Économie

Pour fêter le bilan de l'année boursière 2021, le champagne va couler à flots

Le retour de l'inflation et le variant Omicron ont un peu gâché la fin de l'année, mais 2021 a encore été un excellent cru boursier. Toutes les prévisions ont été dépassées –et ce n'est peut-être pas fini…

Les taux bas qui font le bonheur des investisseurs ont aussi pour effet d'accroître les inégalités patrimoniales. | Mads Eneqvist <a href="https://unsplash.com/photos/ks8pq99ai6g">via Unsplash</a>
Les taux bas qui font le bonheur des investisseurs ont aussi pour effet d'accroître les inégalités patrimoniales. | Mads Eneqvist via Unsplash

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Noël ne sera pas triste dans tous les foyers. Dans les salles de marché, contraintes sanitaires obligent, on ne sabrera pas le champagne sur place, mais les bonus de fin d'année seront coquets et tous les investisseurs pourront passer les réveillons sans regarder à la dépense sur les émissions de gaz à effet de serre. Jouez hautbois, résonnez cassettes, c'est la fête des dividendes et des plus-values.

Le choc provoqué au début de 2020 par l'épidémie de Covid-19 et les confinements en série à travers le monde n'ont finalement été que de courte durée. Dès la fin du mois de mars de cette même année, les cours ont commencé à remonter, et, dès le mois d'août, la bourse américaine battait de nouveaux records. En dépit de quelques phases de repli, le mouvement s'est poursuivi en 2021. Le 17 décembre, la Bourse de Paris enregistrait un gain de 24,7% depuis le début de l'année, ce qui la classe en bonne position par rapport aux autres bourses européennes et même par rapport à la bourse américaine, dont les trois principaux indices enregistrent des progressions un peu plus faibles: 23% pour le S&P 500, 15,5% pour le Dow Jones et 17,7% pour le Nasdaq Composite .

Si l'on regarde dans le détail, on constate que l'année n'a pas été excellente pour tout le monde dans les pays développés, avec une hausse limitée à 4% pour le Nikkei 225 au Japon, ni dans les pays émergents, notamment en Chine, avec un indice CSI 300 des grandes valeurs cotées à Shanghai et Shenzhen qui recule de près de 5%. Mais, globalement, la liste des pays où la bourse est en hausse, et souvent de façon très nette, dépasse largement celle des pays où elle a baissé. Le nombre de milliardaires, qui avait déjà fortement augmenté en 2020, devrait avoir encore progressé cette année.

Forte progression des bénéfices

La Bourse serait-elle complètement décorrélée de l'économie? Ce n'est pas aussi simple que cela. De fait, en matière de croissance du PIB, 2021 est une bonne année avec une moyenne en hausse de 5,9%, selon les dernières prévisions du FMI, après une chute de 3,1% en 2020. Et, surtout, constate Malik Haddouk, directeur de la gestion diversifiée au sein de la société de gestion d'actifs CPR AM, la progression de la bourse s'explique par celle des bénéfices des entreprises –et le phénomène a été d'autant plus remarqué par les investisseurs que ces dernières «ont réussi à préserver pour le moment leurs marges bénéficiaires, alors même que les salaires augmentent».

Croissance de l'activité, des salaires et des bénéfices: que demander de plus? Il serait pourtant erroné de croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes (sans même parler d'écologie!). Car la bourse bénéficie d'un phénomène très particulier: des taux anormalement bas, voire négatifs. Cette politique a été mise en place après la crise financière de 2007-2008 pour relancer l'économie et elle a été renforcée en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. Elle a permis d'éviter qu'un choc comparable à celui du krach de 1929 ne conduise à une dépression comme celle qu'avait connu le monde dans les années 1930. Mais les effets secondaires de ces mesures ne sont pas négligeables.

Merci aux banques centrales

Ce vendredi 17 décembre, le taux d'intérêt américain à dix ans s'établissait à 1,4%. Huit jours auparavant, on avait appris que la hausse des prix sur douze mois avait atteint les 6,8% à la fin novembre aux États-Unis. Conclusion: si vous prêtez de l'argent au Trésor américain, vous avez toutes les chances d'être largement perdant, à moins que les taux d'intérêt ne remontent très vite et que l'inflation ne retrouve un niveau plus faible, proche des 2%. Ce qui a peu de chances de se produire.

Auparavant, on considérait que les taux à court terme étaient déterminés par la politique monétaire de la Banque centrale et que les taux à long terme dépendaient principalement de la politique budgétaire: plus l'État avait de gros besoins d'emprunts, plus les prêteurs se montraient exigeants. À présent, on est dans un système où la Banque centrale contrôle à la fois les taux à court et à long terme. Et elle va continuer à le faire.

La Banque centrale contrôle à présent à la fois les taux à court et à long terme.

Même si tous les chefs d'État ou de gouvernement n'ont pas employé l'expression «quoi qu'il en coûte» pour appuyer leur action face à la double crise sanitaire et économique qui n'a épargné aucun pays en 2020, tous ont compensé le ralentissement de l'économie en ayant recours aux mêmes ressources: les aides publiques ont été massives et les États ont accru leur endettement.

Au total, la dette mondiale (publique et privée) a atteint dans le monde un niveau sans précédent à la fin de l'année 2020, selon les chiffres du FMI. La conclusion à en tirer est claire: les banques centrales feront tout ce qu'elles pourront pour éviter une forte remontée des taux d'intérêt, parce que les conséquences en seraient désastreuses.

Des risques limités

Les investisseurs l'ont bien compris. Ils font certes semblant d'avoir un peu peur quand les dirigeants de banques centrales se réunissent pour définir leur politique monétaire. Mais, en réalité, ils savent bien que les risques sont limités. Le 15 décembre, le comité de politique monétaire de la Réserve fédérale américaine a annoncé qu'il allait accélérer le rythme de réduction de ses interventions sur le marché obligataire (ce qui devrait faire remonter un peu les taux à long terme) et les prises de position de ses membres laissent présager trois hausses de 0,25% chacune du principal taux directeur en 2022. Il se trouve que c'est précisément ce qu'on anticipait dans les milieux financiers et, même après ces trois hausses, le taux de l'argent au jour le jour serait encore de 1% au maximum à la fin de l'année prochaine.

Le lendemain, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé elle aussi une réduction progressive de ses interventions, mais aucune hausse des taux n'est en vue et la politique un peu plus restrictive annoncée conservera sa «flexibilité», assure sa présidente Christine Lagarde.

Dans ces conditions, il est probable que les valeurs des actions vont rester attrayantes, au moins dans les prochains mois, tant que les entreprises continuent d'annoncer des résultats bénéficiaires conformes aux attentes, voire supérieurs à elles.

Économie de spéculation

Car, pour tous ceux qui ont des capitaux à placer, professionnels ou particuliers, les possibilités sont limitées. Avec des taux d'intérêt aussi bas et qui de surcroît sont de plus en plus inférieurs au taux de l'inflation, deux grandes classes d'actifs paraissent manifestement à privilégier en matière d'investissement: les actions et l'immobilier. Ce qui a pour conséquence d'«accroître les inégalités patrimoniales et l'enrichissement immérité, de transformer les économies en économies de spéculation», ainsi que le constate l'économiste Patrick Artus.

Les taux bas ont pour conséquence d'«accroître l'enrichissement immérité et de transformer les économies en économies de spéculation».
Patrick Artus, Natixis, 1er décembre 2021

Cette économie de spéculation se retrouve dans d'autres domaines: les gains rapidement obtenus en bourse permettent des achats sur d'autres marchés, tels que le marché de l'art, en très bonne santé, ou celui des NFT, les non fungible tokens, qui avait déjà enregistré cette année près de 27 milliards de dollars de transactions au début de décembre. Question: qui a les moyens de s'acheter des baskets virtuelles à plusieurs milliers de dollars?

La bourse a toutefois cette particularité que, à la base, elle repose sur des actions, c'est-à-dire des titres de copropriété d'entreprises qui ne sont pas virtuelles, mais dont l'existence est tout ce qu'il y a de plus réel. Ses excès finissent toujours par être sanctionnés. Les exemples récents fourmillent, mais les plus spectaculaires se trouvent dans le secteur automobile où le succès de Tesla a suscité bien des vocations.

Valorisations boursières extravagantes de courtes durées

Le 3 juin 2020, on était à la veille de la première cotation de Nikola, un fabricant de camions à hydrogène, qui n'en avait encore jamais construit un seul, mais dont beaucoup d'investisseurs attendaient monts et merveilles: on rappelait que le titre Tesla s'échangeait alors autour de 882 dollars, soit un gain de 104% en un an et de 5.088% depuis son introduction en bourse en 2010.

Nikola pourrait-il suivre le même parcours? De fait, le 4 juin, le titre terminait sa première séance de cotation à 33,75 dollars, et, cinq jours plus tard, il était au sommet, à près de 80 dollars. La société était alors valorisée à un montant supérieur à celui de Ford. Les séances suivantes ont été plus chaotiques, mais, début août, l'entreprise Nikola avait encore une valeur boursière de 13 milliards de dollars pour un chiffre d'affaires de 80.000 dollars au premier semestre… En septembre, on apprenait que le spot publicitaire montrant un camion Nikola rouler était une tromperie: en réalité, ce camion avait été tiré jusqu'au sommet d'une côte qu'il a ensuite dévalée au point mort. Le titre a aussitôt perdu 10% et le fondateur a dû démissionner. L'action Nikola s'échange maintenant autour de 10 dollars et l'on attend toujours le premier camion qui devrait arriver sur le marché avant le fin de l'année.

Les exemples comparables (tromperie et mensonges en moins) ne manquent pas. On pourrait citer parmi d'autres Lordstown, fabricant de pick-up électriques, introduit en bourse en octobre 2020, qui a été coté juste en dessous de 19 dollars le premier jour, qui a grimpé à plus 30 dollars en février et qui peine aujourd'hui à se maintenir au-dessus de 4 dollars.

Rivian contre Tesla

Mais l'histoire la plus suivie aux États-Unis en ce moment est celle de Rivian, une entreprise introduite au Nasdaq en novembre dernier et qui s'est hissée en deux jours à la huitième place des constructeurs automobiles avec une capitalisation boursière dépassant 100 milliards de dollars devant BMW et Ford, alors qu'elle venait tout juste de produire les premiers exemplaires de son pick-up électrique et qu'elle n'avait pas encore livré ses premiers SUV (ce qui est désormais chose faite). Grimpé jusqu'à 179 dollars le 16 novembre, le cours du titre est redescendu en dessous de 100 dollars et vaut donc moins qu'au premier jour de sa cotation.

On peut aussi rappeler que Tesla, qui a atteint une capitalisation boursière dépassant celle de tous les autres constructeurs réunis, bien avant d'avoir franchi le cap du million de voitures vendues en un an, est en repli: après avoir dépassé 1.200 dollars début novembre, le cours de son titre est revenu le 17 décembre à 932 dollars. Il faut dire que, depuis début novembre, son fondateur et principal actionnaire a vendu pour 14 milliards de dollars de titres de son entreprise…

Euphorie aussi dans le non coté

Mais les fantaisies boursières ne doivent pas faire oublier le formidable développement du private equityprivate étant ici l'opposé anglais de public, qui désigne les sociétés cotées. Toutes les liquidités déversées par les banques centrales ne se retrouvent pas en bourse: elles vont aussi se loger dans les fonds d'investissement qui achètent et vendent des participations, voire le contrôle d'entreprises, en essayant à chaque fois de réaliser de confortables plus-values qui leur permettent de promettre aux investisseurs des rendements mirifiques de 15% ou 20% l'an.

Ces marchés représentent maintenant une masse de près de 10.000 milliards de dollars, selon une étude publiée par la Banque des règlements internationaux (BRI) le 6 décembre 2021. Aux investisseurs qui se bousculent, on promet une gestion à long terme, mais, en fait, estiment les experts de la BRI, ces marchés «privés» sont aussi procycliques que les marchés publics d'actions ou d'obligations; en d'autres termes, ils suivent les mêmes cycles de hausse et de baisse que les marchés boursiers et sont aussi volatils. Ce qui n'est guère rassurant pour la stabilité financière mondiale.

Au lieu de taper sur le CAC 40, on devrait se féliciter d'avoir des marchés publics qui assurent la transparence d'une partie de notre système financier.

Le problème du private equity est que, par définition, il n'est pas public. De temps en temps, on apprend qu'un grand fonds comme Blackstone ou KKR sort de telle ou telle grande entreprise ou entre dans telle autre, mais l'information sort peu en dehors du cercle des spécialistes. Or, dans certains secteurs, il y a des entreprises non cotées dont on parle très peu et qui, pourtant, jouent un rôle important à l'échelle internationale; éventuellement, on parle d'une entreprise comme Ikea, parce qu'elle s'adresse au grand public, mais on a très peu d'informations sur sa situation financière et ses profits, et le silence règne sur bien d'autres grandes sociétés.

En fin de compte, au lieu de toujours taper sur le CAC 40 qui, si l'on excepte quelques valeurs comme LVMH ou L'Oréal, pèse assez peu en matière de capitalisation boursière par rapport aux grands groupes cotés à New York (plus de 2.800 milliards de dollars pour Apple contre un peu moins de 400 milliards pour LVMH), on devrait se féliciter d'avoir des marchés «publics», au sens anglo-saxon du terme, qui nous permettent de savoir ce qui se passe dans une partie de notre système financier.

On a pu voir cette année, notamment dans le secteur des télécommunications, des entreprises quitter la bourse parce que leurs dirigeants estimaient qu'elles y étaient mal valorisées (Patrick Drahi a ainsi fait sortir Altice Europe de la bourse d'Amsterdam le 26 janvier dernier). D'autres font le choix délibéré de se tourner vers le private equity pour ne pas avoir à fournir d'informations sur leurs finances ou pour ne pas dévoiler leur stratégie. Quoi que l'on pense de ce qui se passe en bourse, on n'aurait rien à gagner à ce que la finance «privée» devienne encore plus puissante.

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