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Comment sont identifiées les victimes du naufrage dans la Manche

Après la mort de vingt-sept personnes exilées lors d'une traversée, les associations font leur possible pour appuyer l'identification des disparus et contacter leurs proches.

Des journalistes observent un canot pneumatique déchiré, le 25 novembre 2021, près de la plage de Wimereux (Pas-de-Calais), d'où partent les migrants pour traverser la Manche sur des bateaux pneumatiques afin de tenter de rejoindre l'Angleterre. | François Lo Presti / AFP
Des journalistes observent un canot pneumatique déchiré, le 25 novembre 2021, près de la plage de Wimereux (Pas-de-Calais), d'où partent les migrants pour traverser la Manche sur des bateaux pneumatiques afin de tenter de rejoindre l'Angleterre. | François Lo Presti / AFP

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Une semaine après le drame, les informations concernant le naufrage arrivent au compte-gouttes. Dans la ville de Calais, la priorité est de répondre à cette question: «Quelle est l'identité des victimes?» Pour l'instant, les dépouilles des vingt-sept personnes exilées présentes lors du naufrage de mercredi 24 novembre dans la Manche se trouvent à l'institut médico-légal (IML) de Lille.

Selon plusieurs sources concordantes, la première victime identifiée est Maryam Nouri, une jeune femme kurde de 24 ans qui tentait de rejoindre son fiancé au Royaume-Uni. «Elle l'avait appelé pour lui dire que le bateau connaissait des difficultés. Lorsque la communication a été coupée, il a pris contact avec la police pour signaler la disparition de sa fiancée», déroule François Guennoc, président de l'association L'Auberge des migrants, à Calais.

Cette tragédie est le pire drame migratoire dans la Manche, sillonnée régulièrement par des migrants tentant de rallier les côtes anglaises à bord de «small boats» –fragiles embarcations. «Ce sont des bateaux de mauvaise qualité, une couture a pu se décoller», avance l'associatif sur les circonstances du drame. L'identification des victimes revient en principe à la gendarmerie qui travaille à partir de documents ou d'alertes données par des exilés.

En relation avec les autorités, un «groupe décès» rassemblant une quinzaine d'associations présentes à Calais s'active aussi en coulisse. Son objectif: appuyer l'identification des victimes, contacter les familles des disparus, organiser leur enterrement ou leur rapatriement de façon digne. «Ce groupe a été constitué en 2017 pour faire face aux décès de personnes exilées qui se sont enchaînés sur le littoral. On se retrouvait souvent démunis et les autorités n'étaient pas toujours à la hauteur», se souvient Diane Léon, coordinatrice sur le littoral pour Médecins du monde.

336 morts à la frontière depuis 1999

Après une disparition, le «groupe décès» se réunit dans la foulée pour se répartir les tâches sur le terrain. Décochant quelques piques aux journalistes arrivés en nombre et qui créent un climat «anxiogène», Diane Léon décrit une atmosphère lourde sur le terrain: «Actuellement, des familles cherchent des proches dont elles n'ont plus de nouvelles. Certaines d'entre elles nous ont contactés. En maraude, ce vendredi, on a rencontré des personnes qui étaient très inquiètes.»

Depuis 2018, le nombre de traversées de la Manche a augmenté face à la sécurité renforcée autour du port de Calais et d'Eurotunnel, que les migrants empruntaient en se cachant dans des véhicules. Avec les victimes du récent naufrage, le nombre de morts recensés à la frontière franco-britannique depuis 1999 passe à 336. «Ces personnes sont décédées à cause des politiques mises en place aux frontières, regrette Diane Léon. Nous, on se positionne en soutien et on pallie l'absence de considération de la part des autorités

En complément du travail des associations sur place, la mission très ancienne du rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge française joue un rôle important pour aider les autorités dans l'identification des corps et informer les familles. Dès l'annonce du naufrage, la structure située à Montrouge a utilisé son réseau international pour faire circuler la nouvelle auprès des autres sociétés nationales (Croix-Rouge et Croissant-Rouge) et des délégations du Comité international de la Croix-Rouge à travers le monde.

«Nous leur avons dit qu'elles pouvaient orienter vers nous les proches des victimes afin que l'on puisse récolter les premières informations et quelques éléments d'identification», détaille Florence Boreil, responsable du pôle de rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge française. Avec l'accord des familles concernées, la mission transmet les premières données aux autorités chargées d'identifier les corps et c'est ensuite à elle de prendre contact avec les proches. «Nous ne nous substituons pas à ce que fait la gendarmerie, mais on vient compléter», reprend-elle.

L'identification des victimes «peut prendre dix jours, quinze jours, un an».
Samad Akrach, responsable de l'association Tahara

En parallèle, les associations calaisiennes attendent d'éventuelles indications fournies par les deux survivants du naufrage, qui ont été entendus par les autorités. «La police semble plus occupée à leur poser des questions pour essayer de trouver des passeurs», peste le représentant de L'Auberge des migrants. Selon François Guennoc [contacté le 27 novembre, ndlr], les deux survivants ont été placés au centre de rétention administrative de Coquelles la semaine dernière, mais il ignore où ils se trouvent actuellement.

Leurs témoignages pourraient être d'autant plus précieux qu'il est souvent difficile de se fier aux papiers d'identité des défunts, détruits dans le naufrage ou bien laissés en France. Face aux conditions d'accueil délétères, il se peut qu'une fois arrivés au Royaume-Uni, les exilés fassent une déclaration qui ne correspond pas forcément à ce qui est inscrit sur leurs papiers afin d'augmenter leurs chances d'obtenir l'asile. «Par exemple, des Éthiopiens –où une guerre est pourtant en cours– vont se déclarer Érythréens», illustre François Guennoc.

Des collectes organisées pour les funérailles

Lorsque les associations obtiennent des indications sur l'identité d'une personne disparue, elles veillent à ce que la famille soit contactée en amont avant de les publier. Le président de L'Auberge des migrants explique l'importance de cette précaution: «L'année dernière, quand une famille kurde s'est noyée, la presse britannique a dévoilé l'information qui a ensuite été reprise par la presse iranienne. C'est comme cela que les proches des victimes l'ont appris.»

Après le drame de ce 24 novembre, le «groupe décès» a demandé au gouvernement français de prendre en charge les obsèques, tout le travail de contact avec les familles, etc. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a répondu ce mardi 30 en annonçant que l'État «prendra à sa charge l'inhumation des victimes».

La procédure d'inhumation est habituellement la suivante: soit les proches ont les moyens de la prendre en charge, soit les associations lancent des collectes. «Pour Yasser, jeune Soudanais de 20 ans écrasé par un camion sur lequel il essayait de monter clandestinement, le Secours catholique s'en est occupé», expose François Guennoc. Généralement, le Secours catholique avance les fonds et se fait rembourser après. «À quelques exceptions près, c'est souvent assez difficile de réunir l'argent», note-t-il.

Les funérailles représentent une somme importante: un rapatriement coûte 6.000 euros et il faut compter 2.000 euros pour enterrer un mort de façon digne. Lorsque l'on ne parvient pas à identifier une personne, elle est automatiquement placée au carré musulman du cimetière de Calais car «plus de 80%» des exilés sont de cette confession.

Par ailleurs, les associations peuvent compter sur un réseau de solidarité, comme le souligne François Guennoc: «Les pompes funèbres de Dunkerque, société créée par une personne venant d'Afrique du Nord, fait des prix pour les migrants décédés.» Ce vendredi 26, Samad Akrach, responsable de l'association Tahara qui enterre toute l'année indigents et migrants gratuitement, a fait le déplacement à Calais.

Après le naufrage, son organisation a été contactée pour aider sur ce dossier. «Je suis appelé régulièrement pour faire cela», raconte Samad Akrach, aide-soignant et spécialisé dans la prise en charge des personnes décédées. Pour l'instant, l'association attend que les corps soient identifiés. «Cela peut prendre dix jours, quinze jours, un an.» D'autant que le fonctionnement des instituts médicaux-légaux ne facilite pas le travail d'identification des naufragés. Selon la législation actuelle, seule la famille du défunt peut réaliser les démarches pour retirer le corps.

Or, nombre de personnes exilées ne possèdent pas de famille en France. Ce sont souvent les bénévoles et les Calaisiens qui viennent aux obsèques. Après l'annonce d'un décès, un rassemblement a lieu au parc Richelieu. Ces deux derniers mois, trois personnes ont été inhumées dans cette ville du nord de la France. «La famille ne voulait pas les rapatrier, indique Diane Léon. À chaque fois, c'est elle qui prend la décision.»

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