France

Appartements d'Estrosi: où est la vraie transparence?

La visite guidée des appartements du ministre de l'Industrie n'a rien à voir avec la transparence, qui fait pourtant défaut sur de nombreuses autres affaires.

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Dans un souci de transparence et après avoir été mis en cause pour le fait de disposer de deux appartements de fonction, Christian Estrosi, blessé, a donc convié la presse à visiter son appartement de ministre afin qu'elle constate qu'il ne s'agissait pas d'un palace doré de la République. Vous avez peut-être vu à la télé les images furtives de cette visite digne d'une mauvaise agence immobilière puisqu'elle voudrait nous convaincre que l'appartement que l'on parcourt n'a rien d'exceptionnel.

Mais on peut voir l'intégralité de la visite sur plusieurs sites d'information en ligne... et c'est une expérience des plus embarrassantes. A visionner ces images on est gêné, et pour le ministre et pour les journalistes. Le ministre en est donc arrivé à faire visiter à une dizaine de cameramen et photographes, sa salle de bain. On l'entend dire «regardez les toilettes», on se retrouve dans la chambre de sa fille, le ministre de l'Industrie dit «ne faite pas attention au désordre»...

On est presque rassurés: les enfants de ministre non plus ne rangent pas leur chambre. Et puis on est un peu dégouté par notre propre attitude de voyeurs. On se surprend à scruter les détails pour voir quels sont les gouts du ministre avant de se ressaisir et d'appuyer sur pause. A quoi bon ce déballage? Qu'est-ce qu'on fait là? Nous les journalistes, nous les internautes ou les téléspectateurs dans la salle de bain du ministre. Ou est l'information dans le porte-savon? Ou est la transparence sur la table de la cuisine?

On se rassure, ce ne doit pas être la vraie intimité de Christian Estrosi, on se dit pour se convaincre «de toute façon sa famille ne vit certainement pas là, Christian Estrosi est aussi maire de Nice». Tous ça n'a, évidement rien à voir avec l'honneur d'un homme, ni avec une quelconque transparence. Nous somme plutôt dans le domaine de la dictature médiatique, du viol d'intimité. Nous n'avons rien à faire dans l'appartement d'un ministre. La visite de l'appartement de Christian Estrosi est une indécence partagée entre celui qui l'ouvre, ceux qui y entrent et ceux qui, comme moi visionnent la vidéo.

Ce n'est que de la communication d'exhibitionniste et de voyeur, pas de la transparence. Ou alors c'est de la mauvaise transparence. Il faut bien sûr que les règles de la modération dans les dépenses et les frais de fonctions des ministres soient respectées et sans doute plus contrôlées par les parlementaires, par exemple. La transparence ce n'est pas la mise à nu, ce n'est pas de savoir qui est le père de l'enfant de Rachida Dati et à quoi ressemble le séjour de Christian Estrosi.

Si l'on voulait vraiment progresser en matière de transparence sur les finances et les avantages du monde politique il faudrait commencer, par exemple, par respecter les recommandations de l'association Transparency International, qui pointe régulièrement la France du doigt dans ce domaine et notamment pour l'absence de règles qui encadrent efficacement le lobbying parlementaire. Il faudrait faire la lumière sur les 10 millions d'euros en liquide qui se sont retrouvés sur le compte de campagne d'Edouard Balladur en 1995. Y a-t-il un rapport avec des rétro-commissions? Il faudrait autoriser l'Assemblée à constituer une commission d'enquête digne de ce nom sur l'affaire des attentats de Karachi, il faudrait lever les secrets sur l'Angolagate, il faudrait instituer un contrôle parlementaire digne de ce nom sur les ventes d'armes, il faudrait que l'on sache, par exemple, pourquoi la France et l'Allemagne (exportateurs d'armes) si prompts à demander à la Grèce de faire des économies, n'exigent pas une réduction drastique du faramineux et inutile budget militaire grec, il faudrait en finir avec les turpitudes de la France-Afrique... La vraie transparence n'a rien à voir avec cette intrusion médiatique dans le nid douillet, et certainement inoccupé de Christian Estrosi.

Thomas Legrand

Photo: Christian Estrosi à l'Assemblée nationale le 11 mai 2010, REUTERS/Jacky Naegelen

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