ci remontant directement à la Congrégation pour la doctrine de la foi.

C'est ainsi qu'il apprit les horreurs perpétrées par le fondateur des Légionnaires du Christ, Marcial Maciel Degollado, protégé par Jean-Paul II. Une fois élu pape, Benoît XVI prit les premières mesures à l'encontre du fondateur, aujourd'hui considérées comme insuffisantes. En effet, Marcial Maciel ne fut pas poursuivi, ni même renvoyé de l'état clérical, tout cela en raison de son âge. Pour le vaticaniste Marco Politi, il s'agit d'une «page noire du pontificat de Ratzinger».

Le pape François en difficulté

De fait, il est difficile pour François de s'exprimer sur son prédécesseur, lequel vit toujours au sein du Vatican. Ce serait jeter de l'huile sur le feu. Il faut noter que ses plus ardents critiques proviennent souvent de cercles proches de l'ancien pape. Ceux-ci considèrent que le pape argentin rompt avec ses prédécesseurs et brade la doctrine. Sur les agressions et viols perpétrés par des membres du clergé, les mêmes estiment, avec l'ancien pape allemand, qu'ils sont la conséquence de la libération des mœurs dans les années 1960.

Les scandales et leurs gestions seront au cœur des discussions de pré-conclave, tant leurs répercussions n'en finissent pas d'affaiblir l'Église.

Par ailleurs, François est aussi soupçonné d'avoir couvert des agressions cléricales commises dans un institut pour enfants sourds-muets lorsqu'il était cardinal-archevêque de Buenos Aires entre 1998 et 2013. Il a aussi nommé l'évêque Gustavo Oscar Zanchetta à l'Administration du patrimoine du Siège apostolique (APSA). Or, ce proche du pape doit être jugé en Argentine en février pour agressions sexuelles sur deux séminaristes.

Même si le pape jésuite a modifié le droit canonique pour que les évêques ayant couvert des actes répréhensibles soient punis, ces mesures ne paraissent pas suffisantes au regard des scandales qui minent chaque jour davantage l'Église catholique. Ni réforme du système ni changement en profondeur de la gouvernance de l'Église ne sont proposés.

Année charnière

L'année 2022 est pourtant une étape importante pour l'Église catholique. François devrait, en effet, promulguer une nouvelle constitution réformant la curie. Annoncée depuis 2013, elle fut maintes fois repoussée, notamment en raison de la crise sanitaire. Certes, le pape latino-américain a déjà commencé à restructurer ses services, mais il semble à la peine. La réforme de la curie avait pourtant été réclamée par les cardinaux lors du dernier conclave.

Autre point, le synode sur la synodalité qui se déroulera en octobre 2023. Depuis l'automne 2021, le processus est enclenché, mais beaucoup de difficultés demeurent dans les paroisses et les diocèses, où certains fidèles se demandent ce qu'on attend d'eux. Il s'agit pourtant de réformer les pratiques de l'Église, en accordant davantage de place aux laïcs.

Enfin, François, qui vient de fêter ses 85 ans, devrait créer une dizaine de cardinaux d'ici à la fin de l'année, afin que le collège élisant le pape atteigne le chiffre canonique de 120 cardinaux électeurs de moins de 80 ans. En 2023, ce seront une dizaine d'autres cardinaux qui devraient être créés. Plus des deux tiers du collège cardinalice seraient alors composés de prélats voulus par François, assurant ainsi une certaine continuité avec son pontificat d'ores et déjà perçu comme rénovateur.

Assurément, les scandales et leurs gestions seront au cœur des discussions de pré-conclave, tant leurs répercussions n'en finissent pas d'affaiblir l'Église. Ne pas les traiter à la racine pourrait apparaître, en définitive, comme une page noire du pontificat de François.

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