Société

Pourquoi y a-t-il autant de militaires dans les groupes d'ultradroite?

Les profils de militaires ou ex-militaires ressortent avec insistance dans les dernières affaires de terrorisme d'extrême droite. La tendance n'est ni neuve, ni surprenante.

Des soldats français attendent au sommet du mont Ventoux lors de la 11e étape de la 108e édition du Tour de France, le 07 juillet 2021. | Anne-Christine Poujoulat / AFP
Des soldats français attendent au sommet du mont Ventoux lors de la 11e étape de la 108e édition du Tour de France, le 07 juillet 2021. | Anne-Christine Poujoulat / AFP

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Ils sont là, ils sont partout. Le profil de militaires ou ex-militaires ressort avec insistance dans les dossiers de cellules terroristes ou proto-terroristes démantelées ces dernières années par les forces de sécurité. La tendance n'est toutefois pas neuve, rappelle l'historien et politologue Stéphane François. Notamment, souligne le spécialiste de l'extrême droite, car pour qui ambitionne de mener la «guerre civile raciale» ou de prendre le pouvoir par la force, le besoin de s'attacher à des membres des forces armées est une évidence.

L'affaire la plus récente concerne «Recolonisation France», cellule dont treize membres ont été interpellés fin novembre et qui comptait dans ses rangs un colonel de gendarmerie en poste dans les Yvelines et plusieurs militaires, selon BFMTV. Quelques jours plus tôt, Le Monde révélait que deux hommes, dont un caporal du 35e régiment d'infanterie de Belfort, étaient arrêtés par les douaniers qui ont découvert en perquisition 130 armes, dont des fusils d'assaut AR-15 et AK-47, des pistolets-mitrailleurs, des armes de poing, des fusils à pompe, 200 kilos de munitions diverses, des grenades et même cinq cartouches de 20 mm pour des mitrailleuses d'avion... Ainsi que «de la documentation néonazie typique».

Quelques jours plus tard, les juges antiterroristes ont ordonné qu'Aurélien C., ancien militaire reconverti dans la sécurité, soit renvoyé devant un tribunal. Son procès est prévu du 26 au 28 janvier prochain. Il est soupçonné d'avoir «progressivement nourri un projet criminel et s'[être] donné les moyens de parvenir à ses fins». Selon nos informations, cet homme était également cité dans la procédure de dissolution de Génération identitaire (GI). Il avait déjà été interpellé en décembre 2018 «à la suite de propos menaçants tenus sur Facebook». Avaient alors été découverts chez lui deux armes de poing et que des autocollants de GI. Rebelote en mai 2020, donc, mais cette fois pour «association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste». Au cours de la perquisition, les enquêteurs avaient cette fois mis la main sur «un pistolet-mitrailleur et ses munitions, des explosifs improvisés ainsi qu'un tee-shirt de Génération identitaire». Cela «démontr[erait] la permanence de son attachement à cette association et les risques de passage à l'acte au nom de la cause identitaire», selon le ministère de l'Intérieur.

Fin septembre, c'était un réseau terroriste mis sur pied par le complotiste (et admirateur du Troisième Reich) Rémy Daillet-Wiedemann qui était démantelé. Les enquêteurs ont pu identifier des dizaines de militants, dont «beaucoup de policiers, gendarmes et militaires en activité», selon Le Parisien qui dévoilait l'information. Libération nous apprenait quant à lui que les chefs de la branche armée du groupe qui comptait prendre le pouvoir par un coup de force étaient un ancien officier et un ancien sous-officier de l'armée.

Ce type de profils est récurrent dans le terrorisme d'extrême droite

Pour autant, dans d'autres dossiers, des arrestations ont visé des groupes a priori sans lien avec des militaires. C'est le cas de ces trois survivalistes de la région de Saint-Étienne, des suspects déjà identifiés comme appartenant à la mouvance d'ultradroite (un terme policier désignant la mouvance radicale violente), qui avaient accumulé un «véritable arsenal de guerre» d'après le commandant divisionnaire fonctionnel Éric Simon, cité par Franceinfo.

Des militaires sont aussi victimes de cette forme d'action violente. Trois gendarmes ont ainsi été tués par Frédérik Limol en décembre 2020. Initialement présenté par erreur comme un survivaliste, l'homme était surtout raciste, complotiste et violent, selon son ex-femme. Il s'agissait aussi d'un catholique extrémiste, selon le procureur de la République de Clermont-Ferrand, d'un radicalisé de droite, surarmé, pour qui «l'État français était un gouvernement illégitime» et qui a tout fait pour emmener avec lui dans la mort un maximum de membres des forces de l'ordre.

Bien que des projets ou des cibles précises n'aient pas été mis en évidence dans toutes ces affaires, toutes comprennent bien, outre une composante violente, une dimension ultradroitière. Le prouvent la documentation, les affiches et divers objets néonazis ou d'extrême droite saisis lors des perquisitions, ainsi que le fait que les suspects soient pour certains déjà fichés. Une source judiciaire confirme également la présence récurrente de ce type de profils parmi les mis en cause dans des affaires de terrorisme d'extrême droite.

«Une composante séditieuse au sein des forces armées»

Si elles semblent se multiplier, les affaires comportant des mis en cause passés ou encore en poste au sein de l'armée ne sont toutefois pas une nouveauté. «Ces liens entre extrême droite et armée se retrouvent même dès le début du XXe siècle, explique l'historien Stéphane François, en raison de valeurs communes, par exemple leur peu de sympathie pour la démocratie parlementaire et leur appétence pour l'ordre, le patriotisme ou même le nationalisme, tout autant que du fait de traditions ancrées chez les vieilles familles catholiques traditionalistes.»

N'est-il pas contradictoire que des soldats engagés au service de la patrie se retrouvent mêlés à des projets violents contre l'ordre républicain? «Non, et il existe même une composante séditieuse au sein des forces armées, affirme Stéphane François. Si la hiérarchie est légaliste, une partie des officiers et sous-officiers sont de tradition d'extrême droite... Certains vont même conchier la patrie, tout en pensant servir la “vraie” France.»

C'est bien sûr la tristement célèbre Organisation armée secrète (OAS) qui, dans les années 1961-1962, avait mis sur pied une cinquième colonne paramilitaire ralliant de l'homme de troupe au général en retraite. L'action de ce groupe clandestin a fait plus de 2.700 victimes. Mais, rappelle Stéphane François, ce sont aussi les frères Sidos, collabos qui ont recruté des membres des forces armées après la guerre, de même qu'Ordre nouveau dans les années 1970-1980. Ces néofascistes s'entraînaient au tir en forêt, où il avaient également des caches d'armes.

Plus récemment, en 2018, était démantelé le réseau terroriste AFO (Action des forces opérationnelles), dont les membres voulaient empoisonner de la nourriture halal, «grenader» des femmes voilées ou tuer des imams. «La décision d'arrêter une dizaine de membres» de ce groupe très structuré «a été prise après qu'ils ont testé des grenades en forêt», révèle le chercheur Nicolas Lebourg. Le spécialiste, s'appuyant sur des documents d'enquête ou classifiés, précise que «AFO attire l'attention par les profils de ses militants: des seniors, pour bon nombre d'anciens policiers ou militaires».

Le groupe avait spécifiquement orienté une partie de sa propagande pour tenter de recruter des membres ou anciens membres des forces armées. Un site internet y était même dédié, intitulé «Guerre de France», transcription transparente de leurs fantasmes de guerre civile raciale larvée qui serait selon eux déjà à l'œuvre sur le territoire national.

«Recruter des partisans aptes à enseigner ou pratiquer le combat est une évidence pour ces mouvements», souligne Stéphane François. Et ce n'est pas l'apanage des seuls réseaux clandestins: «Chez les identitaires, les entraînements de sports de combat étaient ainsi assurés par des militaires ou anciens militaires.»

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