Société / Économie

À Calais, le retrait d'un gros donateur met en difficulté les associations d'aide aux migrants

​​​​​​​Le fonds britannique Choose Love a retiré ses financements à sept organisations calaisiennes. En charge des personnes exilées, certaines se retrouvent plongées dans l'incertitude, avec l'impératif de trouver d'autres sources d'argent.

Un migrant est assis à l'intérieur de sa tente dans un camp de fortune, dans la banlieue de Calais, le 14 août 2020. | Sameer Al-Doumy / AFP
Un migrant est assis à l'intérieur de sa tente dans un camp de fortune, dans la banlieue de Calais, le 14 août 2020. | Sameer Al-Doumy / AFP

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À Calais, le début d'année est placé sous le signe de l'incertitude. Alors que plus de 2.000 personnes exilées –dont 300 mineures non accompagnées– sont présentes à la frontière franco-britannique, des associations craignent de devoir réduire la voilure. En cause: le retrait des financements du fonds britannique Choose Love, créé en 2015. Début janvier, l'organisation justifiait sa décision dans un mail envoyé à Slate: «Choose Love a fait face à des défis importants depuis le début de la pandémie. Cela a conduit à une révision de notre stratégie organisationnelle et des décisions difficiles ont dû être prises.»

Au total, sept associations sont concernées: Calais Food Collective, Collective Aid, Human Rights Observers, Refugee Info Bus, Woodyard, Refugee Women's centre, Project Play. Si l'annonce a été rendue officielle en novembre dernier –via un post Instagram publié par Choose Love–, l'organisation britannique a lâché la bombe aux bénéficiaires à l'été 2021:  «Nous n'avons pas annoncé publiquement la nouvelle à l'époque pour nous assurer que nous pourrions continuer à collecter des fonds pour ces sept partenaires jusqu'à la toute fin de 2021», assure-t-elle.

Des financements coupés

La plupart des associations voient le robinet se couper en janvier 2022. Seules deux, en charge de mineurs non accompagnés –ECPAT et Safe Passage–, sont épargnées par ce retrait soudain. «Choose Love nous a dit que le conseil d'administration avait changé. Les gros donateurs ont décidé de modifier les orientations de l'organisation pour se tourner vers l'écologie», rapporte François Guennoc, vice-président de l'Auberge des Migrants. Cette association recevait une grande partie de l'argent de Choose Love qu'elle redistribuait aux autres entités présentes sur le terrain calaisien.

Pour François Guennoc, la justification donnée par Choose Love est difficile à avaler, d'autant que l'organisation britannique a maintenu son aide aux réfugiés en Grèce: «Je pense qu'ils ont reçu des pressions –venant de la part des autorités britanniques– pour arrêter de fournir de l'aide à Calais. Nous n'avons pas de certitudes, mais c'est ce que l'on croit.»

Ce pilier du monde associatif calaisien n'est pas le seul à s'étrangler devant ce choix: «On ne s'y attendait pas vraiment, tout se passait bien. En février dernier, des tensions ont commencé à voir le jour, mais rien ne laissait entendre que les financements s'arrêteraient», soutient Sirine Merzoug, coordinatrice au sein de Project Play, une ONG financée à 40% par Choose Love. Sur le terrain, elle anime des sessions de jeux avec les enfants exilés à Dunkerque et à Calais.

«En février dernier, des tensions ont commencé à voir le jour, mais rien ne laissait entendre que les financements s'arrêteraient.»
Sirine Merzoug, coordinatrice au sein de Project Play

«On a réussi à récolter 10.000 euros pour Noël, ça va nous permettre de survivre deux mois. C'est fort probable que nous soyons obligés de supprimer notre poste de chargé de plaidoyer», déplore Sirine Merzoug. En plus de l'argent, l'organisation caritative britannique fournissait un soutien administratif: «Leurs coordinateurs nous guidaient et nous aiguillaient sur des sujets liés à la protection de l'enfance.»

Face à ce départ inattendu, les sept associations –dans lesquelles étaient injectés plus de 700.000 euros annuels en provenance du fonds britannique– ont lancé un appel au don à travers Calais Appeal, afin de récolter de l'argent pour aider les personnes migrantes. Grâce à cette plateforme, 43.000 euros ont été récoltés. Encore loin de l'objectif fixé à 120.000 euros d'ici le mois de mars 2022.

Maintenir une aide humanitaire

Certains projets associatifs se retrouvent dans le rouge, à l'instar de Human Rights Observers (HRO). Le budget de cet organe d'observation et de récolte de données dépendait à 70% de Choose Love –soit 59.000 euros par an. L'initiative a été entièrement reprise par l'Auberge des Migrants, dont le défi sera de maintenir son activité.

«Choose Love soutenait financièrement le poste de juriste. Il s'agit d'un travail important puisqu'il nous permet de mener des contentieux, grâce auxquels on pouvait passer devant un juge notamment pour dénoncer l'illégalité des procédures d'expulsion quotidiennes», détaille Nancya, bénévole à HRO. Pour l'instant, des fonds annexes permettent de financer ce poste jusqu'au mois de septembre, mais «la pérennité du projet est grandement en péril», se désole la jeune femme Dans ces conditions, impossible pour les associations de se projeter dans le futur. «Pour améliorer notre organisation, on souhaitait aussi créer de nouveaux postes. Cela semble désormais compromis», reprend la volontaire.

«Les exilés ont besoin d'informations pour savoir comment demander de l'aide. Ici, il y a beaucoup de violences policières.»
Álvaro Lucas, bénévole à Refugee Info Bus

Hébergé dans l'entrepôt de l'Auberge des Migrants, le Calais Food Collective (CFC) garde quant à lui les yeux rivés sur les stocks. Les fonds que Choose Love lui attribuait ont été coupés l'été dernier, l'association doit maintenant combler une perte de 60.000 euros annuels. Sur place, la poignée de bénévoles donne des ingrédients pour permettre aux personnes de cuisiner. Ils fournissent aussi des poêles  et des casseroles. «Notre politique, c'est que tout le monde devrait être capable de cuisiner pour soi», indique Louis Woodhead, un bénévole.

La situation est d'autant plus alarmante quand on considère le nombre croissant d'arrêtés préfectoraux qui rendent illégales les distributions alimentaires à Calais par des associations non mandatées par l'État. «Immédiatement après la fin du financement de Choose Love, nous avons été obligés de réduire notre présence dans certains lieux de vie. En août, nous avons distribué 10.100 repas contre plus de 16.000 le mois précédent», explique le bénévole originaire du Royaume-Uni.

Péril associatif

Cet automne, le CFC a remonté la pente, fournissant plus de 33.000 repas au mois de novembre. «Le retrait de Choose Love met toute la vie associative de Calais en péril», reprend Louis, précisant qu'il y a des «besoins urgents» sur le terrain. L'association Refugee Info Bus, qui propose un service de chargement de téléphone ainsi qu'une connexion internet gratuite, tient un discours similaire.

«Les exilés ont besoin d'informations pour savoir comment demander de l'aide. Ici, il y a aussi beaucoup de violences policières: les agents volent les tentes et parfois, il y a des téléphones à l'intérieur. On donne aussi des câbles et des chargeurs, sinon le téléphone seul ne sert à rien», insiste le bénévole Álvaro Lucas. En plus de cette mission, l'association informe les réfugiés et leur distribue un guide d'arrivée, où est répertorié l'essentiel: l'accès à l'hôpital, à l'eau, etc. Une activité qui pourrait être sacrifiée si Refugee Info Bus ne parvenait pas à trouver les 2.800 exemplaires mensuels auparavant distribués par Choose Love.

«Leur retrait pourrait impacter notre activité de traduction, car on doit payer notre réseau de traducteurs à qui l'on verse une compensation. Il s'agit de les aider et de les soutenir financièrement», soupire Álvaro Lucas. Autrement dit, l'association craint de devoir amputer son activité, en se concentrant uniquement sur son service lié au chargement de téléphone. Globalement, les activités des associations devraient être maintenues cette année, mais l'avenir reste incertain. «On aimerait que le gouvernement trouve une solution. Cependant, lorsqu'on regarde les déclarations politiques et les candidats présidentiables, nous n'espérons pas une politique dans ce sens», déplore François Guennoc.

C'est pour pallier l'inaction de l'État que les associations se mobilisent, profitant d'une visibilité médiatique plus importante qu'auparavant. «Cette année, on a bénéficié de l'écho médiatique du naufrage dans la Manche –causant 27 morts– qui a attiré de nombreux médias. On a reparlé de Calais. Le plus mauvais pour les dons, c'est quand les gens oublient», conclut-il.

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