Égalités / Santé

Pourquoi les femmes prennent-elles aussi peu la PrEP?

Les campagnes de prévention menées jusqu'à présent ont principalement ciblé un public masculin et homosexuel. Il est temps d'inclure les femmes dans les programmes de santé sexuelle et de lutte contre le VIH.

Un flacon de médicament antirétroviral Truvada. | Justin Sullivan / Getty Images North America / AFP
Un flacon de médicament antirétroviral Truvada. | Justin Sullivan / Getty Images North America / AFP

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Depuis 2015, la PrEP (prophylaxie pré-exposition) est autorisée en France à des fins de prévention contre le VIH, et la prescription du Truvada ou de ses génériques en traitement préventif est prise en charge à 100% par l'Assurance maladie.

Le principe est simple: prendre un médicament afin d'éviter d'être contaminé·e par le VIH. Le Truvada (ou ses génériques) présente en effet une combinaison de deux molécules capables d'empêcher l'infection des cellules par le virus.

Cette méthode de prévention a aujourd'hui largement montré son efficacité et sa sécurité. Mais les femmes et toutes les personnes qui ont des rapports sexuels vaginaux pénétratifs se voient encore très peu prescrire la PrEP. Ainsi, parmi les 41.126 personnes qui ont initié un traitement par PrEP depuis 2016, 97,5% sont des hommes, selon les dernières données d'EPI-PHARE: «Les utilisateur·trices de la PrEP restent principalement des hommes, âgés de 36 ans en moyenne, résidant en Île-de-France ou dans une grande métropole et parmi lesquels la proportion de bénéficiaires de la CMU complémentaire (indicateur de situation socio-économique défavorable) ou de l'AME est faible. Il est raisonnable de faire l'hypothèse qu'il s'agit principalement d'HSH [hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes]

Pourquoi une telle disparité de genre? Comment expliquer que les femmes, qui constituent pourtant 35% des découvertes de séropositivité VIH, soient aussi peu informées sur cet outil, et qu'elles se le voient aussi peu être proposé, et encore moins prescrit?

Biais de prévention

Nathan Boumendil, chargé de mission auprès des populations vulnérables à AIDES, avance une première explication: «Il existe en France un vrai biais historique. La PrEP est arrivée en France suite à l'étude ANRS IPERGAY. Or cette étude portait essentiellement sur des publics HSH. Dès lors, la communication autour de la PrEP s'est essentiellement faite à destination de ce public.»

Si AIDES a, dès 2018, à travers sa campagne #PrEP4Love, communiqué sur l'usage de la PrEP auprès d'un large public en intégrant les femmes ayant des rapports sexuels avec des hommes, il n'y a en revanche jamais eu de campagne autre qu'associative.

«On évacue beaucoup trop souvent la question des violences sexuelles alors que les femmes sont évidemment plus vulnérables. Elles ne peuvent pas toujours imposer le préservatif.»
Lydie Porée, référente VIH et IST au Planning familial

L'épidémiologiste Dominique Costagliola, qui travaille sur l'infection VIH/sida depuis 1986, explique: «Les recommandations concernant la prescription de la PrEP n'ont pas été mises à jour depuis longtemps et elles ciblent avant tout les HSH et les travailleurs et travailleuses du sexe. Or, Santé Publique France ne peut pas promouvoir un traitement qui n'est pas recommandé. Il conviendrait de travailler rapidement pour faire une mise à jour qui intégrerait un public plus large et notamment les femmes dans leur ensemble. Cela permettrait de développer une communication institutionnelle pour élargir les publics de la PrEP.» Elle déplore: «Même si un groupe de travail a été constitué, le sujet n'est pas en haut de la pile.»

Un enjeu de santé publique

Que faudrait-il pour que la réalisation de nouvelles études et recommandations sur la PrEP à destination des femmes devienne un sujet prioritaire?

Peut-être d'abord en mesurer les bénéfices en termes de santé publique et de réduction des risques. Ainsi donc les femmes hétérosexuelles et bisexuelles représentent une part non négligeable des nouvelles contaminations au VIH. Rapports de domination genrée faisant, elles sont davantage sujettes à être victimes de «stealthing», c'est-à-dire de retrait du préservatif sans consentement –ce qui relève du viol«On évacue beaucoup trop souvent la question des violences sexuelles alors que les femmes sont évidemment plus vulnérables. Elles ne peuvent pas toujours imposer le préservatif», regrette Lydie Porée, membre du bureau national du Planning familial et référente VIH et IST.

De même que pour les méthodes de contraception, les femmes doivent aussi pouvoir être capables de choisir les outils de prévention qu'elles utilisent, et ce de manière autonome, en fonction de leurs besoins et selon les périodes de leurs vies. «On peut très bien calquer la communication autour de la PrEP pour les femmes sur celle de la contraception, explique Lydie Porée. On peut adapter la ou les méthodes, les combiner, les modifier… au cours de la vie. À chacune sa prévention, à chacune sa contraception, en somme.»

Un des arguments en défaveur de la PrEP fréquemment rencontré est que cette dernière ne protège pas des autres IST. C'est vrai, mais comme l'explique Dominique Costagliola, «ce n'est pas parce que la PrEP n'est pas efficace pour prévenir toutes les IST qu'il ne faut pas l'initier! Toute forme de réduction des risques est bonne à prendre!» De son côté, Bastien Vibert, responsable du programme VIH au Crips fait une analogie gastronomique: «On ne cache pas une partie du menu à une personne au prétexte qu'elle est une femme! C'est regrettable de hiérarchiser les outils de cette manière!»

D'ailleurs, les personnes qui prennent la PrEP sont tenues à une surveillance trimestrielle, incluant un dépistage du VIH, des hépatites et de la syphilis, et une surveillance du fonctionnement rénal. «Les personnes sous PrEP sont des personnes qui sont dans une démarche de prendre soin d'elles. Elles sont bien informées sur les risques et si elles développent une IST, elles sont immédiatement prises en charge. C'est aussi un moyen de casser les chaînes de contamination», signale Nathan Boumendil. Il rappelle que le préservatif n'est pas non plus efficace à 100% pour prévenir les infections sexuellement transmissibles.

Le poids de la morale

Un autre élément peut s'ajouter: pour les femmes, la prise de PrEP est plus contraignante que pour les hommes, car elle doit être continue et non «à la demande». Reste que le corps médical n'a pas à décider pour les patientes de ce qui relève de la contrainte acceptable ou non-acceptable.

Et c'est là que l'on touche du doigt un des principaux freins à la prescription de la PrEP aux femmes: le poids des normes hétérosexuées, de la domination masculine et de la morale qui entretient un contrôle des corps féminins. «Beaucoup de soignants ont en tête une image de ce que devrait être la sexualité féminine», déplore Bastien Vibert. «Ils ont une vision où la liberté sexuelle féminine n'est pas acceptée», complète Lydie Porée. «On est restés dans un système de représentations où une femme qui se respecte ne saurait être autre chose que monogame. On n'accepte pas qu'une femme puisse avoir plusieurs partenaires», regrette-t-elle. «Des femmes qui pourraient être demandeuses de la PrEP se heurtent à la crainte du slut-shaming», se désole Nathan Boumendil.

Une fois encore, c'est la capacité des femmes à décider par et pour elles-mêmes ce qui est bon pour elles qui est mise sur la table et qui ne saurait dépendre du paternalisme médical. «La morale n'a rien à voir avec la médecine», tranche Bastien Vibert. Tous les militants et experts avec lesquels nous avons échangé s'accordent sur l'importance de la PrEP en termes d'autonomie des femmes à choisir le ou les modes de prévention qui leur conviennent afin de vivre une sexualité libre, sans risques et sans contraintes, et sans dépendance envers son ou ses partenaires. 

 

Aujourd'hui, il est urgent de former les professionnels de santé à la prescription de la PrEP (celle-ci est ouverte à l'ensemble des médecins et notamment des médecins généralistes depuis le premier juin 2021), mais aussi de mener à bien une éducation à la sexualité libérée du poids de la morale. «Cette éducation à la sexualité doit permettre à chacun et chacune d'être autonome sur les questions de prévention des IST», conclut Lydie Porée. «Il faut outiller toute personne pour qu'elle connaisse l'offre de prévention à sa disposition», réaffirme Bastien Vibert.

 

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