Politique / Société

Les Français seraient-ils vraiment prêts à adopter une démocratie directe?

Si ce modèle fait rêver, il est loin d'être parfait. Prenons l'exemple des États-Unis et de la Suisse.

Une femme vote lors d'un référendum d'indépendance, dans un bureau de vote à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 12 décembre 2021. | Théo Rouby / AFP
Une femme vote lors d'un référendum d'indépendance, dans un bureau de vote à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 12 décembre 2021. | Théo Rouby / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d'autres, spécialistes du sujet, leur répondent.

La question du jour: «Pourquoi ne pas établir une démocratie directe en France?»

La réponse de Vincent Lefèvre:

Il est très difficile, sinon impossible, de faire fonctionner une démocratie directe. Établir la constitution d'un État sur cette base relève de la mission impossible. Certains États (comme la Suisse ou les États-Unis) ont des pratiques tirées de la démocratie directe, mais dans tous les cas, ils gardent un système parlementaire de démocratie représentative.

Pour rappel, la démocratie directe se définit ainsi: «Une forme de démocratie dans laquelle les citoyens exercent directement le pouvoir, sans l'intermédiaire de représentants élus.» La principale difficulté de la démocratie directe est bien évidemment de définir des modalités de fonctionnement qui permettent au groupe de prendre des décisions et d'agir.

Certaines modalités sont cependant couramment considérées comme étant de la démocratie directe:

  • La révocabilité des mandatés ou des élus éventuels.
  • Le mandat impératif, «une forme de mandat politique, dans lequel le pouvoir est délégué à une organisation ou un individu élu en vue de mener une action définie dans la durée et dans la tâche, selon des modalités précises auxquelles il ne peut déroger. Il s'oppose au mandat représentatif.»
  • La réunion en assemblée, et la prise de décision à la majorité, au consensus, ou encore à l'unanimité.
  • La désignation par tirage au sort, la rotation des mandats ou encore l'impossibilité de les renouveler.

Quand on parle de démocratie directe, on pense bien évidemment à la Suisse. Mais on devrait plutôt parler de démocratie semi-directe. La Suisse est une confédération de cantons. Les cantons eux-mêmes ont une grande autonomie. Le peuple élit des représentants aux trois niveaux de pouvoir de l'État: confédération, canton et commune.

Les citoyens peuvent toutefois influer sur la politique et les décisions de leurs représentants élus en utilisant les initiatives populaires et les référendums. La Suisse est surtout reconnue pour ses votations. Le peuple est amené à se prononcer sur de nombreux sujets par voie de référendum.

En bref, la Suisse est une démocratie représentative dont les instances politiques sont élues. Les nombreuses votations permettent aux citoyens de s'exprimer, de faire des propositions et de les soumettre au vote populaire. Et si la votation est positive, les élus doivent en prendre acte et s'y conformer.

Le cas des États-Unis

L'État fédéral américain a de nombreuses prérogatives, celles qu'en France on qualifie de régaliennes: la monnaie, la politique étrangère, l'armée. Les États ont leurs propres prérogatives, leurs lois, leur justice, et votent leur propre impôt.

Jeune nation, elle s'organise encore aujourd'hui au niveau local. Certains aspects sont de la démocratie directe:

  • L'élection des shérifs. Dans de nombreux comtés, aujourd'hui le chef de la police est élu.
  • L'élection des procureurs. Dans quarante-trois États, le procureur général est élu.
  • Les juges quant à eux sont élus dans 39 États sur 50.

À noter qu'il s'agit bien des polices et de la justice des différents États. Les instances fédérales (Cour suprême, tribunaux fédéraux, FBI) ne font pas l'objet d'élection.

 

  • La révocation des élus. Pour la petite histoire, en 2003, le gouverneur de Californie se retrouva face à un référendum de révocation. La Californie vota oui et le gouverneur fut viré. Une deuxième question concernait son successeur éventuel, et parmi les 150 candidats, un seul émergea: le grand, le beau, Arnold Schwarzenegger. Il était le seul candidat connu de tous les Californiens mais comme acteur, pas comme homme politique. Arnold Schwarzenegger démarra une nouvelle carrière. Acteur devenu homme politique, il fut réélu gouverneur en 2006 et fit donc un deuxième mandat.

Arnold Schwarzenegger se révéla un bon gouverneur. Cependant, né en Autriche, il ne pouvait se présenter à la présidence des États-Unis. Dommage… car les Républicains manquent d'homme de sa trempe et le mieux qu'ils aient pu trouver par la suite fut un homme aux cheveux oranges.

Au travers de la révocation d'élus, la Californie trouva donc un nouveau gouverneur, surnommé «governator» en référence à son nouveau rôle politique et à son passé d'acteur connu dans le film Terminator.

En Nouvelle-Angleterre, chaque année, les habitants se réunissent pour voter sur toutes les questions du gouvernement.


En Nouvelle-Angleterre, les villes pratiquent une sorte de gouvernement autonome. Chaque année, les habitants se réunissent pour voter sur toutes les questions du gouvernement. Ils font toutes les lois de la ville et décident le budget de l'année suivante. Il s'agit d'une tradition héritée d'une époque ancienne où les colonies américaines peu nombreuses et dispersées administraient avec beaucoup de liberté le territoire. Police, justice, gouvernement lointain et absent, les communautés pratiquent la démocratie directe.

Rappelons un épisode noir et glauque de cette époque: la mise en accusation, le procès, la condamnation et la pendaison des sorcières de Salem. Par la suite, les autorités américaines (États ou État fédéral) ont édicté des règles, des lois, pour éviter que les communautés rendent justice elles-mêmes et décident d'une condamnation à mort arbitraire des membres de leur propre communauté.

En novembre, les États-Unis ont un jour consacré aux élections, l'Election Day, qui a toujours lieu le mardi situé entre le 2 et 8 novembre. L'élection du président, du Congrès, des représentants élus des États a lieu ce jour-là. Les Américains ont aussi à répondre à des référendums d'initiative populaire ou parlementaire.

Ci-dessous, quelques exemples de référendums en 2020. Cela va de l'instauration de nouvelles taxes en Californie à la réintroduction du loup gris dans le Colorado ou à la légalisation du cannabis dans le Dakota du Sud.

 

Exemples de référendums dans les États américains en 2020. | Capture d'écran via Wikipédia

 

Les États-Unis sont un pays dont la démocratie est difficile à comprendre pour un Français. C'est une fédération d'États. Chaque État a son propre parlement qui a des pouvoirs législatifs. Les comtés, les villes ont aussi leurs propres règles et ont des pouvoirs (en termes de police, de justice ou d'imposition) que les Français ont du mal à imaginer.

Les pouvoirs du président américain sont très limités:

  • Donald Trump a-t-il changé le style de vie des Américains? Non, certainement pas. Il n'en a pas le pouvoir. Il fera surtout des dégâts en politique extérieure en s'aliénant de nombreux pays et en donnant une très mauvaise image des États-Unis.
  • C'est aussi vrai pour Barack Obama. Partisan d'un système fédéral de protection de la santé des Américains, y compris les plus pauvres, il aura le plus grand mal à avancer sur le sujet.

Pour comprendre ce pays, il faut réussir à comprendre un système politique très compliqué, une sorte de lasagne où les États, les comtés, les villes ont des pouvoirs institutionnels sur beaucoup de sujets ainsi qu'une véritable autonomie.

Un État viable

La démocratie directe ne concernera jamais que de petites communautés. Aucun État n'a jamais pu être construit durablement sur la base de la démocratie directe. Commune de Paris? Communautés anarchistes en Russie? Mouvements zapatistes au Mexique? Toutes les expériences de démocratie directe ont échoué, faute d'avoir su construire un État viable.

Cependant, cela n'empêche pas certains pays (comme la Suisse et les États-Unis), qui sont des démocraties représentatives, de pratiquer une grande décentralisation –c'est-à-dire que les instances représentatives locales ont des pouvoirs étendus. De plus, certaines modalités sont de la démocratie directe, notamment l'utilisation de référendums, et les citoyens sont régulièrement consultés sur initiative populaire ou parlementaire.

La France quant à elle est un pays centralisé (jacobin). Et les Français ont le sentiment que les décisions sont prises par quelques élus. Ils souhaiteraient être plus souvent consultés ou pouvoir participer de manière plus active aux décisions prises. Les Français en 2021 sont avides de plus de démocratie.

Régionalisation? Décentralisation? En pratique, en France, les régions ont peu de pouvoir, mais les Français sont-ils prêts à leur en donner plus?

Les Français sont-ils prêts à admettre que le SMIC soit différent à Lille et à Marseille (en Suisse, le SMIC n'est pas le même à Genève et à Bâle)? Les Français sont-ils prêts à admettre que les régions votent leur propre impôt, et décident d'un impôt sur le revenu (aux États-Unis, le contribuable paie un impôt fédéral, un impôt d'État, et un impôt communal)?

Il me semble certain que les Français sont demandeurs de plus de démocratie, de débats, qu'on les consulte et qu'on prenne en compte leur opinion. De nombreuses initiatives sont prises en France pour plus de démocratie et permettre des consultations plus nombreuses des citoyens. Elles s'inspirent de l'expérience suisse et de ses référendums, ou de celle des États-Unis et de la décentralisation.

Certaines modalités inspirées de la démocratie directe sont intéressantes et peuvent trouver leur place en France. Mais soyons clairs sur le fait que la France restera dans tous les cas une démocratie représentative.

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