Politique

Un candidat sans étiquette peut-il sortir vainqueur de la présidentielle 2022?

À cinq mois de la consultation majeure de notre système politique, la question se pose de savoir si une personnalité hors parti peut l'emporter. Comme en 2017.

77% de l'électorat d'Éric Zemmour serait plus enclin à avoir <em>«une préférence pour un candidat qui ne viendrait pas d'un parti politique», </em>selon une étude de la Fondapol. | Sébastien Bozon / AFP
77% de l'électorat d'Éric Zemmour serait plus enclin à avoir «une préférence pour un candidat qui ne viendrait pas d'un parti politique», selon une étude de la Fondapol. | Sébastien Bozon / AFP

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Le «must» est-il devenu de ne se revendiquer d'aucune organisation politique pour se présenter aux élections? Au fil des années, la cote des partis n'a cessé de s'effilocher. Si le vocable «sans étiquette» a toujours eu le vent en poupe dans les scrutins locaux –les municipales, essentiellement–, il s'est étendu petit à petit aux consultations de niveau géographique plus élevé. Jusqu'à atteindre le scrutin placé au sommet de la pyramide politique: la présidentielle.

L'exemple le plus parlant a été donné en 2017 avec la victoire d'Emmanuel Macron sur Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. À la tête d'un parti «gazeux» –En Marche (EM, comme ses initiales), puis La République en marche (LREM)– qui n'avait pas d'existence jusqu'au 6 avril 2016, date de l'annonce de sa création par son fondateur, l'ancien ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique (26 août 2014 - 30 août 2016) était parvenu à conquérir l'Élysée, en mai 2017, alors que personne n'aurait misé un kopeck sur sa réussite quelques mois avant.

Il faut dire que Macron avait bénéficié d'une rare conjonction des astres politiques. Sans qu'il soit vraiment possible d'établir, de façon pertinente et documentée, une hiérarchie entre eux, disons que son âge –il n'a pas 40 ans le jour de son élection– a sûrement joué un rôle favorable aux yeux d'une partie de l'électorat. Il s'est combiné, par voie de conséquence, à la nouveauté de son ancrage au milieu du personnel politique, les deux facteurs pouvant lui octroyer un gage de modernité.

Le «dégagisme» a opéré en 2017

Le troisième paramètre avait été excellemment résumé par Jean-Luc Mélenchon sous le terme «dégagisme». Le leader de la gauche de la gauche, lui aussi à la tête d'une formation nouvellement venue sur la scène –La France insoumise (LFI), prolongement du Parti de gauche qui s'était associé auparavant au Parti communiste (PCF) dans le Front de gauche (FG)–, avait théorisé un désir supposé de l'opinion, et apparemment bien vu, de voir les têtes de gondole être renouvelées en pratiquant un grand ménage. Mélenchon, lui-même acteur politique depuis quarante ans, n'avait peut-être pas prévu qu'un autre que lui serait le bénéficiaire de ce «dégagisme». Le positionnement politique de Macron, issu de la gauche sociale-démocrate, mais se revendiquant successivement «ni de droite ni de gauche», puis «et de droite et de gauche» a été un facteur supplémentaire qui a pu séduire un bloc de l'électorat fatigué de voir la gauche et la droite alterner au pouvoir, en restant calées sur des dogmes idéologiques inconciliables.

Une autre famille politique, les Le Pen père et fille, avait tenté de jouer cette partition depuis plusieurs décennies sans pouvoir mettre la touche finale à son ambition présidentielle. En effet, l'opinion publique, majoritairement, a toujours considéré que le lepénisme se situe à l'extrême droite et n'est en rien un axe central du paysage politique français.

L'ensemble de ces paramètres explique comment un homme sans parti est parvenu à ses fins il y a un peu moins de cinq ans. Différents éléments de cette même combinaison avaient déjà souri à Valéry Giscard d'Estaing (VGE) plus de quarante ans avant, en 1974. Parvenu au sommet de l'État à 48 ans et lui aussi ancien jeune titulaire du portefeuille de l'Économie et des Finances, mais avec une carrière ministérielle beaucoup plus longue que celle de Macron –il avait été aussi été élu député à partir de 1956 et maire pour une mandature en 1967–, VGE avait, lui aussi, le soutien d'un parti évanescent, pour ne pas dire croupion, les Républicains indépendants, ancêtres de l'Union pour la démocratie française (UDF).

Chaban-Delmas, victime d'un remodelage de la droite en 1974

Cette présidentielle de 1974 offre du reste deux contre-exemples avec l'échec de Jacques Chaban-Delmas, un candidat soutenu (modérément) par un parti de droite, mais éliminé dès le premier tour, et la défaite de François Mitterrand, un candidat soutenu (pleinement) par une coalition de gauche, mais battu au second tour par un homme (pratiquement) seul.

Gaulliste historique, père de la «Nouvelle société», nommé Premier ministre par Georges Pompidou en 1969 et évincé par le même en 1972, Chaban s'était maladroitement déclaré candidat à la présidentielle imprévue de 1974 alors que l'éloge funèbre du chef de l'État défunt était prononcée à l'Assemblée nationale. Il est lâché, voire trahi, par une partie des députés néogaullistes –les 43– emmenés par Jacques Chirac qui deviendra chef du premier gouvernement de VGE.

Chaban-Delmas était arrivé troisième au premier tour, derrière Mitterrand (43,3% des voix) et VGE (32,6%), avec 15,1% des suffrages exprimés. Une place et un score comparables à ceux obtenus en 1965 par Jean Lecanuet, candidat centriste du Mouvement républicain populaire (MRP). À cette occasion, le parti néogaulliste, l'Union des démocrates pour la Ve République (UDR), s'était fissuré autour d'un soutien au giscardisme qui s'avérera ponctuel et de circonstance. Cette fissure perdure au sein de la droite près d'un demi-siècle plus tard... ce qui est un peu logique, dans la mesure où elle s'est installée après la Révolution de 1789, selon le politologue René Rémond.

Le désamour de l'opinion pour les vieux partis

Sur l'autre bord de l'échiquier, Mitterrand, candidat unique de la gauche pour la deuxième fois après une première tentative infructueuse en 1965 face à Charles de Gaulle, avait été battu (de peu) au second tour, malgré un score très élevé au premier et un soutien massif des partis de gauche. Mais la mobilisation de près d'un million d'abstentionnistes du premier tour, venus en grande partie de la droite, avait permis à VGE de l'emporter avec un peu plus de 400.000 voix d'avance sur plus de 26 millions de suffrages exprimés. Ce qui tendait à démontrer que le soutien d'un parti, et même de plusieurs en ce qui concerne le candidat de la gauche, n'avait pas été suffisant pour sortir vainqueur. Avec le soutien d'un parti ou de plusieurs, on peut aussi perdre la présidentielle! Car ce n'est évidemment pas l'unique paramètre qui forge la victoire ou la défaite, même s'il peut y contribuer... dans les deux sens.

Les exemples et les contre-exemples se multiplient: celui de Mitterrand, vainqueur en 1981 face au même VGE, de Chirac, défait en 1988 par Mitterrand, d'Édouard Balladur, devancé au premier tour par Chirac, ou de Lionel Jospin, battu par le même Chirac au second, en 1995, de Jospin, éliminé au premier tour de 2002 par Le Pen père et par une cohorte de candidats et de candidates des gauches –une situation qui ressemble diablement à celle qui se prépare pour 2022.

On peut évoquer une victoire hors parti en avril prochain tant le désamour de l'opinion est important à l'égard des formations politiques.

Celui de Nicolas Sarkozy, lauréat en 2007 face à Ségolène Royal soutenu du bout des lèvres par le Parti socialiste (PS), et du même Sarkozy, battu en 2012 par François Hollande, tous ces cas de figure, donc, montrent que les facteurs personnels, les humeurs de l'opinion, les courants dominants dans la société et les rapports de force politique jouent également un rôle primordial.

Il n'en demeure pas moins que le précédent unique de 2017, celui d'un homme sans véritable passé politique au sens traditionnel de l'expression, sans aucun ancrage de terrain (Macron n'avait jamais eu aucun mandat politique électif), sans organisation structurée derrière lui (l'adhésion à LREM se faisait et se fait toujours par internet sans payer la moindre cotisation), reste le cas d'école d'une victoire hors parti. Cela peut-il se reproduire en avril prochain? La question est légitime tant le désamour de l'opinion est important à l'égard des formations politiques. À cette aune, deux chiffres sont frappants: en 1946, le PCF, alors premier parti de France sur le plan électoral, comptait (officiellement) 800.000 membres, souvent militants et militantes; en 2021, il en revendiquait (tout aussi officiellement) 43.000, ce qui se traduit aujourd'hui par un poids électoral national inférieur à 5%.

L'attirance pour un vote hors parti en 2022

Ce fossé grandissant entre l'électorat et les partis dans leur forme ancienne –les nouveaux regroupements informels nés ces dernières années via internet et les réseaux sociaux sont-ils autant affectés?– fabrique une brèche béante dans laquelle pensent pouvoir s'introduire des hommes ou des femmes qui, sans le dire, se voient intimement «providentiels». Ils et elles prétendent, dégagés de l'emprise des partis et sublimés par leur solitude, «sauver» la France et la protéger des périls multiples qui la menacent. En n'hésitant pas à se prendre pour Jeanne d'Arc boutant les Anglais hors du pays ou pour le général de Gaulle, fondateur de la France libre et statue du Commandeur de l'indépendance nationale.

La Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) dirigée par Dominique Reynié, politologue de centre-droit (il conduisait une liste LR-UDI en 2015 dans la région rebaptisée depuis Occitanie), conduit une vaste enquête sur «le risque populiste» en 2022, dont plusieurs vagues ont déjà été réalisées. La dernière a été publiée en octobre 2021. Elle se penche, notamment, sur la question de l'émergence d'une candidature solitaire hors parti à la prochaine présidentielle et sur les soutiens de diverses fractions de l'électorat dont elle pourrait bénéficier.

À la question, «au premier tour de la présidentielle, diriez-vous que vous pourriez voter pour un candidat qui ne viendrait pas d'un parti politique?», l'échantillon (plus de 3.000 personnes inscrites sur les listes électorales) répond «oui, certainement» et «oui, probablement» à 43%. La réponse négative symétrique atteint 52%. «La disponibilité à voter pour une candidature qui ne serait issue d'aucun parti est plus élevée que la disponibilité à s'abstenir, à voter blanc ou à voter pour chacun des partis testés», notent les auteurs de l'étude. Ce qui, d'une certaine manière, est assez inquiétant pour les partis traditionnels et pour le bon fonctionnement de la démocratie si on s'en tient à l'article 4 de la Constitution, stipulant que «les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage».

«L'intérêt pour un candidat qui ne viendrait d'aucun parti». | Fondapol

Les auteurs précisent que, potentiellement, l'électorat d'Éric Zemmour serait le plus enclin à avoir «une préférence pour un candidat qui ne viendrait pas d'un parti politique»: 77%. Les proportions sont moins fortes dans les électorats potentiels des autres candidats et candidates: Nicolas Dupont-Aignan (65%), Yannick Jadot (58%), Valérie Pécresse (51%), Xavier Bertrand (48%) et Anne Hidalgo (48%). Les moins attirés par cette proposition se trouvent dans les viviers de Mélenchon (43%), de Macron (39%) qui en fut le prototype en 2017, et de Le Pen (35%).

Quant à savoir quelle pourrait être l'origine «professionnelle» de cette personnalité qui ne serait issue d'aucun parti politique et pour laquelle pourraient voter les 43% décelés plus haut, c'est le milieu de l'entreprise qui l'emporte haut la main (32%) devant la science et l'université (17%), la presse, le journalisme et la télévision (11%). La provenance de cette dernière catégorie est d'autant plus surprenante que les tenants de ce vote populiste hors parti, en l'espèce, considèrent généralement que les médias sont en même temps possédés par des «oligarques milliardaires» et animés par des «journalistes de gauche». C'est sans doute la figure même de Zemmour, chevalier blanc supposé dégagé de ce milieu dans leur esprit, qui explique ce pourcentage.

«L'intérêt pour un candidat qui ne viendrait d'aucun parti. | Fondapol

Cette dernière impression est confirmée par l'appétence de chaque électorat à privilégier une origine «professionnelle» distincte dans l'hypothèse d'un vote pour une personnalité hors parti. Ainsi, les électrices et les électeurs «certains» ou ayant de «fortes chances» de voter pour un candidat ou une candidate des gauches pencheraient pour une personnalité venant de la science et de l'université: Hidalgo (29%), Jadot (28%), Mélenchon (21%). Les électorats de Macron et des figures de la droite dans les mêmes dispositions d'esprit se tourneraient plutôt vers une personnalité de l'entreprise: Macron (43%) –en pensant probablement à lui–, Pécresse (37%), Bertrand (36%). En revanche, les électorats potentiels des tenants de l'extrême droite choisiraient respectivement la presse et le journalisme chez Zemmour (45%), l'armée et la police chez Le Pen (26%).

«L'intérêt pour un candidat qui ne viendrait d'aucun parti. | Fondapol

Last but not least, la raison de cette «disponibilité» de choix pour un représentant ou une représentante hors parti issu de la société est, selon les auteurs de l'enquête de la Fondapol, «l'une des expressions de la protestation électorale». Celle-ci cohabiterait avec le vote anti-système, l'abstention et les votes blancs ou nuls. C'est en tout cas ce qui ressort des motivations exprimées par celles et ceux qui, dans l'échantillon de l'étude, pourraient se prononcer en faveur de ce type de candidature. Le sentiment que les politiques conduites par les partis alternant au pouvoir sont les mêmes se place en tête (37%) devant le rejet des candidatures pressenties aujourd'hui (29%) et la protestation contre le système politique actuel (18%).

«L'intérêt pour un candidat qui ne viendrait d'aucun parti. | Fondapol

Cette défiance, qui affecte les partis constitués depuis le début de la Ve République et dont les changements de sigle successifs pouvaient refléter des remodelages internes aux deux grands blocs de gauche et de droite, a ouvert un boulevard en 2017. À cinq mois de la présidentielle, les sondages d'intentions de vote (qui ne sont ni des prévisions ni des prédictions ni des pronostics) semblent dire que ce boulevard ne s'est pas transformé en impasse. Reste à savoir, s'il y avait une réitération de cette hypothèse, quelle personnalité serait considérée par l'électorat, en 2022 et en majorité relative, comme représentative de ce profil hors parti.

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