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Drame d'Angers: qu'est-ce qui fait s'effondrer un balcon?

«Tiens, on est 17 sur 10m² suspendus. Et si ça s'effondrait?»

Temps de lecture: 3 minutes

Dans la nuit du samedi 15 au dimanche 16 octobre, l'effondrement d'un balcon a fait quatre morts et quatorze blessés à Angers. Les causes de cet effondrement ne sont pas connues pour l'instant. Voici un article sur le sujet que nous avons publié en 2010.

Mon oncle a la phobie des balcons. Je n'ai jamais compris pourquoi ni comment, mais j'ai compris très vite qu'il valait mieux m'ôter de la tête l'idée de mettre un doigt de pied sur un balcon en sa présence. Les acrophobes -phobiques des hauteurs et du vide- le comprennent sans doute, eux qui à l'idée de s'accouder à la rambarde d'un balcon transpirent comme des coureurs du Tour de France et se voient déjà en bas. Mais petit test. Au beau milieu d'une soirée au 4e étage d'un immeuble, vous vous retrouvez, autour des joies du tabagisme, serré avec 17 personnes sur un balcon de 10 mètres carrés. Et là, n'allez pas dire que jamais, jamais l'idée ne vous a effleuré l'esprit que le balcon pourrait -BAM- s'effondrer.

Que jamais vous n'avez imaginé ce que SmokeEnders s'est chargé d'illustrer dans cette vidéo, en concluant sur les dangers de la cigarette sur la santé:

Hors fiction, des balcons se sont effondrés -entre autres- à Chicago, ou plus près de nous en Seine-et-Marne et dans les Hauts-de-Seine. Donc mauvaise nouvelle: oui, les balcons peuvent réellement se dérober sous nos pieds, s'il y a «évolution imprévue des conditions d'usage», explique Pierre Carlotti, adjoint au Directeur technique du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).

Au préalable à la construction, toutes les expertises sont réunies pour votre sécurité. Il y a d'abord un architecte pour déterminer l'usage raisonnable d'un balcon et un ingénieur pour effectuer les calculs. Un balcon, construit comme un prolongement du plancher, en porte-à-faux à l'extérieur de l'immeuble, est une structure vulnérable, sans doute la plus dangereuse qui existe dans le bâtiment. D'après Claude Baloche, chef du département sécurité, structures et feu au CSTB, «un balcon, qui doit pouvoir accueillir plusieurs personnes est calculé pour un minimum de 350 kg par mètre carré». 350 kg, il faudrait donc faire tenir sur 1m² disons deux grands rugbymans de 100 kg et trois crevettes de 50 kg.

Plutôt rassurant, non? Sauf que cette décision du binôme architecte-ingénieurs peut remonter à loin... et atteindre sa date de péremption? «Si un immeuble a été construit dans les années 60 en pensant que cela servirait à quelques personnes qui se tiennent debout et regardent le paysage, et qu'aujourd'hui arrive un nouveau locataire qui décide d'y mettre sa machine à laver et des jardinières très lourdes... oui c'est problématique.»

La machine à laver -oui, certains n'ont pas peur-, les jardinières... et Monsieur l'architecte de 1960 n'avait peut-être pas prévu non plus:

  • La fin du règne des fumeurs, la prise de pouvoir des hôtes «Ça te dérange pas de fumer dehors?» et récemment la loi sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics de 2008: que faire des groupes condamnés à griller leur clope à l'extérieur?
  • Les fans autoproclamés de la cigarette sur le balcon réunis en groupes Facebook (mais qui aurait pu le prévoir?)
  • L'obésité qui a triplé en l'espace de deux décennies seulement. 20 % de la population en Europe en 2010, 14,5 % en France, contre 8,5 % en 1997...

On évite d'imaginer un balcon peuplé de fumeurs obèses. On s'inquiète à nouveau? «En réalité, poursuit Charles Baloche, un groupe, même dense, pèse moins de 300 kg au mètre carré. L'évaluation est majorée pour tenir compte des mouvements, qui augmentent la charge». Cette exagération des calculs serait devenue une habitude aujourd'hui. Donc ne pas danser le rock ou sauter sur son balcon, mais à part ça, sécurité assurée, si l'on en croit les purs calculs.

Et les balcons très anciens? Quand on voit «1870» inscrit sur la façade, forcément, on prend peur. Il n'y a pas de quoi: le temps n'affaiblit pas les structures, promet l'ingénieur Pierre Carlotti, et les éventuels symptômes apparaissent bien avant que le risque ne soit réel.

Les vieux balcons haussmaniens, du haut de leur 150 ans, sont donc fiables car «extrêmement robustes», assure Olivier Dufau, architecte spécialiste de Paris. Ce serait même une évidence «puisqu'il accueillaient un sacré paquet de monde quand il fallait regarder les défilés des militaires.»

Les facades haussmaniennes méritent qu'on s'y attarde 3 minutes. On repère les «vrais» immeubles haussmaniens à leur respect scrupuleux des consignes sur l'aspect esthétique des facades du Baron Haussmann, qui avait voulu les balcons réservés seulement au 2e et au 5e étage. Au 2e parce que c'est l'étage «le plus noble»: assez loin du bruit et de la pollution, sans trop d'étages à monter, avant l'apparition de l'ascenseur en 1870. Et au 5e un balcon filant, c'est-à-dire sans interruption d'une extrémité à l'autre de l'immeuble. Tout ça étant au départ un choix esthétique entraînant des différences de construction, mais pas réellement de résistance.

Ces constructions haussmaniennes subsistent jusqu'en 1920. En 1950, la construction en béton armé se généralise. Tous les effondrements de balcons cités plus haut sont ceux de balcons construits en béton armé. Le neuf serait moins fiable que le vieux?

En tout cas, les normes les plus récentes devraient modifier les calculs actuels. Car la construction des balcons va se compliquer. «Les solutions bonnes il y a 10 ans ne le seront bientôt plus », explique Carlotti. D'abord parce qu'on est à la veille d'une réglementation sismique qui va renforcer les exigences dans beaucoup de régions françaises...Vous n'y aviez pas pensé à ça. Double panique pour les acrophobes. Et le Grenelle de l'environnement rajoute son grain de sel, avec une réglementation thermique pour 2012 qui va devoir «passer à la moulinette de la vérification» beaucoup de structures de balcons.

En attendant jetez un oeil à votre réglement de copropriété qui vous donnera la charge maximale à ne pas dépasser, fumeurs comptez-vous sur les balcons, et acrophobes... accrochez-vous.

Merci à Pierre Carlotti, adjoint au directeur technique du CSTB, Damien Antoni, architecte et Olivier Dufau, architecte.

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