Société / Culture

«And Just Like That»: malaise in the City, Miranda a viré raciste

Dans la suite de «Sex and the City», Miranda Hobbes n'est plus que l'ombre d'elle-même et multiplie les micro-agressions à l'encontre d'un des nouveaux personnages racisés de la série.

Trailer du nouveau chapitre diffusé sur la chaîne HBO aux États-Unis et disponible sur la plateforrme de streaming Salto en France. | Capture d'écran TV Promos <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TebDRBiw1iM">via YouTube</a>
Trailer du nouveau chapitre diffusé sur la chaîne HBO aux États-Unis et disponible sur la plateforrme de streaming Salto en France. | Capture d'écran TV Promos via YouTube

Temps de lecture: 5 minutes

Cet article comporte des spoilers de la série And Just Like That.

Sex and the City n'a jamais été mon truc, mais j'ai regardé tous les épisodes au moins une fois. Les deux films aussi, même le second où les filles fuient Abou Dabi en niqab parce que Samantha s'est fait choper à faire l'amour dans un lieu public. Beurk. Je suis un tout petit peu trop jeune pour l'avoir regardée au moment de sa diffusion, mais lycéenne j'ai regardé l'intégralité de la série en un été. Et j'ai choisi mon camp.

Un petit côté queer

Je n'étais pas assez cool ou à la mode pour être une Carrie. Charlotte me donnait envie de m'envoyer la première boîte d'antidépresseurs venue. J'aurais bien aimé pouvoir affirmer que je m'identifiais à Samantha, mais ça aurait été un mensonge. Le procédé d'élimination qui voulait que, gamine, je sois toujours Baby Spice quand je jouais à faire semblant avec mes copines –j'avais les couettes blondes– m'obligeait à conclure que j'étais une Miranda: la puissante avocate d'affaires, la marathonienne, la mariée qui n'était pas en blanc, la femme qui engueule un sandwich parce qu'il lui a fait une remarque à connotation sexuelle dans la rue. Celle des quatre qui, en tout cas de temps en temps, a envie de parler d'autre chose que des hommes. Je pouvais m'y retrouver.

Ce n'était pas une pierre angulaire de ma personnalité. Plutôt un truc léger, idéal pour les plaisanteries en soirée, les tweets idiots et un repère pour faire les quiz de BuzzFeed. Votre lieu de vacances idéal est une cabane au fond des bois avec une pile de livres et votre boisson préférée, c'est l'Old fashioned? Génial, vous êtes Miranda. Choisissez un bouledogue parmi ces quatre photos apparemment identiques: surprise! vous êtes Miranda. Le côté discrètement queer de Miranda m'attirait aussi. Certes, Charlotte essaie de se faire une place au sein des lesbiennes puissantes du monde de l'art (elles finissent par la rejeter: «Si tu ne bouffes pas de chatte, tu n'es pas une gouine.») Et Samantha a une relation brève, bien que scénarisée de façon problématique, avec une femme, avant de décider que les hommes «lui manquent».

Les rencontres de Miranda avec des femmes ne sont pas mieux écrites et pas moins homophobes. L'épisode où elle fait semblant de sortir avec une femme dans l'espoir que ça l'aidera à devenir partenaire à son cabinet se termine par un baiser final pour bien montrer qu'elle est vraiment hétéro. Et rebeurk! Mais il y avait quelque chose, peut-être le côté queer de Cynthia Nixon dans la vraie vie, ou la décision de la costumière de l'habiller de façon exquise en costumes-cravates, qui me parlait vraiment. Est-ce qu'en réalité nous sommes beaucoup à nous retrouver dans un mélange de certaines des caractéristiques toxiques de chaque femme de Sex and the City? Certainement, mais ce n'est pas comme ça que ça fonctionne. Il ne faut n'en choisir qu'une. Alors j'ai choisi celle qui aimait les filles.

Régression

Dans la nouvelle version de Sex and the City, cependant, Miranda Hobbes n'est que l'ombre d'elle-même. (Attention, ça va spoiler.) La personnalité de ses copines semble s'être gravée dans le marbre depuis le dernier épisode de la série en 2004: Carrie est toute en jeux de mots et en battements de cils et Charlotte est toujours, eh bien, Charlotte. (Samantha vit à Londres et le célèbre quatuor est désormais un trio.) Mais Miranda semble avoir rétrogradé et régressé en la pire version possible d'elle-même.

Dans l'épisode pilote de And Just Like That, on apprend qu'elle a laissé tomber son boulot pour reprendre ses études et faire vaguement le bien. À son premier jour de classe, elle s'assoit sur une chaise et est rapidement informée par une autre étudiante que c'est la place du prof. Elle change de place et prévient à son tour une femme noire à tresses qui entre et s'assoit. Évidemment, cette femme, c'est la prof (Karen Pittman dans le rôle du Dr Nya Wallace).

C'est une Miranda raciste tellement déconnectée de la réalité qu'il est effarant de se dire qu'on a pu regarder la série d'origine et se dire «moi, je suis celle-là».

La conversation qui s'ensuit –et celles qui suivront– équivaut à une lente mise à mort par un millier de micro-agressions. Miranda fait sa Karen et montre du doigt les cheveux de Wallace pour tenter de justifier ses présupposés racistes sur l'apparence supposée d'une prof de fac. C'est douloureux à regarder. Dans une autre scène, elle hurle sur un vigile qui refuse de laisser Nya entrer dans un bâtiment du campus sans pièce d'identité, forçant Nya à lui expliquer qu'elle n'a fait qu'aggraver une situation qui n'aurait pas été toute une affaire (il ne laisse personne entrer sans pièce d'identité).

Sur un quai de métro, Miranda repousse un agresseur masqué qui essaie de voler le sac de Nya. Ensuite elle avoue honteusement n'être pas certaine d'avoir eu raison de l'aider, parce qu'elle ne voulait pas jouer encore une fois le rôle de «sauveuse blanche». La Miranda Hobbes de 2002 aurait su, dans ses tripes, que c'était la bonne chose à faire. Elle aurait dit quelque chose du genre «Oh mon Dieu, est-ce que ça va, quel gros connard», et aurait proposé d'aller boire un coup. Cynthia Nixon a vendu des goodies «Je suis une Miranda et je vote pour Cynthia» lorsqu'elle s'est présentée au poste de gouverneur de New York en 2018. Mais personne ne vote pour la Miranda de 2021.

J'ai beau aimer imaginer que je saurai vieillir avec classe, je sais que c'est sans doute un vœu pieu. Que mon moi de 50 ans ne sera probablement pas tout ce que le moi de 30 ans aimerait devenir. Je ne peux que prier pour m'en rapprocher. Et avant que vous ne me disiez «mais la série a toujours été comme ça! Regarde-la une nouvelle fois! C'est malaise city, USA!» D'accord, d'accord. Mais pour Charlotte et Carrie, le niveau de malaise reste le même quinze ans après. Charlotte qui ramène tout à elle à la mort de Mr Big. Carrie qui fait de grands discours pour savoir si oui ou non les filles vont commander... des frites. Tout ça, c'est à la fois dépassé et familier. Ce qui n'est pas familier, c'est une Miranda raciste tellement déconnectée de la réalité qu'il est effarant de se dire qu'on a pu regarder la série d'origine et se dire «moi, je suis celle-là».

La race moins l'antiracisme

Pour tenter de corriger la blanchité extrême de Sex and the City, de nouveaux personnages ont été introduits dans l'intrigue aux côtés des trois femmes. Carrie travaille avec une personne latina non-binaire qui coanime un podcast, Che Diaz (Sara Ramirez) et Charlotte est devenue amie avec Lisa Todd Wexley (Nicole Ari Parker), une réalisatrice de documentaire noire et maman en vue à l'école de leurs enfants. Aucune de ces relations n'a conduit Carrie ou Charlotte à citer des livres antiracistes à leurs nouvelles connaissances. Faire en sorte que ces femmes blanches et pétries de privilèges disent tout haut ce qu'il ne faudrait pas penser tout bas est un moyen futé d'aborder la question de la race dans une série qui ne l'a jamais, mais alors jamais fait. Pourtant, le fait que ce rôle soit échu à Miranda semble être un mauvais choix, mais bon, peut-être suis-je en train de prêcher pour ma paroisse et que je penserais autrement si je m'identifiais plus intimement à Carrie ou Charlotte.

Samantha Irby, une des autrices de And Just Like That, a confié à Deadline que les deux premiers épisodes «se penchent vraiment sur les sujets qui dérangent» et que la suite traitera de «l'amitié» grandissante entre Miranda et Nya. Et même si c'est cool, peut-être trop d'ailleurs, de la part de Nya de ne pas simplement envoyer Miranda se faire voir et lui ordonner de ne plus jamais lui adresser la parole, le mal est fait. Après avoir regardé ces deux premiers épisodes, je suis officiellement obligée de rendre ma carte de Miranda. Je vais peut-être aller faire un tour à Londres et ne plus jamais parler à mes amies. Tenter d'être Samantha un petit coup, pour voir.

cover
-
/
cover

Liste de lecture