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C'était l'été dernier. Nous subissions les effets du dôme de chaleur. Les plaines brûlaient. Tôt ou tard, les fumées des feux d'incendie gagneraient la ville, l'asphyxiant sous un couvercle de cendres. Je voyais déjà mon salon enfumé, mes poumons encrassés, mon espérance de vie divisée par deux. C'est alors que n'écoutant que mon courage, je pris la décision la plus importante de mon existence: j'achetai un purificateur d'air avec tout ce qu'il faut pour rendre un hypocondriaque heureux, des filtres HEPA capables d'attraper dans leurs filets microbes, poussières, particules de fumées et surtout gouttelettes chargées de Covid.
Depuis, il trône dans mon salon comme un monarque absolu. Noir, haut d'un demi-mètre, de forme cylindrique, d'une discrétion rare avec ses loupiottes teintées de bleu, tout à la fois ténébreux et énigmatique, il ressemble à un objet échappé de 2001, l'Odysée de l'espace, une sorte de pierre philosophale qui aurait voyagé à travers les siècles et à laquelle je voue désormais un culte inébranlable.
Il est mon Dieu, mon bouclier, le rempart à toutes les saloperies qui circulent dans l'appartement. Depuis que je le sais capable d'emprisonner les virus responsables de la pandémie, je l'idolâtre comme un patient chérit son médecin qui vient de lui sauver la vie. Je lui dois tout et je ne compte plus les fois où après l'émergence d'un nouveau virus, dans l'inquiétude qui était la mienne, je me suis tenu à ses côtés, le remerciant de la protection qu'il voulait bien m'accorder.
Quand je quitte le salon, je l'emmène avec moi. Pas une pièce de l'appartement qu'il n'ait visitée. Je le pose là tout près de moi, dans un recoin de la salle de bains, sur l'étagère de la cuisine, à côté de mon lit, tout proche de ma table de travail. Le voilà qui soupire d'aise et moi avec. Nous nous comprenons si bien. Quand la courbe des hospitalisations remonte, je le mets au maximum de sa puissance. Il vrombit alors comme une lionne au moment de chasser un zèbre et fort de ses capacités absorbantes, c'est comme si je voyais le Covid disparaître entre ses entrailles.
Quand ma compagne rentre de son travail, sitôt qu'elle a poussé la porte de l'appartement, je l'oblige à s'agenouiller devant lui et à rester là le temps que ses poumons se purifient. Même le chat n'y échappe pas. De force, je le plaque contre lui et l'emprisonnant avec un jeu savant de cordes, il demeure là, collé à ses parois comme une sangsue, le nez plongé dans le cœur du réacteur, bientôt ivre de l'air qu'il respire.
S'il fonctionnait sur piles, je l'emmènerais volontiers en promenade. Je le tiendrais en laisse et ensemble, nous irions affronter les dangers de la ville, cet air vicié qu'on nous force à inhaler. Je serais alors invincible, un roc sur lequel buteraient tous les miasmes émis par ces cochons de passants. Je rentrerais dans les supermarchés, les cinémas, les théâtres, du pas de celui qui sait d'avance que rien ne peut lui arriver. On me jalousera, on essayera de se lier d'amitié avec moi, et je repousserai tous ces manants avec la morgue du conquistador de retour d'une campagne victorieuse.
Quand il me faut nettoyer le filtre, je revêts une combinaison qui me couvre de pied en cap. À gestes mesurés, dans une économie de moyens similaire à celle d'un laborantin à l'heure de manipuler une substance particulièrement dangereuse, j'applique tout autour de sa circonférence le tuyau de mon aspirateur. C'est comme s'il renaissait à la vie et moi avec. Peu à peu, débarrassé de ses scories poussiéreuses, il retrouve sa couleur d'origine, ce blanc cassé qui n'est pas sans rappeler le blanc des neiges éternelles, le blanc d'avant la création, l'image même de la pureté absolue.
J'ignore comment j'ai pu vivre toutes ces années sans lui. C'est tout juste si désormais je n'attends pas le prochain virus avec impatience. Je le vois déjà pénétrer dans l'appartement comme en terrain conquis, visiter toutes les pièces, prendre ses aises, savourant le moment où il s'en ira supplicier mes poumons, triomphe annoncé mais triomphe avorté quand il trouvera sur son chemin mon purificateur d'air, cette hotte aspirante qui sera son prochain tombeau. Il cherchera à s'échapper, il appellera à l'aide; trop tard, sa mort sera sa destinée.
Que viennent donc tous les virus de la terre, les prochains Sigma, Upsilon, Oméga, je suis paré à toutes les éventualités. Sans parler de la propreté qui règne désormais dans l'appartement. Autrefois crasseux, hôte d'une poussière dont on retrouvait la trace du parquet au plafond, il brille maintenant comme un sou neuf. Je n'ai même plus besoin de passer l'aspirateur, le purificateur se charge d'attraper dans ses filets toute poussière qui aurait le malheur de s'approcher de lui.
Afin de profiter encore plus de ses capacités, je me suis même mis à fumer. J'aime à voir la fumée s'échapper de ma bouche, s'aventurer au-dessus de la table basse, papillonner dans la pièce avant d'être inexorablement absorbée par mon purificateur transformé pour l'occasion en urne funéraire.
Le purificateur d'air est l'avenir du genre humain.
Achetez-en un sans plus attendre.
Il vous sauvera la vie et demain, le monde entier.
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