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La France (re)fume et se sèvre moins (2/3)

Les ventes de traitements pour l’aide au sevrage tabagique ont chuté de 21,5% entre 2008 et 2009.

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Quelques chiffres: avec 65.000 morts par an, le tabagisme demeure la première cause de mortalité prématurée évitable en France; en moyenne, un fumeur régulier sur deux meurt prématurément de causes médicales liées à sa consommation de tabac; on compte 13 millions de fumeurs, soit 21% de la population française. Et chiffre encore plus étonnant, 60% des fumeurs réguliers souhaiteraient parvenir à en finir avec leur consommation de tabac. Pourquoi n'y arrivent-ils pas? Ou, plus précisément, pourquoi la collectivité ne soutient pas mieux ce désir collectif de sevrage alors que toutes les études convergent pour dire que, compte tenu des dégâts du tabagisme, cet investissement est l'un des plus rentables que l'on puisse faire dans le champ de la santé publique?

Le patch en perte de vitesse

C'est dans ce contexte que, parallèlement à une reprise des ventes de cigarettes, l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) vient d'annoncer que sur l'ensemble de l'année 2009(pdf), les ventes en pharmacie de traitements pour l'arrêt du tabac enregistrent une nette diminution par rapport à 2008: 1.344.678 «patients traités» contre 1.712.949 en 2008, soit 21,5% de moins. Les spécialistes se fondent sur les volumes des ventes brutes de ces médicaments qu'ils traduisent en nombre de mois de traitement. La durée moyenne de traitement est ici estimée à un mois (compte tenu des échecs précoces), soit 60 comprimés de Zyban® ou de Champix®, 30 timbres transdermiques à la nicotine ou l'équivalent en forme orale.

«C'est le niveau le plus bas depuis 2001», souligne l'OFDT. Le phénomène et massif et général: tous les types de traitements voient leur volume de ventes diminuer. Le partage des parts de marché est toutefois sensiblement modifié: les substituts nicotiniques présentés sous formes orales deviennent la forme de traitement largement majoritaire alors que le Champix® et surtout les timbres transdermiques enregistrent un net recul de leurs parts respectives.

Ainsi donc, le niveau de ventes globales de substituts nicotiniques est revenu à son niveau de 2002, la répartition entre les deux catégories (forme orale ou timbres) ayant été complètement modifiée au détriment des timbres transdermiques. Entre 2008 et 2009 les ventes de substituts sous forme orale ont néanmoins baissé de 2,4% (en «équivalent mois de traitement») tandis que celles des ventes de timbres transdermiques accusent une chute de 46,1%. Par rapport à 2003, les ventes de timbres ont été divisées par un facteur supérieur à cinq. Pourquoi? Il faut ici savoir que l'utilisation de ce type de substituts impose un arrêt complet et immédiat du tabac tandis que les formes orales (qui permettent de réduire sa consommation ou d'arrêter progressivement) semblent avoir la préférence du public.

Prise en charge très partielle

Côté médicaments, les ventes de Zyban® continuent de baisser: diminution de 9,4% entre 2008 et 2009 (elle avait été de 58,9% entre 2007 et 2008). En pratique, la part de marché de cette spécialité pharmaceutique se situe en dessous des 2%. Quant au Champix®, après une mise sur le marché réussie en 2007, il connaît une certaine désaffection: ses ventes diminuent de 29% par rapport à 2008 et sa part de marché passe de 22,5% à 20,4%. Peut-être faut-il voir ici l'effet de la révélation d'effets secondaires imprévus dus à la varénicline, le principal composant actif du Champix®: problèmes cardiaques et troubles dépressifs.

L'OFDT rappelle qu'un système de prise en charge très partielle (étrangement plafonnée à hauteur de 50€ par an) des substituts nicotiniques a été mis en place par l'assurance maladie en février 2007. En 2008, 488.441 forfaits avaient été versés soit un peu plus de 24 millions d'euros. En 2009, ce dispositif existe toujours, mais les chiffres sur le nombre de forfaits ne sont pas disponibles -sans que l'on sache précisément pourquoi. Faut-il voir dans la chute des ventes de produits d'aide au sevrage un corollaire de l'augmentation des ventes de cigarettes? Pour leur part les consultations médicales spécialisées de tabacologie ont, en 2009, un peu plus de nouveaux patients -entraînant des délais un peu plus longs pour obtenir un rendez-vous (12 jours en moyenne). Parmi ces nouveaux patients, 58% sont adressés par un professionnel de santé et 37% consultent à la suite d'une démarche personnelle.

Autre symptôme de la faible demande en pratique pour «arrêter le tabac»: les lignes de Tabac Info Service (3989) ont l'an dernier reçu 33.106 appels traités «en premier niveau»: documentation fournie à la demande, réponses à des questions simples sur le tabac, prise des rendez vous avec les tabacologues, qui assurent le cas échéant le deuxième niveau de réponse. C'est certes 11.500 appels de plus qu'en 2008. Ce qui reste infime dans un pays qui compte 13 millions de fumeurs dont 60% déclarent pourtant qu'ils aimeraient pouvoir arrêter de consommer ce qu'ils perçoivent à juste titre comme une drogue.

Coaching personnalisé

En toute hypothèse, cette petite hausse des appels à l'aide par téléphone ne s'explique pas par une intensification des campagnes d'information publiques initiées par les associations ou les pouvoirs publics, via l'Institut national pour le prévention et l'éducation à la santé (INPES). Quatre-vingt un jours de campagnes engagés en 2008 et 2009 pour des budgets respectifs de 8,3 et 5,6 millions d'euros. Pour compléter le dispositif d'aide au sevrage tabagique, l'INPES avait lancé il y a cinq ans le site tabac-info-service qui propose notamment un «coaching d'aide à l'arrêt du tabac». En 2008, le site avait reçu près de 750.000 visites et enregistré 15.000 inscriptions au coaching. En 2009, ce site a reçu plus de 650.000 visites et un nouveau coaching personnalisé mis en place à la mi-septembre 2009 a permis de recruter plus de 10.000 personnes entre septembre et décembre.

Les groupes français d'assurance MAAF et MMA ont également récemment annoncé le lancement d'une entreprise de coaching similaire (le «défi No smoking») présentée comme «la première réponse interactive et ludique de prévention et d'accompagnement afin d'arrêter de fumer».

Outre cette proposition, MMA explique soutenir ses assurés dans leur démarche en prenant en charge, dans le cadre de ses formules santé, les frais d'automédication. Ces formules couvrent les médicaments non remboursés par le régime obligatoire, délivrés par un pharmacien en officine. Sur présentation de justificatifs, le remboursement est accordé dans la limite de 30€ par assuré et par an. Ainsi des responsables de groupes d'assurances ont-ils jugé économiquement intéressant d'investir dans la lutte contre la consommation de tabac. Les derniers chiffres disponibles concernant l'évolution de la mortalité par cancer du poumon ne peuvent que les conforter dans cette démarche.

Jean-Yves Nau

Photo: Stop / adobemac via Flickr License CC by

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