Culture

«Suprêmes», un biopic très «Authentik»

NTM a désormais son film bien à lui: JoeyStarr et Kool Shen, les origines. Porté par ses deux comédiens bluffants, le «Suprême» veut passer de mythe à légende.

Kool Shen (Sandor Funtek) et JoeyStarr (Théo Christine), dans <em>Suprêmes</em>, d'Audrey Estrougo. | Capture d'écran SonyPicturesFr <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gebxTdDkWzA">via YouTube</a>
Kool Shen (Sandor Funtek) et JoeyStarr (Théo Christine), dans Suprêmes, d'Audrey Estrougo. | Capture d'écran SonyPicturesFr via YouTube

Temps de lecture: 3 minutes

C'est l'histoire de Didier et Bruno. L'un est un frondeur et moqueur, l'autre se cache déjà pour noircir les pages de ses cahiers. Ces deux jeunes qui se rencontrent dans un endroit à l'ombre des HLM de la Seine-Saint-Denis, sont les membres du groupe Suprême NTM, qui va autant éclater les discmans de toute une génération que défrayer la chronique. Et s'il y a bien une réussite dans ce film, ce sont les deux comédiens qui incarnent les bêtes de scène.

 

 

Si la prestation de Théo Christine offre une facette plus sensible que le JoeyStarr que l'on connaît, Sandor Funtek s'abandonne complètement dans celui de Kool Shen. Il y a de la radicalité «Authentik» chez ces deux comédiens. Impossible de ne pas penser au naturalisme des deux Beaux Gosses de Riad Sattouf. Et la performance est encore plus forte quand on se rend compte que ces jeunes JoeyStarr et Kool Shen rappent et dansent vraiment sur scène. La reconstitution scénographique est vraiment bluffante. L'influence de NWA: Straight outta Compton est là. Sans aucune esbroufe ou tour de passe-passe narratif, Audrey Estrougo nous replonge dans cette France du tout début des années 1990, sans portable, sans internet et où l'état d'urgence que chantait NTM est palpable.

On peut s'interroger sur les besoins de faire un biopic d'un groupe qui a, certes, galéré mais qui s'est vite imposé comme le précurseur du rap en France aux côtés d'IAM et d'Assassin (dont on voit d'ailleurs les membres brièvement dans le film). C'est un récit qui part métaphoriquement d'en bas, puisqu'il commence dans les couloirs du métro vandalisé dans la joie, et ne fait qu'aller vers le haut. Le seul obstacle dans cette ascension implacable, c'est que, avant de devenir les rois de la scène, on leur refuse tout. C'est sans doute cela l'objet du projet d'Audrey Estrougo: parler de jeunes à qui l'on ferme toutes les portes.

Le drame autour du personnage de JoeyStarr est d'ailleurs ce qui porte le film. Littéralement captif d'un père violent qui l'humilie, il ne découvre que sur le tard le mensonge qui a entouré sa vie. Celui d'une mère qu'il a crue morte et qui lui apparaît un beau jour juste avant qu'il monte sur scène. Ce trauma, c'est la clef de voûte du récit qui est également le sujet de la dernière autobiographie. L'histoire d'un gamin invisibilisé par son père et qui finit bientôt par sniffer pour oublier qu'on l'a oublié. Il y a moins de drama autour de Kool Shen –Suprêmes fait parfaitement sentir qu'il est la pierre angulaire sans laquelle tout s'effondre, à jamais l'auteur de le «sodomie verbale».

 

 

 

«Laisse pas traîner ton film»

Les limites de Suprêmes se situent sans doute dans l'omniprésence de JoeyStarr et de Kool Shen, crédités de manière plus qu'insistante lors de la promo et au générique de fin comme consultants au scénario. De fait, l'histoire colle parfaitement au récit quasi officiel, raconté par le groupe depuis plus de dix ans, que ce soit en interview ou, justement, dans l'œuvre autobiographique de Joey. Le seul «YOLO» qu'on pourrait y voir, c'est l'agencement de certains évènements, certaines interviews données qui ne semblent pas à leur place dans la chronologie. Mais peut-être n'est-ce qu'une impression subjective, les rappeurs ayant quand même donné des dizaines d'entretiens explosifs à la télé. Ils font partie intégrante de notre culture de l'époque et c'est aussi cela que sacralise le film.

 

 

 

 

Reste que c'est bel et bien leur version de l'histoire que l'on connaît. On retrouve donc les différents protagonistes qui gravitent autour du duo. Fidèle à sa légende, le producteur Sébastien Farran est décrit comme un visionnaire hautain, le résultat d'une éducation hautement bourgeoise et d'une envie de s'encanailler. Autour des deux rappeurs gravitent toute une bande, des noms bien connus pour qui suit NTM depuis ses débuts comme DJ S ou Lady V. S'il y a une part de critique formulée par les deux compères, elle est là: celle d'avoir commencé comme une bande organisée de 20, 30 voire 40 membres, prête à «tout niquer». Puis, au fil des besoins, des concerts et des contrats avec les maisons de disques, ils se rendent bien compte que, pour rapper, il va falloir se mettre quelques limites.

Suprêmes n'est pas vraiment un film de banlieue, mais structurellement, est assez proche d'un manga ou d'un animé shônen. C'est deux personnages presque antagonistes mais qui finalement se lient d'amitié, aidés par une bande d'amis, assistés par des mentors, ici des producteurs bienveillants. Les deux héros vont petit à petit monter en puissance jusqu'au grand tournoi final, ici le concert ultime à l'époque du Zénith de Paris.

Ils vont rencontrer des embûches mais toujours triompher grâce à la musique et au pouvoir de l'amitié. Seule divergence, il n'y a pas vraiment de rival à l'écran. Pas d'IAM, rien. Même pas la police, pourtant largement dénoncée dans leurs albums. Elle n'apparaît quasiment jamais. Ils vont gagner presque sans péril. C'est pas très «Qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu» comme esprit. Alors que les fans le savent pourtant très bien, «tout n'est pas si facile, tout ne tient qu'à un fil».

En savoir plus
cover
-
/
cover

Liste de lecture