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Péter Márki-Zay, un chrétien-technocrate pour tenter de détrôner Orbán

Vainqueur surprise d'une primaire d'opposition inédite, ce maire de province, catholique, pro-européen et père de sept enfants, affrontera son modèle d'autrefois lors des élections législatives d'avril prochain.

À chaque apparition, Márki-Zay arbore un imposant ruban bleu, symbole de son mouvement anticorruption lancé fin juillet 2021. | Attila Kisbenedek / AFP
À chaque apparition, Márki-Zay arbore un imposant ruban bleu, symbole de son mouvement anticorruption lancé fin juillet 2021. | Attila Kisbenedek / AFP

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Personne ne l'avait vu venir. En avril prochain, lors des élections législatives, un maire de province sans parti défiera le Premier ministre Viktor Orbán et sa surpuissante formation Fidesz, tenant la Hongrie depuis 2010. Vainqueur surprise d'une primaire d'opposition inédite face à la sociale-démocrate Klára Dobrev avec 56,7 % des voix contre 43,3 %, le conservateur indépendant Péter Márki-Zay a profité du retrait durant l'entre-deux tours de l'édile vert de Budapest, Gergely Karácsony, longtemps considéré favori du scrutin. Pour «PMZ», le plus grand défi de sa courte carrière politique se profile à l'horizon.

Issu de la société civile, Péter Márki-Zay est sorti de l'anonymat en février 2018 lors d'une élection partielle organisée à Hódmezővásárhely, ville de 44.000 âmes proche des frontières serbe et roumaine. Quelques mois après le décès du maire Fidesz sortant, l'ancien cadre chez EDF et Legrand ravissait ce bastion historique du parti au pouvoir, et rééditait l'exploit lors des municipales du 13 octobre 2019. Outsider de la primaire d'opposition, ce fervent catholique, père de sept enfants et admirateur déçu de Viktor Orbán, est devenu en l'espace de quelques semaines le candidat unique du front anti-Fidesz.

«Populisme anticorruption»

Défenseur d'une politique «propre» et d'un gouvernement d'experts, l'étonnant «PMZ» entend renverser en 2022 l'exécutif, qu'il juge le plus corrompu des mille ans d'histoire magyare. «Même si Péter Márki-Zay ne leur ressemble en rien politiquement, le succès de son discours anti-élitiste, de son populisme anticorruption et de son radicalisme rappelle l'ascension de Donald Trump aux États-Unis, de Volodymyr Zelensky en Ukraine, de Zuzana Caputova en Slovaquie, du Mouvement 5 Étoiles en Italie ou la campagne du Brexit en Grande-Bretagne», décrypte l'éditorialiste Péter Pető du site 24.hu.

À chaque apparition filmée, Márki-Zay arbore un imposant ruban bleu, symbole de son mouvement anticorruption lancé fin juillet 2021, et ne se sépare jamais de son carnet de notes du même coloris. Ses contempteurs lui reprochent son goût des punchlines polémiques, promettant la prison aux ténors du Fidesz, s'autorisant des dérapages antiféministes ou anti-gays et encensant les châtiments corporels. «PMZ» revendique son «radicalisme» borderline, se déclarant «prêt à tout faire pour libérer sa patrie» et refusant résolument de «rester assis tranquille en attendant que quelqu'un batte Orbán».

Péter Márki-Zay lors une conférence de presse à Budapest, le 17 octobre 2021. | Attila Kisbenedek / AFP

Anglophone et francophone, la figure de proue du Mouvement de la Hongrie pour tous (Mindenki Magyarországa Mozgalom –MMM) vécut cinq ans au Canada et aux États-Unis entre 2004 et 2009 avec son épouse Felícia. Péter Márki-Zay débuta par des petits boulots et travailla ensuite pour le réseau de pièces automobiles Carquest à Toronto, puis dans l'Indiana américain, tandis que sa compagne suivait une formation de sage-femme. Après le retour de la famille vers l'Europe, «PMZ» retrouva le secteur énergétique, tout en dispensant des cours de gestion marketing jusqu'en 2014 à l'université de Szeged.

Profondément croyant, il désapprouve le divorce et l'avortement, mais s'engage à ce que l'État séculier garantisse la possibilité pour les couples de même sexe de se marier légalement. «PMZ» dénonce l'instrumentalisation de la chrétienté par l'exécutif en place et veut fédérer les anti-Orbán de tous horizons. «Le maire de Hódmézővásrhely est capable de séduire les électeurs traditionnels de gauche, ceux de droite déçus par le gouvernement, les jeunes détournés des partis, les libéraux désabusés et les véritables chrétiens-conservateurs», estime le journaliste politique András Vas du quotidien Népszava.

Absence d'appareil politique

Pro-européen convaincu et libéral à l'anglo-saxonne, Péter Márki-Zay prône un marché libre, une fiscalité généreuse pour les entreprises et un taux unique d'imposition, mais concède la nécessité d'augmenter les professeurs et les soignants. Le quadragénaire promet de rompre avec l'autoritarisme oligarchique du régime Orbán et les errements de l'élite post-communiste, dont l'ancien Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsány (2004-2009), époux de Klára Dobrev, discrédité par sa réélection controversée de 2006, terrassé par la crise financière mondial de 2008 et honni de nombreux Magyars.

Un participant brandit le drapeau de l'Union européenne tandis qu'on voit en arrière-plan le slogan de campagne «Votez pour le vrai changement» lors d'un rassemblement électoral du maire de Hódmezővásárhely, à Budapest, le 10 octobre 2021. | Attila Kisbenedek / AFP

Les détracteurs pro-Orbán de «PMZ» considèrent que son absence d'appareil politique le pénalisera au Parlement s'il s'impose en 2022 et taclent son entente avec la gauche et l'extrême droite recentrée. «Márki-Zay se dit chrétien et conservateur, mais il attaque un gouvernement réélu démocratiquement trois fois de suite, prenant des mesures constructives pour le pays et améliorant le bien-être social. On peut chanter les louanges de Márki-Zay, mais n'oublions pas qu'il est partenaire d'une alliance de gauche de bric et de broc incorporant également l'extrémiste Jobbik», tance l'éditorialiste Attila Banó.

Les contempteurs de Márki-Zay lui reprochent particulièrement d'avoir «pactisé» avec l'épouvantail Gyurcsány et qualifient de «posture» sa volonté de rupture avec les mondes d'avant et d'après 2010. Le duel Orbán versus Márki-Zay bouscule la narration du Fidesz. La majorité se préparait à livrer bataille contre l'écologiste Karácsony ou la sociale-démocrate Dobrev et ridiculisait la course à l'investiture d'opposition, vue comme un «show» orchestré par Gyurcsány. Au printemps prochain, elle affrontera le plus modeste budget de la primaire, un conservateur susceptible d'attirer les déçus de l'orbánisme.

Candidat «dangereux»

Débarqué telle une comète dans le ciel de la grande politique hongroise, Péter Márki-Zay luttera immanquablement pour maintenir sans casse le front hétéroclite d'opposition jusqu'en avril 2022 et composer avec les ambitions de la Coalition démocratique de Ferenc Gyurcsány, aspirant à mener la majorité parlementaire si le chrétien-technocrate «PMZ» détrônait le souverainiste Viktor Orbán. Mais, après trois mandats de cadenassage sans limite du pouvoir par le Fidesz, la chute de son leader «illibéral», anti-migrants, anti-Bruxelles et anti-LGBT, jusqu'ici inamovible, semble enfin envisageable.

«Márki-Zay s'est imposé car beaucoup d'électeurs veulent non seulement changer de gouvernement en 2022, mais sont aussi insatisfaits de la situation et de l'offre politique actuelle de l'opposition, observe le politologue Gábor Török. Le scénario Márki-Zay est extrêmement dangereux pour la campagne nationale du Fidesz. Bien sûr, la propagande convaincra les électeurs fidèles que PMZ est un homme de Gyurcsány. Le parti ne s'était pas préparé à l'hypothèse Márki-Zay, et, comme nous, ne sait pas vraiment à quoi s'attendre. La campagne et l'élection sont devenues imprévisibles.»

«Márki-Zay s'est imposé car beaucoup d'électeurs veulent changer de gouvernement, mais sont aussi insatisfaits de l'offre de l'opposition.»
Gábor Török, politologue

Nul doute que la communication politique du Fidesz, dilapidant les deniers du contribuable dans des campagnes de dénigrement, jettera toutes ses forces dans la bataille afin de briser «PMZ». Anticipant un revers depuis un an, Viktor Orbán assure ses arrières en confiant entreprises et biens publics à des fondations amies. Si «PMZ» l'emporte, il dirigera peut-être la Hongrie, mais doit recevoir l'onction du Parlement et Orbán conservera une large influence économique. Et si l'opposition ne conquiert pas les deux-tiers des députés, elle n'aura aucune marge de manœuvre face au pouvoir de nuisance du Fidesz.

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