Parents & enfants / Santé

Derrière les paniques morales, la réalité d'enfants et d'ados trans

Au-delà des propos alarmistes et des entreprises de désinformation, il y a une réalité: celle des 1,2% et 2,7% de jeunes qui vivent et qui souhaitent vivre dans un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance.

Si un enfant manifeste un besoin de vivre dans un genre différent, aucun traitement ni aucune intervention ne lui seront proposés avant la puberté. | Matheus Ferrero <a href="https://unsplash.com/photos/yfmjALh1S6s">via Unsplash</a>
Si un enfant manifeste un besoin de vivre dans un genre différent, aucun traitement ni aucune intervention ne lui seront proposés avant la puberté. | Matheus Ferrero via Unsplash

Temps de lecture: 6 minutes

Des tribunes aux plateaux télé, la question de la transidentité des enfants et des adolescent·es –ou du moins les fantasmes des personnes non concernées et/ou non informées à leur propos– est devenue au cours des derniers mois un sujet de panique morale tout comme un objet de positionnement politique.

Derrière les propos alarmistes et les entreprises de désinformation, il y a une réalité: celle des 1,2% et 2,7% de jeunes qui vivent et qui souhaitent vivre dans un genre différent de celui qui leur a été assigné à la naissance. Du fait de discriminations dans le monde éducatif, culturel et sportif ainsi que du harcèlement scolaire, beaucoup ressentent un mal-être, des angoisses, développent un syndrome dépressif voire ont des idées suicidaires.

Alors que d'aucuns élucubrent sur les «dérives» d'une supposée «théorie du genre», qu'ils conjecturent sur des traitements dont ils ne savent rien de l'objectif ni du fonctionnement, une mise au clair semble opportune, en replaçant les personnes concernées ainsi que les professionnels qui leur apportent leur expertise au centre des débats.

En premier lieu, un besoin à considérer

«Les tribunes que j'ai pu lire, notamment dans les journaux français, sur la transidentité des enfants sont simplement sidérantes, construites sur la simple base d'une rhétorique réactionnaire. Elles dénoncent des choses qui n'existent même pas!» La docteure Anne Bargiacchi, pédopsychiatre qui avant de partir travailler aux États-Unis a accompagné des enfants trans à l'hôpital Robert-Debré (Paris), ne décolère pas. Celle que l'on a vue auprès de la petite Sasha dans le documentaire Petite Fille de Sébastien Lifshitz dénonce des généralisations abusives, des propos mensongers ou encore, pour évoquer les références faites aux décisions de suspendre, dans certains États des États-Unis, les traitements hormonaux pour les personnes trans, des «prises de position qui ne relèvent que du politique, jamais du médical».

Arnaud Alessandrin, sociologue, abonde: «Le discours médical est le plus souvent absent de ces tribunes. En outre, on est face à des personnes qui, dans la mouvance de la Manif pour tous, envisagent l'enfant comme “pur” et devant rester vierge de tout traitement hormonal –on ne se pose pourtant pas la question en cas de puberté précoce chez les petites filles cisgenres. Ils sont également perçus comme neutres en termes de genre, alors que c'est totalement faux! Sur le plan de la psychologie du développement, les enfants prennent très tôt conscience de leur genre et des différences genrées.» Ainsi, il n'est pas vraiment surprenant que parmi les jeunes trans ou en questionnement, 27,3% disent l'avoir su avant l'âge de 8 ans, 17,9% entre 8 et 11 ans, et 54,8% à 12 ans ou plus.

Venons-en au concret: dès lors qu'un enfant manifeste un besoin de vivre dans un genre différent que celui qui lui a été assigné à la naissance et que ses parents prennent en considération ce besoin en l'accompagnant dans une consultation spécialisée (c'est aujourd'hui le cas de moins de 600 enfants en Île-de-France), aucun traitement ni aucune intervention ne lui seront proposés avant la puberté.

Dre Anne Bargiacchi précise le rôle des soignants, mais aussi des associations durant cette période prépubère: «Notre objectif est de les accompagner sur ce qui relève de la dimension sociale de la transidentité, soit de les aider à explorer leur genre, soit d'appuyer leur besoin de transition sociale. Certain·es, même très jeunes, ont déjà modifié leur expression de genre, d'autres se situent davantage dans le registre de la non-binarité.»

Clément Moreau, psychologue et coordinateur du pôle santé mentale de l'association Espace Santé Trans, confirme: «En général, on propose aux jeunes prépubères une possibilité d'explorer librement leur identité et leur expression de genre et il n'est pas question d'intervenir médicalement. On accompagne leur famille et on essaie de ne pas pathologiser la situation, même involontairement, en proposant des soins psychiatriques centrés sur l'enfant, par exemple.»

«Les médecins, psychiatres et psychologues ne sont pas des spécialistes du genre!»
Dre Anne Bargiacchi, pédopsychiatre spécialisée dans l'accompagnement d'enfants trans

Il déplore, à ce stade, l'attitude de certains médecins: «Parfois, les professionnels de santé mentale interfèrent dans le mauvais sens à ce sujet auprès des familles de mineurs trans pour rappeler au jeune “la réalité de son corps biologique”. Les jeunes savent très bien, même dans l'enfance, que leur genre désiré n'est pas leur genre assigné. Ils et elles n'ont pas besoin d'un adulte pour le leur rappeler. Chaque mégenrage est un déni qui donne au jeune un sentiment de solitude et de découragement, voire une envie de mourir.»

Selon la docteure Anne Bargiacchi, s'il faut qu'un psychiatre effectue un diagnostic de «dysphorie de genre» (elle est elle-même gênée par ce terme qui tend à psychiatriser la situation), l'objectif est avant tout administratif: cela permettra notamment à l'enfant de ne plus être mégenré à l'école et, plus tard, que les éventuels traitements ou opérations chirurgicales soient pris en charge à 100%.

Ici, Dre Anne Bargiacchi s'inscrit en faux avec une longue tradition psychiatrisante de la transidentité. Elle considère qu'avant la puberté, son but est d'accompagner l'enfant ainsi que ses parents, de réfléchir aux différentes options qui seront possibles par la suite, et de faire simplement en sorte qu'il ou elle se sente bien.

Laisser du temps au temps

À ce stade, il importe de s'arrêter un instant sur le débat entre les voix qui demandent à préserver l'enfant de toute intervention, même non médicamenteuse et celles, portées par des études récentes qui invitent tout au contraire à les laisser affirmer leur genre.

Clément Moreau décrit le consensus actuel en ces termes: «Les connaissances en santé trans, issues de l'expertise des concerné·es, et les recommandations internationales augmentées des recherches les plus récentes, sont globalement unanimes: une approche transaffirmative est une manière efficace et démontrée d'éviter aux jeunes trans des conséquences néfastes de la dysphorie de genre et de la transphobie sur leur santé, en particulier mentale, qu'ils soient en demande de transition ou en exploration de leur genre. C'est une approche construite sur une vision non binaire du genre, axée sur le développement et la validation de son identité, non pathologisante, respectant l'autodétermination et l'expertise des personnes sur leur vie.»

Des propos avec lesquels la docteure Anne Bargiacchi est parfaitement en phase: «Les médecins, psychiatres et psychologues ne sont pas des spécialistes du genre! Nous sommes là pour mettre nos connaissances médicales et en santé mentale à disposition de nos patient·es afin de répondre avant tout à leurs besoins.»

«Ce traitement réversible permet de se donner du temps pour apprécier la situation et élaborer la mise en place d'un traitement hormonal ou laisser la puberté reprendre son cours.»
Clément Moreau, psychologue et coordinateur du pôle santé mentale de l'association Espace Santé Trans

À l'arrivée de la puberté, il est possible pour les enfants trans et en questionnement de se faire prescrire des bloqueurs de puberté dont l'effet est réversible. L'objectif n'est alors pas tant d'entamer une transition médicale que de se donner du temps et d'éviter les angoisses liées aux modifications corporelles de l'adolescence.

Clément Moreau détaille: «L'intérêt des bloqueurs est principalement de permettre l'amélioration de l'état psychologique du ou de la jeune en réduisant la souffrance et l'anxiété liée à l'apparition des caractères sexuels secondaires, la diminution des risques de cooccurrences psychiatriques (en particulier le risque suicidaire) et la diminution du risque de décrochage scolaire. Ce traitement réversible permet de se donner du temps pour apprécier la situation et élaborer la mise en place d'un traitement hormonal ou laisser la puberté reprendre son cours physiologique, en fonction des besoins du ou de la jeune.»

Ces bloqueurs de puberté ont largement cristallisé les opinions lors de la médiatisation du cas d'une jeune femme britannique, Keira Bell, qui avait commencé à prendre des inhibiteurs de puberté à l'âge de 16 ans avant de revenir en arrière dans ce processus. Elle avait alors intenté une action en justice contre le Tavistock and Portman NHS Trust, organisme public qui gère le seul service de changement d'identité de genre pour les mineurs au Royaume-Uni.

En première instance, les juges avaient estimé que des jeunes n'étaient pas capables de comprendre les enjeux d'un tel traitement. Cela avait eu pour effet de priver l'ensemble des ados trans ou en questionnement britanniques de bloqueurs de puberté, avec les effets délétères sur leur santé que l'on connaît. Or, la cour d'appel qui avait refusé le jugement en première instance a établi que c'était aux médecins, peu importe l'âge de leurs patient·es, de s'enquérir de leur consentement libre et éclairé. Beaucoup de bruit pour rien, donc.

Rien n'est obligatoire ni figé

Ce n'est qu'ensuite, lorsque la puberté est bien entamée voire terminée, que des traitements hormonaux féminisants ou masculinisants pourront être prescrits à la personne, qui aura largement eu le temps de mûrir sa réflexion et d'affirmer sa décision. Ces traitements sont semi-réversibles, et le risque de regret s'avère extrêmement faible.

Actuellement, les études sur les taux de détransition ne semblent pas suffisamment fiables d'un point de vue méthodologique. En revanche, les spécialistes ont davantage de recul sur le regret. À Paris, par exemple, il concernerait 1 cas sur 1.000, si l'on en croit Claire, militante à l'association Acceptess-T. Et le parcours déjà effectué n'est pas toujours perçu comme une erreur, ainsi que l'explique Dre Anne Bargiacchi: «Pour certaines de ces personnes, c'était un cheminement nécessaire pour devenir qui elles sont vraiment.»

Plus tard, la chirurgie pourra être envisagée –vers 16 ans pour la torsoplastie, et pas avant la majorité pour les autres interventions.

L'apparition d'une approche transaffirmative est vue comme quelque chose d'extrêmement positif par les personnes trans désormais adultes qui n'ont pas pu bénéficier à l'époque d'une telle prise en charge: «C'est très réparateur pour moi de voir ce à quoi les jeunes peuvent accéder aujourd'hui», témoigne Claire, d'Acceptess-T. «Il y a de rares ados qui regrettent leur transition, mais il y a aussi beaucoup d'adultes qui regrettent aujourd'hui de ne pas avoir pu transitionner tôt. Et combien d'adultes ayant subi une puberté indésirée qui leur semble irréversible se résignent à rester au placard toute leur vie, avec toute la souffrance qui va avec?»

Chacune des personnes auxquelles nous avons parlé pour la rédaction de cet article souligne qu'en matière de transition, il n'y a jamais de parcours type, que rien n'est obligatoire ni figé, qu'il s'agisse de traitements hormonaux ou de chirurgie.

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