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Comment la gauche américaine peut reconquérir la classe ouvrière

Une étude expérimentale menée aux États-Unis pourrait bien inspirer les candidats français à quelques mois de l'élection présidentielle.

Les électeurs issus de la classe ouvrière sondés sont notamment plus attirés par les candidats qui évitent la rhétorique militante. | Dyana Wing So <a href="https://unsplash.com/photos/Og16Foo-pd8">via Unsplash</a>
Les électeurs issus de la classe ouvrière sondés sont notamment plus attirés par les candidats qui évitent la rhétorique militante. | Dyana Wing So via Unsplash

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Jacobin, un magazine socialiste basé à New York, a collaboré avec YouGov et le Center for Working-Class Politics pour étudier le comportement électoral de la classe ouvrière aux États-Unis et la relation entre les électeurs qui la composent et les politiques progressistes. Un travail riche d'enseignements qui donne des clés de compréhension à un an d'élections de mi-mandat à haut risque pour le Parti démocrate et à quelques mois de l'élection présidentielle française où la gauche semble à la peine.

Au cours des cinq dernières années, une gauche rajeunie s'est imposée comme une force puissante dans la politique américaine. Inspirés par la course présidentielle du sénateur Bernie Sanders en 2016, les challengers démocrates progressistes ont su mobiliser donateurs et bénévoles et remporter un éventail impressionnant d'élections locales et étatiques. Des conseils municipaux et des législatures d'État aux salles du Congrès, le succès électoral de cette nouvelle gauche est l'une des grandes histoires politiques du moment.

Et pourtant, pour la plupart, ces triomphes progressistes ont été concentrés dans des quartiers relativement riches et fortement démocrates. Même lorsqu'ils ont remporté des primaires dans des quartiers populaires, ils l'ont généralement fait sans augmenter la participation totale ni gagner de nouveaux électeurs issus des classes ouvrières. Dans l'ensemble, ils n'ont pas encore tenu une promesse clé de leurs campagnes: transformer et élargir l'électorat démocrate. Cela pose un défi majeur à tout espoir d'un réalignement politique national progressiste.

Un électorat indispensable

Des victoires récentes dans des zones comme Chicago, Los Angeles et New York suggèrent que les candidats de gauche pourraient continuer à remplacer les Démocrates modérés dans les quartiers urbains démographiquement favorables, ce qui pourrait conduire à des changements politiques au niveau municipal ou étatique. Mais le tableau national est moins prometteur. Il n'y a tout simplement pas assez de districts de ce type pour prendre le contrôle de la Chambre des représentants des États-Unis, sans parler du Sénat. Pour obtenir la majorité nécessaire pour adopter un système universel d'assurance-maladie, ou l'un des autres éléments importants de l'agenda social-démocrate, les candidats progressistes devront gagner dans un éventail beaucoup plus large d'endroits. Jusqu'à ce qu'ils le fassent, leur influence politique restera fortement limitée.

Une hypothèse centrale du Center for Working-Class Politics est la suivante: la gauche ne peut étendre son attrait –et atteindre ses objectifs politiques– qu'en gagnant une plus grande part du soutien des électeurs de la classe ouvrière. Deux éléments soutiennent ce point de vue. Premièrement, elle constitue une part importante de l'électorat américain. Pendant une grande partie du XXe siècle, ces électeurs moins diplômés et à faibles revenus étaient pour la plupart des Démocrates fidèles. Mais depuis les années 1970, et plus rapidement au cours de la dernière décennie, une grande partie s'est éloignée de ce parti. En regardant vers l'avenir, il est difficile d'imaginer une coalition progressiste victorieuse qui n'inverse pas cette tendance.

Deuxièmement, la classe ouvrière a une relation particulière avec les politiques progressistes puisque c'est elle qui devrait bénéficier le plus des réformes égalitaires et redistributives. Historiquement, les plus grands triomphes des progressistes américains au XXe siècle –du New Deal au Mouvement pour les droits civiques et à la Great Society– n'ont été obtenus qu'avec une base solide de soutien de ce milieu. Il en va de même pour les réalisations sociales-démocrates à l'étranger. Une politique progressiste qui ne s'étend pas à ces électeurs risque de se détacher de la force centrale qui a propulsé les réformes égalitaires à travers le monde.

 

Les points clés de l'enquête

Cette étude expérimentale offre une perspective nouvelle sur les opinions politiques de la classe ouvrière américaine. En leur demandant de choisir directement entre différents profils de candidats hypothétiques –plutôt que des politiques ou des slogans isolés– il est possible de développer un portrait plus riche et plus réaliste des attitudes de ces électeurs que les sondages conventionnels ne peuvent fournir. Et en présentant cette enquête à un groupe représentatif de 2.000 personnes issues de ce groupe démographique dans cinq États clés –un échantillon beaucoup plus important que celui qui apparaît dans la plupart des sondages– la concentration sur cet électorat est plus forte.

Les principaux points à retenir de cette enquête, énumérés brièvement ci-dessous et discutés plus en détail dans le rapport complet, peuvent éclairer les futures campagnes progressistes.

 

  • Les électeurs issus de la classe ouvrière préfèrent les candidats progressistes qui se concentrent principalement sur des problèmes économiques de base et qui les définissent en termes universels. Cela est particulièrement vrai en dehors des régions pro-démocrates du pays. Les candidats qui donnent la priorité aux questions essentielles (emplois, soins de santé, économie) et les présentent dans une rhétorique simple et universaliste, ont obtenu de bien meilleurs résultats que ceux qui avaient d'autres priorités ou utilisaient un autre langage. Cette tendance générale était encore plus importante dans les zones rurales et les petites villes, où les Démocrates étaient à la peine ces dernières années.

 

  • Les messages de campagne progressistes populistes et basés sur les classes séduisent ces électeurs au moins aussi bien que les messages démocrates traditionnels. Les candidats qui ont désigné les élites comme une cause majeure des problèmes de l'Amérique, invoqué la colère contre le statu quo, et célébré la classe ouvrière ont été bien accueillis par les sondés.

 

  • Les progressistes n'ont pas besoin d'abandonner les questions de justice sociale pour gagner cet électorat, mais certaines rhétoriques identitaires sont un handicap. Les sondés potentiellement démocrates n'ont pas craint les candidats fortement opposés au racisme. Mais les candidats qui ont formulé cette opposition dans un langage hautement spécialisé et axé sur l'identité s'en sont tirés nettement moins bien que les candidats qui ont adopté un langage populiste ou dominant.

 

  • Les candidats issus de la classe ouvrière sont plébiscités. L'origine ethnique ou le sexe d'un candidat n'est pas un handicap. Cependant, le passé de classe supérieure d'un candidat en est un. Les antécédents de classe sont donc importants.

 

  • Les non-votants de la classe ouvrière ne sont pas automatiquement progressistes. Rien ne permet de confirmer l'idée qu'ils ne voteraient pas parce qu'ils ne verraient pas les points de vue suffisamment progressistes reflétés dans les plateformes politiques des candidats traditionnels.

 

  • Les sondés sont particulièrement sensibles aux messages des candidats –et réagissent encore plus vivement aux différences entre le langage populiste et «woke». Ils sont plus attirés par les candidats qui mettent l'accent sur les problèmes du quotidien et qui évitent la rhétorique militante.
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