Parents & enfants / Santé

«J'ai peur d'être comme ma mère»: sommes-nous prédestinés à ressembler à nos parents?

Traits physiques, mimiques, habitudes… Il se peut que vous releviez de plus en plus de ressemblances entre eux et vous. Si pour fuir cette idée vous avez décidé d'adopter le comportement inverse, désolé, mais c'est une (très) mauvaise idée.

<em>«Plus je vieillis et plus j</em><em>'</em><em>ai l</em><em>'</em><em>impression de ré</em><em>cup</em><em>érer certaines de ses attitudes qui m'horripilent.</em><em>» </em>| Andrea Piacquadio <a href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/joyeuse-fille-adulte-salutation-heureuse-mere-senior-surprise-dans-le-jardin-3768131/">via Pexels</a>
«Plus je vieillis et plus j'ai l'impression de récupérer certaines de ses attitudes qui m'horripilent.» | Andrea Piacquadio via Pexels

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Léa déteste la manière de parler de sa mère, qu'elle trouve parfois trop autoritaire. Mais rien n'y fait: «Plus je vieillis et plus j'ai l'impression de récupérer certaines de ses attitudes qui m'horripilent», se désole-t-elle. Si vous êtes dans la trentaine, il se pourrait que vous ayez déjà ressenti aussi ce sentiment de malaise. Selon une étude menée par un chirurgien britannique auprès de 2.000 personnes, 52% des sondés ont le sentiment d'avoir commencé à ressembler à leurs parents entre 30 et 35 ans.

Comme l'explique le psychiatre et thérapeute familial Robert Neuburger, ce n'est pas un hasard: cette moyenne d'âge correspond à la venue du premier enfant, ou du moins, au questionnement d'en avoir. «Le fait de se retrouver parent va nous pousser à nous poser des questions: soit je veux faire comme eux car ils se débrouillaient très bien, soit au contraire, je ne veux surtout pas reproduire ce qu'ils ont fait», analyse l'auteur du livre Les Territoires de l'intime.

Devenir comme eux

Christelle a vécu cette angoisse de ressembler à sa mère au moment où elle a eu son premier enfant: «Ma plus grande peur était d'avoir une fille, car je ne savais pas si j'allais pouvoir avoir la force de casser le schéma destructeur et toxique des relations mère/fille. Ma mère a toujours eu une relation très compliquée avec sa mère, et le schéma s'est reproduit avec moi. Elle n'a clairement pas assuré en tant que maman.»

Natacha, qui n'a pas encore d'enfant, exprime une inquiétude similaire: «Physiquement, nous ne sommes pas très semblables, donc ça ne me fait pas peur, mais elle est très anxieuse. J'en ai hérité et je fais une psychanalyse depuis trois ans pour m'en défaire; je n'ai pas envie d'avoir la même vie, et je ne veux pas transmettre ce trait à mes enfants.»

La parentalité, ou le désir d'être parent, n'est pas le seul élément déclencheur. Comme l'explique la psychologue Laurence Lemoine, «le fait d'atteindre l'âge de nos parents tels qu'on les a connus quand on était enfant est un vecteur d'identification. Tout ce qui nous rapproche de leur statut d'adulte peut nous amener à nous comparer à eux: avoir un travail, s'installer en couple, vivre sa vie… Devenir adulte, tout simplement.» Ce n'est donc peut-être pas un hasard non plus si Natacha a commencé à angoisser au moment où elle prévoyait de s'engager avec son conjoint, en regardant les achats de maison et d'appartement.

Un processus psychologique inconscient

S'il y a plus de probabilités de vivre un retour aux sources autour de la trentaine ou lors de certaines étapes clefs de notre vie, la peur de ressembler à ses parents, elle, est très précoce, et se fait le plus souvent inconsciemment, explique Robert Neuburger: «Avant l'âge de 5 ou 6 ans, nous n'avons pas d'autre modèle que nos parents. Or, il faut que l'enfant puisse se structurer: il observe énormément son père et sa mère et tente de les imiter. Cette imitation débouche sur une identification à ses parents.»

«Les femmes, surtout au moment où elles deviennent parent à leur tour, ont peur de devenir la femme obsolète qu'était leur mère, une femme peu épanouie.»
Laurence Lemoine, psychologue

Puis vient l'adolescence, qui marque généralement une marche arrière dans le processus. Il n'y a plus d'idéalisation des parents comme c'était le cas pendant l'enfance. L'idéalisation fait place à la rébellion. «On va essayer d'adopter un comportement qu'on estime très différent de celui de notre mère ou de notre père, poursuit le psychothérapeute de famille. On va se dire qu'il faut que j'existe en tant que moi”, que je dois me distinguer de ce que mes parents m'ont apporté. Cette phase peut durer très longtemps, certains sociologues estiment même qu'elle se termine vers la trentaine.»

L'identification à ses parents ne suit pas forcément la logique du genre: une femme peut s'identifier fortement –en bien ou en mal– à son père, et inversement pour un homme. Néanmoins, les hommes expriment généralement «la peur d'être aussi durs que leur père, trop autoritaires, de manquer de bienveillance ou de capacité d'écoute, explique Laurence Lemoine. Les femmes, elles, surtout au moment où elles deviennent parent à leur tour, ont peur de devenir la femme obsolète qu'était leur mère, une femme peu épanouie. Elles craignent que la maternité ne leur enlève un certain nombre de conquêtes. Ces angoisses et ces conflits intérieurs sont souvent justifiés, en fonction du modèle parental vécu.»

Hériter de la patate chaude

Finalement, le fait de ressembler à ses parents n'est pas un problème en soi, explique la psychanalyste et thérapeute familiale. Ce qui est compliqué à gérer pour certaines personnes, c'est de reconnaître chez elles certains traits physiques ou de caractère avec lesquels leurs parents n'étaient pas à l'aise eux-mêmes.

«C'est comme si on héritait de la patate chaude. Une patate chaude dont on ne sait pas se débrouiller, car nous n'avons pas vu nos parents savoir le faire. Le fait de ne pas avoir le mode d'emploi peut nous laisser démunis et créer de l'angoisse», analyse la psychologue. Cela peut être particulièrement douloureux pour les personnes victimes de parents maltraitants, effrayées par l'idée de reproduire le même type de violences verbales ou physiques.

Avoir l'impression de ressembler à ses parents, c'est aussi reconnaître que l'on vieillit, que le champ des possibles se rétrécit, que tout ce que l'on pensait faire a moins de probabilités de se réaliser un jour. C'est une angoisse bien connue de tout le monde. En revanche, sur le plan physique, hommes et femmes ne sont pas égaux: «Aux hommes, on dit qu'ils se bonifient avec le temps. On ne leur reproche pas d'être moins fermes ou moins frais les années passant. Il est difficile d'accepter de vieillir pour une femme si sa propre mère a mal vécu cette transformation», développe Laurence Lemoine.

Comme le fait remarquer Robert Neuburger, «ce sont rarement les personnes elles-mêmes qui vont se dire que telle ou telle chose n'est pas aimable chez elle. Ce sont plutôt des gens de l'extérieur qui vont leur faire passer un message.» S'il est plus facile de relativiser les commentaires de parfaits étrangers, ceux des personnes dont on est proches, comme nos parents, nos amis ou notre conjoint, peuvent nous marquer au fer rouge, positivement ou négativement.

À l'âge de 30 ans, Tiphaine a décidé de réaliser une rhinoplastie pour modifier son nez. Sa mère lui répétait à longueur de temps: «Il n'y a pas que le nez de ton père que tu as pris, tu as aussi hérité de son caractère de merde.»

Pour vous émanciper, acceptez-vous

Quand nous sommes critiques à notre égard, l'un des premiers réflexes communs est de blâmer ses parents. Mais est-ce réellement justifié? «On pense souvent que c'est de l'ordre de l'héritage, ce qui est vrai en partie; l'éducation compte beaucoup dans ce qu'on devient», admet Laurence Lemoine.

Le deuxième réflexe serait d'adopter un comportement totalement inverse à celui de ses parents, ce qui n'est pas forcément un signe d'émancipation: «Reproduire le comportement de ses parents est une forme de dépendance, tout comme s'y opposer, car ce n'est pas une position personnelle mais une position contre sa mère ou son père. C'est peut-être même un comportement encore plus dépendant car on ne s'en rend pas compte», avance Robert Neuburger.

Dans un cas comme dans l'autre, nous sommes encore dans la phase de rébellion de l'adolescence, et non dans l'âge adulte, qui marque une réelle prise de distance vis-à-vis de ses parents et de leur héritage, aussi négatif soit-il. Laurence Lemoine parle de «processus d'individuation»: «Ce processus mène à la capacité de se définir par soi-même, de prendre la responsabilité de ses propres choix de vie, de voir la réalité de qui on est vraiment, une personne avec ses propres qualités et ses propres défauts. Plus on est capable de faire ça, plus on est capable de le faire aussi pour ses parents. Nous ne sommes alors plus dans le reproche, et les douleurs liées aux ressemblances s'apaisent.»

Ce processus vient naturellement avec le temps, parfois en travaillant sur soi-même en thérapie, ajoute la psychologue. Cela étant, chaque cas est unique, comme le précise Robert Neuburger. Et s'il n'est pas évident de se défaire de certains traits, la solution serait peut-être de voir comment s'en servir positivement, en faisant le choix de prendre le bon pour laisser le mauvais.

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