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Katalin Novák, produit d'Orbán et future présidente de la Hongrie

Quadragénaire, trilingue et conservatrice, l'ex-ministre de la Famille va devenir la première femme de l'histoire à diriger le pays. Une consécration pour cette fidèle du leader national-populiste magyar.

Katalin Novák, alors ministre de la Famille, lors d'un discours tenu le 23 septembre 2021 à Budapest. | Attila Kisbenedek / AFP
Katalin Novák, alors ministre de la Famille, lors d'un discours tenu le 23 septembre 2021 à Budapest. | Attila Kisbenedek / AFP

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Budapest, 8 avril 2018. Au soir de sa troisième victoire électorale consécutive, le Premier ministre Viktor Orbán remercie à la tribune les supporters survoltés qui se sont rassemblés devant le centre culturel Bálna, bordant le Danube. Quelques pas sur la gauche du leader «illibéral», Katalin Novák, robe multicolore et boucles d'oreilles pendantes orange siglées Fidesz, le parti au pouvoir, boit ses paroles. L'allocution terminée, Orbán, Novák et les cadres de l'écurie nationale conservatrice entonnent l'hymne national magyar tel un chant d'église, suivis par une foule extatique ovationnant le triomphe du Fidesz.

À l'époque, Katalin Novák officie comme secrétaire d'État chargée de la Famille et de la Jeunesse, assure l'une des vice-présidences de la formation contrôlant la Hongrie d'une main de fer depuis 2010, et vient de remporter un siège de députée. Le 1er octobre 2020, la quadragénaire décrochait un influent ministère de la Famille sans portefeuille. Au printemps prochain, l'ambassadrice de la politique nataliste de l'exécutif, adoubée le 22 décembre 2021 par Viktor Orbán, devrait obtenir sans difficulté l'onction du Parlement et devenir la première femme à diriger la Hongrie.

Juriste polyglotte

Originaire de Szeged, grande ville universitaire du sud de la Hongrie, Katalin Novák récupèrera sauf cataclysme le fauteuil de János Áder, forcé de se retirer le 10 mai 2022 au terme de son second quinquennat, comme le prévoit la Constitution. Le vote interviendra dans les trente à soixante jours précédant la fin du mandat actuel.

Novák n'était pas l'option privilégiée d'Orbán: le Premier ministre souhaitait que László Kövér, président de l'Assemblée nationale, devienne le chef de l'État. Mais le cofondateur du Fidesz (en mars 1988), intime du capitaine de la Hongrie, a décliné l'offre.

«Katalin Novák devance une rangée d'hommes aux tempes grisonnantes. Avec cette consécration, Orbán prévient son parti que seule la fidélité compte et avertit les siens que seuls ceux qui l'appuient sans réserve peuvent obtenir de l'avancement», analyse Gergely Márton, journaliste politique de l'hebdomadaire libéral HVG«La politicienne affirme qu'elle ne changera pas et ne laissera pas la gloire lui monter à la tête si elle est élue présidente. Sa promesse comporte cependant une autre lecture. Au Palais Sándor, Katalin Novák restera une adepte inconditionnelle et une suiveuse disciplinée d'Orbán.»

VRP de l'orbánisme à travers le globe, la juriste polyglotte séduit l'alt-right américaine et les ténors de l'extrême droite européenne.

Diplômée d'économie et de droit, Katalin Novák entama son riche parcours professionnel en tant qu'attachée au ministère des Affaires étrangères entre 2001 et 2003, puis stoppa sa carrière pendant sept ans pour accompagner le travail de son époux et élever ses trois enfants en Allemagne, près de Francfort.

Après son long congé parental, elle conseilla le chef de la diplomatie magyare János Mártonyi (2010-2012) et dirigea le cabinet du ministère des Ressources humaines (2012-2014). Son implication et son trilinguisme (anglais, français, allemand) subjuguèrent ses pairs, au point d'attirer l'attention d'Orbán.

De fil en aiguille, Katalin Novák se hissa parmi les incontournables d'un gouvernement ultra masculin. Ses mesures natalistes, mêlant subventions, crédits avantageux et carottes fiscales, enrayèrent le déclin démographique tout en installant les bébés comme outils de la politique anti-migrants de l'exécutif.

VRP de l'orbánisme à travers le globe, la juriste polyglotte séduit l'alt-right américaine et les ténors de l'extrême droite européenne. Depuis 2019, Novák préside le Political Network for Values, une organisation internationale «pro-vie» qui défend le modèle familial classique et la liberté religieuse.

Conservatrice pur sang

En mars 2021, c'est elle qui annonça sur Twitter la rupture avec le Parti populaire européen (PPE), la grande famille de droite continentale lassée des dérives du régime Orbán. L'automne dernier, la francophone Novák, décorée de la Légion d'honneur en 2019 pour sa contribution au rapprochement entre Paris et Budapest, coordonna les visites hongroises remarquées d'Éric Zemmour et de Marine Le Pen. Les soutiens du pouvoir, saluant l'accession quasi-pliée de Novák à la présidence de la Hongrie, louent son expérience, son attachement envers les valeurs familiales traditionnelles et son entregent.

Cette fille d'un pédiatre et d'une ORL entretient une image de working girl puissante, mais attribue un rôle rétrograde aux femmes.

Selon le quotidien Magyar Nemzet, son profil de «ministre double diplômée», de «bâtisseuse des relations extérieures du Fidesz», de «locutrice confiante des langues européennes clés», de «conservatrice pur sang» et de «meneuse agile de la politique familiale» légitime la désignation de Katalin Novák comme candidate. «C'est un choix intelligent et habile. Cette décision prouve que le Fidesz incarne un parti de droite populaire moderne, incluant des politiciennes couronnées de succès et appréciées par l'opinion», complète le politologue Ágoston Sámuel Mráz, proche du pouvoir en place.

Hors de l'arène politique, la sportive Novák boxe assidûment, skie depuis sa plus tendre enfance, court régulièrement, pratique parfois le tir à l'arc et partage sur sa page Facebook certains moments cuisine. Cette fille d'un pédiatre et d'une ORL entretient une image de working girl puissante, mais attribue un rôle rétrograde aux femmes. Dans une vidéo controversée de décembre 2020, la protégée de Viktor Orbán déclarait que celles-ci «ne doivent pas toujours entrer en compétition avec les hommes», les enjoignant à se considérer «heureuses de pouvoir donner la vie» et à «oser dire oui à l'enfant».

Impartiale ou «marionnette»?

Katalin Novák s'apprête à devenir la cinquième personne à prendre la tête de la Hongrie post-communiste, à la suite du résistant antifasciste et antibolchévique Árpád Göncz, des juristes Ferenc Mádl et László Sólyom, du double champion olympique d'escrime Pál Schmitt (qui plagia sa thèse de doctorat et démissionna en avril 2012) et du juriste János Áder, ami de longue date d'Orbán et co-artisan de la création du Fidesz. Son élection nécessite les deux tiers des voix à l'Assemblée nationale, mais la procédure ne devrait être qu'une formalité avec 133 Fidesz sur 199 députés. L'opposition n'a pas encore choisi son poulain.

Les critiques de Novák estiment qu'elle servira Orbán, qu'il gagne ou échoue dans trois mois face à l'opposition unie menée par Péter Márki-Zay. «La désignation de Katalin Novák porte l'ultime estocade à la fonction présidentielle, dont le prestige n'a cessé de se dégrader après Árpád Göncz [président de 1990 à 2000, ndlr] et dont les restes d'autorité s'envolent avec le départ de János Áder», tacle l'éditorialiste Zsolt Kerner. «Novák n'est pas adaptée pour élever le rôle de chef de l'État au-dessus des partis, incapable de souder une nation divisée, mais elle est une excellente candidate pour le Fidesz», ajoute la plume du site 24.hu.

Interviewée par le portail Index, Katalin Novák clame qu'elle ne sera pas une «marionnette» de l'exécutif Fidesz, défendra «l'unité de la nation» et «ne cautionnera jamais le détricotage de l'État de droit». Avec l'élection de Katalin Novák, le Fidesz conserverait un accès au pouvoir jusqu'en 2027 minimum. Si Viktor Orbán rempile, la présidente loyale envers le leader national-populiste aidera vraisemblablement à la consolidation du régime. Et si Péter Márki-Zay et l'alliance hétéroclite d'opposition l'emportent, elle disposera d'une capacité de nuisance notable sur les activités de la nouvelle majorité.

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