Société / Culture

«iel», ma grammaire!

[BLOG You Will Never Hate Alone] Si l'idée d'imposer un nouveau pronom censé représenter le genre neutre n'est pas mauvaise en soi, son application pose trop de problèmes pour emporter l'adhésion.

La grammaire est déjà assez compliquée comme cela. | Joshua Hoehne <a href="https://unsplash.com/photos/YPgTovTiUv4">via Unsplash</a>
La grammaire est déjà assez compliquée comme cela. | Joshua Hoehne via Unsplash

Temps de lecture: 3 minutes

J'avoue. Avant que Le Petit Robert ne décide d'officialiser dans son dictionnaire en ligne l'emploi du pronom «iel», j'ignorais jusqu'à son existence. Non seulement je ne l'avais jamais entendu autour de moi mais tout au long de mes lectures qui sont tout de mêmes multiples et variées, à aucun moment il ne m'était arrivé de tomber dessus –je dois avoir un esprit et des fréquentations plus étriqués que je ne pensais.

Il est vrai aussi que je ne suis guère sensible aux questions de genre ou de race. Je crois même que je les abomine, du moins dans la manière dont elles sont utilisées de nos jours. À force de revendiquer tout et n'importe quoi, de défragmenter la société en autant de communautés bien distinctes, on en vient à dresser les individus les uns contre les autres, dans une sorte de surenchère victimaire où la souffrance des uns vient concurrencer l'apparente normalité des autres. Or je ne crois pas au concept de normalité; mieux, je l'exècre. Chaque personne compose avec ses tragédies personnelles, ses blessures intimes, ses drames, la litanie de ses malheurs qui définissent la condition humaine dans tout ce qu'elle a de grandiose et de pathétique.

Et les identités de genre en font partie.

Pour autant, de toute évidence –ce serait médisance que de prétendre le contraire– il existe dans nos sociétés, notamment au sein de la jeunesse, un nombre significatif de personnes qui refusent de se voir assimilées à un genre bien défini, qu'il fut masculin ou féminin. C'est évidemment leur droit le plus strict –qui suis-je pour dire qui est une femme, qui est un homme, qui est ni l'un ni l'autre ou tous les deux confondus? En soi, cette affirmation identitaire ne me pose aucun problème tant qu'elle demeure l'expression d'une sensibilité qui puise son authenticité dans la profondeur de l'être, qu'elle est en adéquation avec les tremblements de l'âme.

Sitôt qu'elle devient un objet de fantasme, une sorte d'appétence à s'approprier un mal-être qu'on pare des vertus de l'indifférenciation sexuelle, quand elle est utilisée comme une arme de propagande, de singularisation outrancière, lorsqu'elle quitte le domaine de la psyché pour investir celui de la simple imitation, de l'effet de mode, elle perd de son authenticité originelle avec comme risque patent, par simple effet d'entraînement, d'influencer des esprits qui n'étaient disposés en rien à endosser ce particularisme, si ce n'est un trouble plus ou moins prononcé propre à l'adolescence de chacun.

Ceci établi, la langue, notre grammaire, a-t-elle vocation à épouser la cause de ces revendications genrées au point de procéder à une refonte de son fonctionnement interne? À la marge, il me semblerait que oui. Dans l'absolu, je ne vois pas bien au nom de quoi on refuserait à certains l'emploi d'un pronom qui leur permettrait de se sentir mieux intégrés au monde qui les entoure. La langue est assez riche, assez forte dans ses considérations fondamentales pour s'autoriser des écarts qui auraient juste valeur de reconnaissance.

Le seul problème, du moins en ce qui concerne l'emploi du pronom «iel», c'est que de facto, sa généralisation entraînerait un bouleversement en profondeur de notre grammaire puisque son adoption ne résoudrait en rien le problème afférent à la question du genre. Si je me mets à utiliser ce pronom, afin que cette pratique fasse sens, il faudrait aussi que l'adjectif qui lui est lié subisse à son tour un changement approprié sans quoi l'effet même de son emploi deviendrait caduc.

S'il est beau, si elle est belle, que dire quand on utilise le fameux «iel»? Dans ce cas de figure, «iel» est comment exactement? De toute évidence, il ne peut être ni beau ni belle puisque la déclinaison de ces adjectifs porte en eux la marque de leur genre. Il va devenir quoi notre «iel»? Babybel? Bébel? Beaubel? On écrira «iel est beau·bel·le»?!!! Nécessité serait alors d'inventer un nouvel adjectif propre à l'utilisation du pronom «iel», ce qui ne va pas sans poser tout une multitude de problèmes.

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À mes yeux, cet écueil porte en lui les germes de sa défaite. On ne va pas commencer à triturer la langue dans tous les sens, inventer mille nouvelles expressions, revisiter de fond en comble l'ordonnancement de notre grammaire (par ailleurs déjà infiniment compliquée) dans le seul but de satisfaire les demandes de ce qui reste malgré tout une minorité de personnes. Une minorité a le droit d'être respectée dans sa pratique, voire même d'être encouragée dans sa singularité, tant qu'elle n'impose pas à la majorité des changements qui viendraient dénaturer des règles dûment ancrées dans ses habitudes séculaires.

Au Canada, on nomme cela des accommodements raisonnables, c'est-à-dire qu'on entend que la société peut, voire même doit accéder à des demandes particulières tant que ces dernières n'engendrent pas des conséquences qui iraient au-delà de ce qu'elle peut supporter comme contrainte. Il en va de même ici avec le pronom «iel». Son emploi en soi ne pose pas, à mes yeux, de réels problèmes. Ce sont les conséquences de son emploi –un éparpillement de la langue, une trop grande complexité de son utilisation, une hypertrophie linguistique– qui le disqualifient.

Il en va de même avec l'écriture inclusive. Tant qu'elle rectifie à la marge des singularités linguistiques qui sans raison objective ordonnent le masculin au détriment du féminin, comme avec la règle de l'accord de proximité, elle fait sens et œuvre pour le bien commun. Sitôt qu'elle entend imposer tout un corset de règles qui rend la grammaire encore un peu plus absconse qu'elle ne l'est déjà, elle devient un combat idéologique qui perd de sa légitimité originelle et dénature la cause qu'elle prétend défendre. La langue française à besoin d'être retouchée, pas refondée.

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