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«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected].
Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par WhatsApp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.
Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.
Chère Lucile,
Je n'ose pas en parler à nos proches, seulement à ma compagne avec qui le débat est compliqué et, au vu du passif, en parler, aborder ce thème ou même y faire une allusion ou un geste la repousse chaque fois un peu plus. Pour résumer, je suis avec ma compagne depuis plus de onze ans, nous avons deux magnifiques enfants, une maison, il manque juste le labrador pour obtenir le cliché de la famille parfaite. Nous nous entendons très bien, sommes très complémentaires, bref, le couple que nombre de nos potes célib (et même parfois en couple) voudraient prendre comme exemple. Au milieu de tout ça, il ne faut pas se fier aux apparences, il y a bien sûr des désaccords, des choses sur lesquelles on souhaite que l'autre évolue, voire change.
Je m'appelle Luc, j'ai 31 ans, un peu en surpoids et je l'aime de tout mon cœur, je n'ai jamais eu de doutes là-dessus. Le gros point sur lequel les choses s'enveniment au lieu de s'arranger, malgré une solide communication entre nous, c'est le sexe. Je n'ai pas une libido débordante, difficile à quantifier, mais j'aimerais avoir des rapports environ deux à trois fois par semaine, que ce soit à mon initiative ou à la sienne, peu m'importe.
Je suis quelqu'un de féministe, qui croit en le plaisir féminin et qui sait comment la faire jouir lorsque les planètes s'alignent. Ce qui se passe aujourd'hui est simple: il est difficile de parler de fréquence tellement c'est rare et erratique, presque seulement à son initiative, car dès que j'essaie de proposer ou provoquer cela ne fonctionne quasiment jamais (je ne me rappelle pas la dernière fois où elle a «accepté» à mon initiative).
Malgré tout, des efforts des deux côtés: psy ensemble ou chacun de son côté, sexologue, jeux...
À ce jour, j'ai presque peur de lui en parler, je me masturbe souvent, cinq fois par semaine en moyenne je pense, même si dans des cas de stress ou autre ça peut être plus rare. Je ne lui dis pas et essaie de le cacher au maximum. De son côté, je ne pense pas qu'elle se masturbe, ou très rarement de ce que je comprends. Je l'encourage pourtant mais elle n'en ressent pas le besoin.
Elle a déjà réfléchi pour savoir si elle était asexuelle mais je ne pense pas, enfin peut-être que je me trompe. Ça devient vraiment très dur pour moi, je me dis que cela vient de moi, de mon apparence, de mes odeurs, j'essaie d'avoir des attentions, des gestes, des massages, des cadeaux mais rien ne déclenche ça… Très clairement, en général, c'est plutôt mécanique pour moi et jusque-là, j'ai toujours été partant.
Lorsque l'acte arrive, à son initiative, il est rare qu'il y ait des préliminaires alors que j'adore ces jeux, faire monter l'excitation avant, pas seulement par des fellations ou cunni, j'apprécie particulièrement la masser, la lécher, la faire jouir même avant la pénétration.
Ces derniers temps, entre mon état de manque et son absence quasi totale d'envie, les relations sont tendues et je suis irritable lorsque je «n'obtiens pas». Entre le fait que je me masturbe fréquemment, le passif et la conscience peu tranquille à me dire sans cesse: est-ce qu'elle le fait de bon cœur? Le fait-elle pour être tranquille? En bref, ces trois ou quatre dernières fois je n'ai pas réussi à finir et cela me frustre. Ce n'est plus aussi naturel, je ne sais pas comment l'exprimer.
Petite précision: l'alcool peut dans certains cas l'aider et l'exciter mais ça reste rare, hormis ça, autant il y a de très nombreuses raisons de ne pas faire l'amour selon elle, autant quels que soient la situation, le moment, l'endroit, rien ne déclenche en elle une envie.
Luc
Cher Luc,
Je vais être tout à fait honnête avec vous, comme vous l'avez été avec moi, mais j'ai du mal à comprendre votre problème. Vous avez une vie sexuelle avec votre compagne, vous avez également une vie sexuelle de votre côté mais quelque chose vous manque. Puisqu'elle est à l'initiative de vos rapports sexuels, je doute que votre compagne soit en effet asexuelle. Et si elle l'était, ce qu'elle aurait tout à fait le droit d'être, elle devrait avoir suffisamment confiance en vous et votre couple pour exprimer son absence d'envie sans avoir peur de votre réaction. Il semble aujourd'hui que, de votre propre aveu, ce ne soit pas le cas.
Je ne crois pas que deux personnes en couple aient vocation à être tout à fait sur la même longueur d'ondes sexuellement tout au long de leur vie. C'est même assez rare, passée la passion des premiers moments. C'est pour cette raison qu'il est important que chacun et chacune fasse le point de ses besoins et des manières de continuer à alimenter son désir sans faire peser cette pression sur qui que ce soit. Votre vie sexuelle, votre imaginaire érotique, vos désirs, ce sont en premier lieu vos affaires.
Dans un contexte où chacun s'occupe de se donner du plaisir et a la place de développer son propre imaginaire, il y a moins de pression sur l'autre, moins de pression sur la sexualité partagée. Votre compagne a le droit de n'avoir ni l'envie ni le temps de se masturber. Et elle a le droit également d'avoir une vie sexuelle avec sa propre temporalité. Aucune thérapie ne réussira à la faire s'accorder à votre fréquence sexuelle idéale.
Que vous manque-t-il donc? Si ce n'est pas uniquement de la frustration sexuelle, alors il vous manque peut-être de la tendresse dans votre vie ou des moments heureux partagés avec votre compagne? Si vous voyez le problème sous ce nouvel angle, est-ce qu'il ne vous vient pas des idées d'activités ou de moments à organiser pour vous créer de beaux souvenirs ensemble?
Je peux vous assurer qu'on n'aborde pas le sexe de la même manière quand on a le sentiment qu'il est obligatoire, incontournable, que c'est le seul vrai but de la soirée. Mon conseil est donc d'apprendre à vous détacher de cette injonction pour commencer à décharger cette pression des épaules de votre partenaire. S'il y a encore de l'amour, alors essayez de le vivre, au lieu de penser que le sexe est la seule expression des sentiments que vous vous portez.
«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes: