Politique

François Hollande, éternel commentateur de la vie politique française

Quatre ans après la fin de son mandat, Hollande distribue sa profession de foi dans «Affronter». Cette troisième publication en tant qu'ancien président rappelle qu'il n'a pas perdu son sens de la bonne formule.

François Hollande lors d'une cérémonie à l'Hôtel des Invalides, le 29 septembre 2021. | Ludovic Marin / AFP
François Hollande lors d'une cérémonie à l'Hôtel des Invalides, le 29 septembre 2021. | Ludovic Marin / AFP

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À quoi est-on vraiment accro quand on est un ex-chef de l'État? Au pouvoir de diriger l'action publique, ou aux stratégies qui fondent l'interminable lutte pour détenir ce pouvoir? On a bien notre petite idée, mais nos anciens présidents s'amusent toujours plus de cette question qu'ils n'y répondent. Qui pourrait bien faire l'aveu de pulsions aussi mesquines pour le jeu politique? La politique ne vaut jamais pour elle-même, c'est une affaire de destin, de devoir sacrificiel, de parcours désintéressés mais toujours avisés pour servir la France. On connaît la chanson.

François Hollande fait un peu figure d'exception. Son parcours, ses réseaux, sa bavardise sur l'actualité du moment… Tout est sujet à trahir ce que ressent un vrai camé de la politique quand il ne sait plus faire semblant. À chaque volte-face électorale, chaque mouvement d'appareil qu'il avait prédit, il jubile. François Hollande aime la politique pour ce qu'elle lui procure, pas tant sur le plan d'intérêts matériels ou financiers, mais sur celui de ses affects. C'est une ivresse de soi. Et parfois, cette ivresse déborde en librairie.

L'ancien président en donne une nouvelle illustration en publiant Affronter chez Stock, sorte d'inventaire du paysage politique mêlé à de vagues propositions pour affronter les défis à venir. Rien de très original, mais il faut saluer le courage de celui qui tenait à faire part de sa vérité à quelques mois d'une échéance qui n'échappait à personne (pas même les libraires). Au milieu des titres politiques du moment, celui de l'ancien président fait belle figure et sait faire parler de lui. On a beaucoup lu et entendu des citations choisies de l'aggiornamento du «professeur punchline», qui en est maintenant à sa troisième publication en seulement quatre ans. Un résultat honorable pour celui qui s'était à moitié promis de décrocher.

Un livre d'éditorialiste, pour les éditorialistes

Mais pourquoi écrire ce livre? D'abord parce que c'est la grande passion de François Hollande: comprendre les jeux d'appareils, analyser des rapports de force, et les retourner à son avantage. Ses alliés comme ses adversaires lui reconnaissent un certain talent dans ce domaine. Quand il était premier secrétaire du Parti socialiste, autrement dit son dirigeant de 1997 à 2008, Hollande était respecté pour cela. Et s'il détient toujours le record de longévité à la tête du parti depuis sa création en 1969, c'est parce qu'il a su jouer de cette capacité. On trouvait en lui un «tacticien hors pair, roi des compromis», rappelle Cyril Graziani dans Le premier secrétaire de la République (2016).

Plus tard, le «mécanicien» de la politique arrive à l'Élysée porté par un parti passé en mode conquête. Devenu président, il poursuit les combines, gère les egos et défait les carrières au gré de ses intérêts. Cela donnera tout de même soixante-treize ministres nommés en moins de cinq ans, un record sous la Ve République.

Au moment où paraît son nouveau livre, on perçoit chez François Hollande un goût de revanche, mais est-ce bien celle que l'on attendait? Le président, il faut le rappeler, avait les défauts de ses qualités. Pendant négatif de son goût pour la petite cuisine politique, il s'était révélé par son incapacité à mettre des mots sur son action et à verrouiller sa propre communication. Aussi pensait-il pouvoir continuer comme au PS à entretenir une grande proximité avec un certain milieu médiatique, espérant qu'il prendrait le relai pour déceler des allures de clarté au cap qu'il s'était fixé.

Dans les services politiques des rédactions, on se souvient du soulagement ressenti à l'arrivée de cet homme mordu de médias après cinq années de rapports compliqués avec Nicolas Sarkozy. Lui président, sa porte allait rester ouverte aux éditorialistes, reporters et documentaristes qu'il accueillerait directement dans son bureau de l'Élysée pour faire du off et montrer l'envers du décor. Il avait aussi pris soin de ne pas changer de numéro de téléphone en 2012, contre l'avis de ses conseillers, pour permettre aux journalistes qui le connaissaient depuis des décennies de continuer à lui envoyer des textos.

Au terme de quatre années de rencontres hebdomadaires avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme, tous deux journalistes d'investigation au Monde, la pratique du off allait se retourner contre lui avec la parution du livre Un président ne devrait pas dire ça… Ironie du sort, c'est chez le même éditeur, Stock, que François Hollande publie aujourd'hui pour se faire son propre chroniqueur.

«La majorité [...] est confrontée à un dilemme impossible: la loyauté jusqu'au bout ou la fronde jusqu'à sa perte.»
François Hollande dans Affronter

Hollande chroniqueur sait qu'il s'adresse à un microcosme qui aime les bonnes formules, lui qui en a suffisamment payé le prix. C'est donc tout naturellement qu'il ouvre la première séquence d'Affronter avec un chapitre sur la grande confusion qui mine notre vie politique. Malin, le «professeur punchline» adresse ses premiers mots à Emmanuel Macron et distribue les baffes. On relève au passage une critique du manque de clarté, des positions mouvantes et de l'absence de doctrine de son successeur. Bien sûr, c'est un miroir des critiques qu'il avait lui-même reçues.

Mais si, pendant son mandat, François Hollande avait déjà tenté de définir ce qui faisait sa ligne à lui, il n'avait sans doute jamais autant correspondu à ce qu'il critique aujourd'hui chez Emmanuel Macron. Dans un entretien pour la revue Le Débat en 2016, il expliquait: «Le socialisme est un héritage qui plonge loin dans notre histoire, et c'est une idée beaucoup plus qu'une organisation […] Le socialisme est une philosophie beaucoup plus qu'une doctrine.»

Doctrine ou pas, on comprend qu'un président sorti est toujours mieux placé qu'un président sortant pour exposer son projet politique, quand il n'est pas simplement voué à prendre le contre-pied de celui des autres. Et les autres prétendants sont justement conviés à la séance de clashs où l'on croisera parmi d'autres Zemmour, Montebourg, Mélenchon, Sarkozy, Hidalgo… Tout le monde, ou presque, y a droit.

Critique envers le phénomène de personnalisation du pouvoir auquel il contribue en attaquant ses prétendants pour des considérations finalement très personnelles, il constate les déséquilibres engendrés par les modifications constitutionnelles menées depuis 1958 et qui ont entraîné des déséquilibres entre les institutions:

«[Notre Constitution] conjugue de plus en plus malaisément le régime parlementaire avec la fiction d'un Premier ministre chef de la majorité, et la présidentialisation qu'a renforcée le quinquennat. Ce mélange des genres aboutit à une confusion au sein de l'exécutif, et à un abaissement continu de l'Assemblée nationale. La majorité mécaniquement produite au lendemain de l'élection présidentielle est confrontée à un dilemme impossible: la loyauté jusqu'au bout ou la fronde jusqu'à sa perte.»

L'analyse qu'il livre sur ces divers dysfonctionnements est intéressante, la conclusion qu'il en tire l'est encore plus. Pour assainir les institutions qui les gouvernent, les citoyens pourraient se voir proposer un vrai régime présidentiel où le chef de l'État serait le seul chargé de diriger l'exécutif, sans Premier ministre mais entouré d'un cabinet, aux côtés d'un Parlement puissant dont les compétences en matière législative et budgétaire seraient renforcées. Autrement dit, un régime à l'américaine.

Quand il n'est pas chroniqueur, François Hollande se fait aussi théoricien et nous embarque dans une définition laborieuse du «progressisme» de ses origines à aujourd'hui. Quand il n'est plus polémiste, il se réinvente en sondeur, et cela devient franchement périlleux, pour ne pas dire suspect.

Quand l'exercice littéraire déguise un slogan partisan

Dans un chapitre moins commenté sur les «doutes des Français», il évoque des réformes à mener pour lutter contre «l'effet ghetto» des concentrations de populations «déshéritées» dans certains quartiers populaires. Si l'on doutait de l'esprit de progrès de sa démarche, on se rassurerait en repérant immédiatement les constats autour du manque de «mixité sociale», l'échec de la carte scolaire ou le défaut de logements sociaux disponibles.

C'est pourtant l'esprit de confusion qui règne dans cette analyse prudemment menée, mais habilement insérée dans une réflexion plus large sur la réforme pénitentiaire, la légalisation du cannabis et l'immigration. Et quand le chapitre se termine sur l'unité nationale contre les théories déconstructivistes d'une gauche radicale qui n'est pas nommée, et qu'il s'intitule «Vive la Nation!», on ne sait plus vraiment si c'est le chroniqueur, le polémiste ou le porte-parole d'opposition qui parle.

Quelque part entre l'exercice littéraire dépolitisé et le slogan partisan, l'ouvrage ne se distingue pas des recueils signés par d'autres prétendants à l'Élysée. Quand il ne verse pas dans la description très people des coulisses du pouvoir, il s'accommode très bien des problèmes publics dictés par un agenda résolument médiatique.

Pour élever le niveau, l'une des dernières strates de la nouvelle offre politique de François Hollande s'attaque à la grande mutation qui attend la France pour les dix prochaines années. Aux deux tiers de l'ouvrage arrive la question qui semblait pourtant figurer en bonne place parmi les doutes des Français comme de la gauche: la transition écologique. La COP21 est un succès sur lequel il ne s'attarde pas, sans doute parce le traité qui en est issu, l'accord de Paris, fait davantage figure d'avancée diplomatique que de victoire environnementale six ans après son adoption.

Entre autres, François Hollande rappelle à qui veut l'entendre que le sujet est trop lié à la situation économique des ménages, que ce soit en matière de consommation d'énergie, de consommation de biens et de services ou de fiscalité. Celui qui voudrait aller trop vite en instaurant une nouvelle taxe prendrait le risque de voir se lever contre lui un nouveau mouvement social.

Pour stimuler une croissance verte, l'ancien président continue de préférer l'incitation au contrôle, qu'il s'agisse de soutenir les innovations technologiques à faibles émissions ou d'offrir aux ménages des mécanismes incitatifs comme les primes à l'achat dans les véhicules et logements neufs. Le tout, propose-t-il, pourrait être coordonné par des structures transversales telles que l'actuelle Banque publique d'investissement, chargée de garantir des prêts bancaires aux entreprises considérées comme responsables, ou par un Plan pour la transition écologique.

Hollande termine ses livres comme il achève ses mandats, en s'adressant solennellement aux Français qui veulent bien l'écouter et croire en la modestie de son jugement, pourvu qu'elle lui autorise encore un dernier commentaire pour son successeur ou sa successeuse dans la course à l'Élysée. Anne Hidalgo est priée de ne pas oublier qu'elle est socialiste. Et nous sommes forcés de constater que l'ancien président excelle toujours dans l'art des synthèses déroutantes.

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