Économie

Plan de sauvetage de l'euro: le dilemme de la rigueur

L'austérité prônée par le plan de sauvetage européen ne convainc finalement ni les marchés, ni les économistes.

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«Je suis désolé, c'est quand même grave de dire que le plan est voué à l'échec. Et si on pense que le plan est voué à l'échec, pourquoi on ne le dit pas?». Sur le plateau de son émission Arrêt sur images le 14 mai, Daniel Schneidermann n'en revenait pas. Sur l'air du «On m'aurait menti?», le présentateur questionnait la couverture médiatique de l'annonce du plan de sauvetage européen le 9 mai dernier. Dès le lendemain, les bourses s'étaient envolées dans une euphorie générale, Paris clôturant sur une hausse de 9,66% donnant l'impression à l'ouverture des journaux télévisés que tous les problèmes étaient réglés.

Mais les trois semaines qui se sont écoulées auront eu raison de cette ambiance de victoire. Le CAC 40 a depuis baissé de 10,46%, reflétant par son yo-yo permanent le pessimisme ambiant.

C'est dans la bouche de Frédéric Lordon, économiste au CNRS et collaborateur au Monde Diplomatique, que Daniel Schneidermann avait découvert sur son plateau les doutes suscités par le volet grec du plan de sauvetage:

Le plan est fait pour se mettre lui-même en échec, il est auto-invalidant. Il impose à l'économie grecque une telle restriction budgétaire qu'il ne peut s'en suivre autre chose qu'un ralentissement de croissance encore plus profond que celui qui est déjà à l'oeuvre, de telle sorte que l'ajustement budgétaire aura toujours un temps de retard sur l'effondrement des recettes fiscales. Dans le pire des cas, le déficit budgétaire grec ne se réduira pas. Dans le meilleur, il se réduira à un rythme si lent que l'économie grecque est parti pour une décennie d'austérité et de chômage.

Frédéric Lordon est certes un économiste radical mais son point de vue est partagé par de nombreux analystes. Tout se passe comme si personne n'y croyait vraiment. Martin Wolf, éditorialiste économique du Financial Times, estime que la restructuration de la dette grecque (en gros, on dit qu'on paye plus tard, voire dans le pire des scénarios, qu'on ne paye pas) est inévitable:

Il est toutefois difficile de croire que la Grèce puisse échapper à la restructuration de sa dette. Tout d'abord, imaginons pour l'instant que tout se déroule selon le plan prévu. Imaginons aussi que l'intérêt moyen dû par la Grèce sur sa dette à long terme reste à 5 % seulement. Le pays devra donc présenter un excédent primaire de 4,5 % du PIB, et consacrer des recettes équivalant à 7,5 % du PIB au paiement des intérêts. La population grecque acceptera-t-elle longtemps de supporter un tel fardeau ?

Même le chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, a dû le reconnaître dans une interview à La Tribune mardi 24 mai:

Les marchés se demandent si la Grèce va pouvoir rembourser sa dette ou non. Vu le comportement des gouvernements Grecs dans le passé, leur incertitude est compréhensible. [...] La Grèce a besoin d'un ajustement budgétaire dès maintenant. Il est exact qu'il ne sera pas favorable à la croissance à court terme, mais il n'y a pas d'alternative.

Au-delà du seul cas grec, le rideau de la rigueur qui est tombé sur l'Europe pose également question aux économistes. Dans un texte publié dans La Tribune, le professeur de sciences économiques Bruno Moschetto demande à l'Europe de faire «tout sauf l'austérité». Après la mode des plans de relance keynésiens en 2008, la collection printemps-été 2010 sous le signe de l'austérité est selon lui une très mauvaise idée:

Tous les pays européens connaissent une récession significative et un chômage de masse permanent. Dans ce cas de figure, une politique de soutien de la demande s'impose. Et cette demande doit être soutenue dans ses trois composantes : consommation, investissement et exportations. Aussi, la réduction des dépenses publiques, qu'elles soient d'investissement ou de fonctionnement, est insoutenable dans le contexte actuel, puisque les fondamentaux keynésiens nous rappellent qu'à toute dépense d'un agent économique correspond un revenu pour un autre agent économique. Tarir la dépense publique, c'est mécaniquement réduire l'activité économique.

Le volet français ne semble pas convaincre non plus les analystes: «Ces mesures ne sont pas suffisantes pour gagner 2 points de réduction du déficit public en deux ans. Et si l'on y parvenait, on friserait la croissance zéro», explique aux Echos l'économiste de l'OFCE Mathieu Plane.

En fait, le plan de sauvetage européen peut être vu comme une manière de sauver avant tout les banques, très exposées au risque de défaut de la Grèce. C'est l'analyse, notamment, de Paul Seabright, professeur à l'Ecole d'économie de Toulouse:

Qui, précisément, sont les créanciers de la Grèce ? Selon un rapport de Barclays Capital du 28 avril, il y a quelque 28 milliards d'euros de dette grecque sur le bilan d'institutions financières allemandes. La moitié appartient à des banques détenues ou contrôlées par le gouvernement allemand. A elle seule, l'Hypo Real Estate Holding en détient presque 30 %. Depuis son sauvetage en 2009, le propriétaire d'Hypo est le contribuable allemand, qui aurait été touché directement par un défaut grec sans même pouvoir prétendre qu'il se sacrifiait pour la solidarité européenne. Combien d'autres institutions déjà fragilisées auraient eu besoin d'un nouveau plan de sauvetage bancaire? La raison du geste héroïque de Mme Merkel est désormais claire. Quelle était l'option la moins désagréable : prendre la décision impopulaire, mais courageuse, de sauver la Grèce, ou avouer que la précédente décision impopulaire, mais courageuse, de sauver le système bancaire allemand n'avait pas, tout compte fait, réglé le problème?

Dans cette ambiance de déprime généralisée, reste une bonne nouvelle: à cause de la perte de confiance dans la solidité des dettes européennes, l'euro est en chute libre, ce qui redonne un grand souffle de compétitivité aux exportations européennes. La dernière note hebdomadaire du département des études du Crédit Agricole estime que cette dévaluation de l'euro peut permettre d'aller chercher un point de croissance supplémentaire.

Un regain de compétitivité qui va stimuler en retour les exportations paraît bienvenu. Le schéma traditionnel  de reprise en zone euro transite par les exportations, dont le redémarrage permet de restaurer la profitabilité des entreprises exportatrices avec des retombées positives sur l’emploi et finalement sur les revenus, ce qui aiguise l’appétit des ménages pour la consommation et incite les entreprises à investir, avec au final l’enclenchement d’une dynamique vertueuse entre offre et demande. D’après les estimations économétriques, une baisse de 10 % du taux de change effectif est censée apporter un point de croissance supplémentaire pour la zone dans son ensemble sur une période allant de douze à dix-huit mois.

Des analystes préconisent une autre solution pour s'en sortir: l'inflation. C'est le point de vue de Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Echos:

[L'inflation] consiste à éroder la dette par la hausse des prix. Le débiteur rembourse alors en monnaie de singe. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, quand Harry Truman succède à Franklin Roosevelt à la présidence du pays, les Etats-Unis avaient une dette publique gonflée par les dépenses militaires à plus de 100 % du PIB. En une décennie, la hausse des prix en a rongé 40 %. L'inflation n'est pas seulement une hausse autoentretenue du niveau général des prix. C'est aussi un mécanisme de répartition des revenus, entre créanciers et débiteurs. Plus l'inflation est forte, plus les prêteurs perdent - sauf s'ils ont eu la sagesse d'indexer les remboursements sur la hausse des prix. Or la solution d'une dette trop lourde, c'est précisément un transfert. Pour éviter de tout perdre, les prêteurs qui ont trop prêté se résignent à une amputation de leurs revenus futurs.

Ou finalement on peut voir le problème dans un autre sens, en y voyant une grande chance pour l'Europe, forcée de se rénover dans une situation d'urgence. C'est ce qu'appelle de ses voeux Eric Le Boucher, chroniqueur à Slate:

La confiance ne reviendra durablement que si les gouvernements retrouvent le chemin de l'intégration européenne. Après l'euro, plus rien n'a été fait et l'Union est devenue «l'Europe des nations». Avec cette crise des dettes souveraines, est venu le moment de montrer, au-delà de la solidarité immédiate, que l'Europe peut s'unir pour inventer une croissance plus forte tout en préservant son modèle social.

Vincent Glad

Photo: des manifestants à Athènes le 25 mai 2010, REUTERS/John Kolesidis

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