Politique

Éric Zemmour réinvente l'histoire du RPR pour coller à ses fantasmes

Sa captation de l'héritage de ce parti phare de la Ve République relève d'une astuce politicienne fort triviale. Elle révèle aussi l'appétence du proto-candidat pour une continuelle réécriture de l'histoire au profit de ses ambitions égotiques.​

Éric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2021. | Christophe Simon / AFP
Éric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2021. | Christophe Simon / AFP

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Éric Zemmour entretient un rapport assez décontracté avec l'exigence de rigueur du travail historique et, évidemment, avec la force et la réalité des faits. Il l'a démontré en ce qui concerne le rôle du gouvernement de Vichy dans la Shoah, conférant au régime pétainiste des vertus intellectuellement et factuellement ineptes, mais ayant dans la perspective zemmourienne vocation à libérer son désir propre, comme celui plus latent d'une fraction de la société française, de bouleverser une tradition républicaine qu'il a abandonnée pour un «do it yourself» identitaire issu de ses lubies.

Zemmour et le RPR imaginaire

Si l'on veut faire simple: le Rassemblement pour la République (RPR) a toujours maintenu une barrière culturelle forte avec l'extrême droite datant de 1940-1944 et 1962, plaçant entre eux des souvenirs faisant appel au sang et à des situation de quasi guerre civile. Le RPR, qui n'avait rien de parfait, a connu plusieurs périodes: celle du «travaillisme à la française» de 1976 à 1981 (dont 25% des membres revendiquaient leur positionnement au centre gauche); celle d'une orientation plus droitière libérale et européenne au cours des années 1980; et une situation d'affrontement entre deux conceptions du gaullisme, de 1990 (moment des Assises au Bourget) à 2000 environ.

L'usage que fait Zemmour de l'histoire du RPR a une fonction: rendre ses idées acceptables par le plus grand nombre.

À quel RPR se réfère Zemmour lorsqu'il dit être «le candidat de ce qu'on appelait avant le RPR»? Aucun, puisque même le plus droitier n'a ni renié la croix de Lorraine (le logo de tous les grands mouvements politiques gaullistes qui se sont succédé de 1947 à 2002, y compris le RPR), ni cessé de combattre le vichysme. Même l'artisan du virage droitier du RPR –Édouard Balladur– qui vouait aux gémonies le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) n'a jamais osé, ni voulu, ni probablement pensé, opérer les rafales de transgressions de Monsieur Z.

Une manipulation de sitcom

À un niveau plus relatif mais néanmoins révélateur, l'usage qu'il fait de l'histoire du RPR a une fonction: rendre ses idées acceptables par le plus grand nombre. Au contraire de l'UMP et de Les Républicains (LR), le RPR garde dans les segments les plus politisés une image qui n'est certes pas consensuelle, mais du moins «bonhomme» et conforme à l'idée que les Français se font du débat public, de ses légitimes désaccords, et des points de consensus qui construisent le dialogue entre «gauche» et «droite» depuis 1969.

Le mouvement gaulliste a rassemblé un très large éventail de positionnements idéologiques. Des amis de Philippe Dechartre, authentique gaulliste de gauche, aux membres très «anti-marxistes» de l'UNI et du MIL, les Assises du RPR réunissaient sous la croix de Lorraine un peuple RPR aussi chaleureux que disparate. Seule constante: le rejet du racisme et de ses fourriers.

Pris d'une forme d'hubris qui rappelle le Trump de 2015-2016, Zemmour réinvente donc l'histoire, son histoire, et crée chaque jour un événement qui le légitime. Il se réclame désormais du RPR: cela coïncide avec le style incendiaire et égotique de son dernier opus, imbibé d'une culture générale de bazar et dont la vocation ressemble à ces livres qui pullulaient dans les années 1930, le style en moins, ou rectifié éditions Harlequin.

Légitimer Pétain pour justifier demain une politique ségrégationniste

Fallacieux passionné d'histoire et considérant que l'interprétation de «l'histoire» est une des clefs des combats remportés en politique, Éric Zemmour s'inscrit pourtant en faux contre l'un des piliers de l'identité gaulliste ou post-gaulliste depuis 1945: l'interprétation de la période 1940-1944.

Des historiens de renom, au premier rang desquels Laurent Joly, ont démontré autant la vacuité et l'inconsistance que la nocivité des interprétations données par Zemmour de la politique des gouvernements Pétain-Darlan-Laval dans les années 1940 à 1944 en matière de répression et d'annihilation des Juifs de France. Rien, historiquement, ne vient à la rencontre des «analyses» historiques zemmouriennes. Au contraire, tout les condamne.

Mais pourquoi est-ce si important politiquement? Parce que Éric Zemmour dédouane le gouvernement de fait français, celui de Vichy, servi par toute une très zélée administration, des crimes relatifs à la participation à la Shoah. La France d'hier rendue innocente des crimes de la déportation légitime de fait une France d'aujourd'hui et de demain potentiellement ségrégationniste, et capable de pratiquer un tri entre bons et mauvais assimilés.

Le propre du zemmourisme est de transgresser, de nier sur un mode savant la transgression accomplie, puis de l'assumer.

Zemmour théorise, à partir de l'histoire, une histoire fantasmée, une France implacablement capable d'un tri, d'une discrimination fondée sur l'idée qu'il se fait de la «francité». Une idée bien curieuse d'ailleurs.

Convaincu par sa propre doxa, Éric Zemmour calque sur elle les positions ou évolutions (réelles) du RPR des années 1980 ou 1990. Sa fable s'oppose par exemple au vécu d'un Bernard Pons, résistant juvénile et président du groupe RPR de 1988 à 1993. Elle s'est aussi, dans la vie réelle, heurtée à la conception que Charles Pasqua se faisait de la France, héritée de sa jeunesse au Bureau central de renseignements et d'action (BCRA), et qu'il rappela de façon assez franche à Zemmour en 2014.

Faire parler les morts et les fantômes

Cependant, la falsification ne s'arrête pas là. Éric Zemmour décrit un RPR droitier, volontiers xénophobe, enclin à mener des politiques inégalitaires. Or cette réalité n'a aucun fondement. Elle est une falsification de l'histoire politique de notre pays. Éric Zemmour devrait savoir, en tant que rubricard sur le RPR et ses franges séguinistes, pasquaïennes et souverainistes naissantes, que jamais au grand jamais, il n'a été question de dédouaner Vichy: ni Pucheu, ni Peyrouton, ni Laval ou Darlan n'échappaient au jugement implacable d'un RPR totalement indisposé à l'idée de réhabiliter Vichy.

Le propre du zemmourisme est de transgresser, de nier sur un mode savant la transgression accomplie, puis de l'assumer. Sur tous les sujets, il fonctionne ainsi. Le procédé n'est pas neuf mais prospère au moment de crises organiques et de crises de régime. Le but, évidemment, est de vampiriser différents secteurs idéologiques et sociaux du pays.

À la thèse d'une droitisation du RPR, Zemmour répond depuis toujours par la thèse de sa «centrisation». C'est un débat récurrent avec lui: ceux qui estiment que le RPR s'est droitisé pensent à sa conversion européenne et libérale, atlantiste, à sa sociologie plus bourgeoise encore avec l'UMP, à sa tendance au néoconservatisme et à l'occidentalisme. Éric Zemmour voit, lui, une forme d'avachissement concomitant à une supposée domination de la «gauche» dans les médias.

Parce qu'il voit des gens de gauche partout, Éric Zemmour fait parler les morts. C'est un hybride de l'enfant de Sixième Sens et d'un adepte du spiritisme des années 1900. Le fond de l'affaire est que le «gaullo-communisme» et l'adhésion massive à l'idée d'égalité du «peuple RPR» lui fait horreur. Il réécrit l'histoire aux fins d'une captation d'héritage aussi frauduleuse que machiavélique.

La question identitaire n'a jamais intéressé le RPR

Quiconque a vécu la vie d'une section RPR de province, par exemple de Saône-et-Loire, contera la présence en son sein d'anciens maquisards, de fille de résistants du maquis de Cluny, de fils ou de neveux de déportés, toutes et tous bien éloignés des thèses de Zemmour, et totalement imperméables à l'influence des intellectuels qui, un temps, tel François-Georges Dreyfus, ont pu jouer un rôle dans l'évolution du RPR vers des thèses proches de celles du Club de l'Horloge –un cercle d'extrême droite.

Qu'on le veuille ou non, malgré des écarts peu heureux, jamais le RPR n'a pactisé avec le FN.

Il est certain que le RPR local, dans sa composition sociologique, était totalement immunisé contre les thèses d'extrême droite. Sans doute vivait-il parfois des éruptions xénophobes, mais son assimilationnisme égalitaire dominait, et surtout –le plus important en politique–, sa culture commune lui interdisait le type de transgressions développées par Éric Zemmour.

Ce dernier, comme jeune journaliste, a suivi de près les débats internes au RPR des années 1990. Il savait tout des options des uns et des autres, mais si sa mémoire ne le trahit pas, il doit se souvenir que jamais «l'identité» ne fut un sujet de débat. Ni dans les bureaux de Demain la France, rue de Penthièvre autour de Charles Pasqua, ni au siège du RPR, rue de Lille, autour de Philippe Séguin, il ne fut jamais question «d'identité». Jamais. De souveraineté assurément, mais jamais d'identité. La question de l'identité était alors perçue comme une sorte de palliatif mêlé de cigüe au discours et au projet des opposants à Maastricht.

Un héritier de l'archéo-futurisme ou de la passéo-bourgeoisie?

Comme le disait avec raison l'historien Nicolas Lebourg, quels que soient les défauts passés du défunt RPR, Éric Zemmour, par son interprétation du monde, se rapproche davantage de Guillaume Faye que de Jacques Chirac. Qu'on le veuille ou non, malgré des écarts peu heureux, jamais le RPR n'a pactisé avec le FN, alors que tous les présidents de régions soutenus par le FN en 1998 venaient de l'UDF, preuve qu'il y a un «bug» dans la vision du monde de Monsieur Z. À moins qu'Éric Zemmour ne soit le nouveau chef d'une vieille droite anti-gaulliste, aux affaires prospères et au passé généalogico-idéologique peu avouable.

S'étant construit comme un conteur à succès depuis une décennie, il s'imagine en faiseur de pluie en avril prochain, ce que le régime comme l'évolution du monde médiatique lui permet. L'explication du monde et de la France par Éric Zemmour apparait comme un bonneteau idéologique et une mystification rarement égalée dans le débat public. Les fins d'un tel discours sont floues quant à leur concrétisation, sauf à transformer le pays en un Puy du Fou hérissé de miradors.

À coups de transgressions et de contrevérités, Éric Zemmour parvient à prêter à l'un des partis du consensus issu de 1945 des intentions exactement inverses à celles qui furent les siennes. L'histoire de France façon Zemmour est à la fois une histoire Potemkine et une maison hantée. Dans une période de crise, ce genre de personnage ne doit pas être sous-estimé.

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