Société

Mais de quoi parlent les femmes pour rester si longtemps au téléphone?

[BLOG You Will Never Hate Alone] Mes conversations téléphoniques durent trois minutes. Celles de ma femme, trois heures.

Les hommes font dans l'utilitaire, les femmes dans le relationnel. | Quino Al <a href="https://unsplash.com/photos/8gWEAAXJjtI">via Unsplash</a>
Les hommes font dans l'utilitaire, les femmes dans le relationnel. | Quino Al via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes

Avant toute chose, une petite mise au point: cette chronique est le fait d'un homme hétérosexuel qui n'entend rien aux canons de son époque. Engoncé dans des habitudes culturelles qui remontent à un lointain passé, il n'a toujours pas réalisé que le monde qui était le sien n'avait plus cours. Abandonné à son triste sort, il continue à empiler des poncifs d'une telle inanité que mieux vaut le laisser à ses divagations que d'essayer de le raisonner. Voici donc l'une de ses pensées rassises.

Au risque de me faire lyncher sur la place publique, j'affirme ici que sitôt qu'il s'agit de conversations téléphoniques, les femmes sont des bavardes impénitentes là où les hommes demeurent des interlocuteurs taciturnes, adeptes d'échanges courts et brefs. Les femmes causent, discourent, papotent; les hommes grommellent, marmonnent et raccrochent au bout de deux minutes.

Les hommes vont droit au but, ils font dans le concret, le tangible, le précis, le fonctionnel, l'utilitaire. Les femmes, elles, louvoient, dissertent, échangent, s'interpellent, s'écoutent l'une l'autre. Les hommes non. Ils ont mieux à faire comme de s'abrutir devant la télé ou emmerder le chat. Ils parlent au téléphone comme ils font la cuisine: sans fioritures. Une eau qui bout, un paquet de pâtes qui s'y déverse, une noix de beurre qu'on rajoute et c'est prêt. Dégueulasse mais prêt.

Tandis que les femmes, quand elles commencent à causer au téléphone, c'est sans fin. Elles partent d'un point A, bifurquent tout de suite sur leur droite, empruntent un long couloir de bus, font trois fois le tour du carrefour, reviennent sur leurs pas, tournent subitement à gauche, se tapent une heure de bouchons, s'essayent au surplace, et lorsqu'elles finissent par raccrocher, la nuit est tombée quand ce n'est pas l'aube qui pointe le bout de son nez.

Moi par exemple, quand ma compagne appelle sa mère, j'ai le temps de descendre faire les courses, de boire un café, de passer à la bibliothèque, de commander un gâteau, de chercher un colis à la poste, de boire un deuxième café, de papoter avec la pharmacienne, de jouer avec le chien de la voisine et quand je remonte, trois heures plus tard, je la retrouve dans la même position où je l'avais quittée: allongée sur le canapé à échanger d'interminables palabres avec belle-maman.

Je n'ai jamais compris de quoi elles pouvaient bien parler. Ce n'est pas comme si nous menions des vies trépidantes où chaque jour serait une aventure à elle toute seule. C'est même tout le contraire: il ne se passe jamais rien dans nos vies. Ou alors il faudrait considérer que de trouver de la raclette importée de Suisse représente une source d'étonnement telle qu'on mérite d'en parler pendant trois heures.

À titre d'exemple, j'appelle mon père une fois par mois. Il vit en maison de retraite. Moi pas encore, même si ma vie ressemble à s'y méprendre à celle d'un pensionnaire d'Ehpad. Nos conversations durent trois minutes, montre en main:

– Allo Papa, c'est moi.
– Oui, ça va?
– Ça va. Et toi?
– Ça va.
– La santé?
– Ça va.
– Et à part ça?
– Pas grand-chose. Et chez vous ça va?
– Oui.
– Bon.
– Bon.
– Tu as de l'appétit?
– Oui.
– Tu sors tous les jours?
– Oui, oui, je vais acheter le journal et je vais prendre un café après.
– Bon.
– Bon.
– Bon, ben, à la prochaine alors.
– D'accord. Merci d'avoir appelé.
– Je t'embrasse.
– Oui moi aussi.

Quelle serait la réaction de mon père, si comme cela, au débotté, je lui disais: «Au fait, grande nouvelle, on a trouvé une épicerie qui vend de la raclette importée de Suisse, du coup l'autre soir, on a invité à dîner les B., tu sais, les amis des D., j'avais sorti les rallonges parce que sinon, tu sais comment elle est petite notre table, donc ouais, j'ai sorti les rallonges et comme ça, j'ai pu installer l'appareil à raclette au milieu tu vois, non parce qu'en fait, le problème c'est que la prise électrique, celle de notre cuisine, elle se trouve trop de loin de la table, si bien qu'en temps normal, je suis obligée de rapprocher la table mais quand je fais ça, je condamne une place, tu vois, celle qui est près de la fenêtre, bon donc...»

Probablement qu'il appellerait les flics. Ou raccrocherait. Ou changerait de numéro.

Ce qui est vrai avec mon père l'est tout autant avec mes amis ou mon frère. Il peut s'écouler des mois sans qu'on se parle. Une année entière. À quoi bon s'appeler? Je n'ai rien de spécial à leur raconter, eux non plus et si j'ai des choses à leur dire, je ne me vois guère le faire via la froideur d'un combiné téléphonique. J'attendrai de les voir en chair et en os.

Les femmes, elles, n'ont pas ce genre d'états d'âme. Même si elles n'ont rien de palpitant à raconter, par je ne sais quel sortilège, elles trouvent toujours un moyen de nourrir le feu de la conversation. Elles parlent de tout et de rien, détricotent leur vie, confient leurs doutes et leurs secrets, s'épanchent, se laissent aller. Les hommes, quand ils sont au téléphone, demeurent sur leur quant-à-soi; ils ont des pudeurs d'agent secret, redoutent d'être mal compris, ne voient aucun intérêt à parler de futilités qui sont pourtant le sel de la vie et demeurent fuyants comme s'ils craignaient de trahir quelque secret.

Ou pour le dire autrement: ce sont de gros cons d'égoïstes qui ne s'intéressent à personne en dehors de leur nombril!

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