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Ne laissons pas l'Iran faire chanter la planète

Face à l'atonie de la communauté internationale, l'Iran pourrait bientôt dévoiler son jeu nucléaire.

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Deux événements survenus la semaine dernière font paraître quelque peu légère l'approche graduée qu'Obama a adoptée vis-à-vis de l'Iran. Ils mettent par ailleurs en lumière deux possibles évolutions à prévoir, l'une extrêmement menaçante, l'autre à certains égards réconfortante.

Le 15 mai dernier, donc, l'ayatollah Mohammed Baqer Kharrazi, secrétaire du Hezbollah iranien s'est offert une diatribe incendiaire dans le journal qu'il possède, Hezbollah. L'heure est venue, clamait-il, pour l'avènement d'un «Grand Iran» qui étendrait son hégémonie du Moyen-Orient à l'Asie centrale (de la Palestine à l'Afghanistan, pour reprendre les grandes lignes de notre pamphlétaire). Ce nouvel impérialisme présenterait deux immenses avantages : il éliminerait l'État juif, et il préparerait le retour du Mahdi et le règne de la perfection qui se fait attendre depuis que cet imam s'est brusquement «caché», au IXe siècle.

Le second événement, bien concret celui-ci, a été l'organisation d'une grève générale par les Kurdes d'Iran dans toutes les grandes villes de leur région opprimée. Les écoles, les boutiques et les marchés sont restés fermés, et tout porte à croire que le mouvement a été bien suivi. La grève a été déclenchée par l'exécution brutale de cinq opposants au régime, dont quatre Kurdes. La République islamique d'Iran semble n'avoir plus que ce seul type de recours alors qu'approche le premier anniversaire du coup d'État des Gardiens de la révolution.

Impérialisme chiite

De la même façon que ces Gardiens veillent en réalité sur une contre-révolution brutale et sur un statu quo aussi précaire que tyrannique, le secrétaire du Hezbollah iranien et ses poussées d'impérialisme chiite sont profondément réactionnaires. (Les médias s'évertuent pourtant à qualifier ces hommes de «radicaux».) Si l'appel de Kharrazi à la destruction d'Israël et sa fiévreuse invocation du Mahdi relèvent de la routine, sa sortie contre les «tumeurs cancéreuses» de l'islam sunnite présente un tout autre intérêt, surtout quand on sait qu'elle vise plus particulièrement les voisins arabes du Golfe.

Bien que n'ayant rien d'inédit non plus, ces déclarations ne s'expliquent pas seulement par des arrière-pensées démagogiques. Il n'y a pas si longtemps, le quotidien quasi-officiel de Téhéran, Kayhan, affirmait que l'archipel de Bahreïn était en fait une région iranienne, position soutenue plus ou moins ouvertement par la frange dure du régime Khamenei-Ahmadinejad. Certes, une grande partie de la population de Bahreïn est persane, chiite ou les deux. Mais à l'inverse, une grande partie des Kurdes d'Iran est sunnite et, par définition, non persane.

Ces discours belliqueux des ultraconservateurs annoncent peut-être des démonstrations de force sectaires à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Aussi délirante paraisse cette idée, n'oublions pas que le prochain gouvernement iranien - et quel qu'il soit, le président Mahmoud Ahmadinejad l'espère «dix fois plus révolutionnaire» - sera en possession d'armes nucléaires et de moyens de les déployer.

Boucliers

Cette effroyable perspective, à laquelle nous semblons presque nous être résignés comme des somnambules, ne suscite que des commentaires sur la menace qui pèserait de ce fait sur «l'existence» d'Israël. Sans négliger ce danger, ni la paranoïa antisémite ou le négationnisme qui vont de pair, l'État hébreu dispose de trois boucliers que n'ont pas, au hasard, Bahreïn, le Liban ou les Émirats arabes unis (ces derniers faisant également l'objet des prétentions territoriales de l'Iran, qui occupe déjà trois îles que se disputent les deux pays). Le premier de ces boucliers est évidemment l'arsenal nucléaire israélien. Le deuxième, tout aussi évident mais très rarement mentionné, est l'existence des Palestiniens. Car les mollahs iraniens ne peuvent pas concevoir une arme de destruction massive qui ne tue que les juifs et épargne, par exemple, la mosquée al-Aqsa. Ils pourraient certes promulguer une fatwa qui autorise le massacre collectif des Arabes sunnites, ce que sont en majorité les Palestiniens, et laisser à Allah le soin de reconnaître les siens, mais la chose est peu probable, même pour un Kharrazi. (Conclusion: plus vite il existera un État palestinien qui ait Jérusalem pour capitale commune, mieux Israël sera protégé.)

Troisième et dernier bouclier: les États-Unis défendront Israël. Viendraient-ils aussi sûrement au secours de Bahreïn ou des Émirats arabes unis? Imaginons que l'armée iranienne attaque les petits États du Golfe en fanfaronnant: Devinez combien on a de têtes nucléaires! Autant imaginer que Saddam Hussein n'ait pas fait l'erreur fatidique d'envahir le Koweït avant que ses réacteurs et ses missiles ne soient prêts.

Chantage

À mes yeux, il est clair que les mollahs iraniens ne vont pas sacrifier leur très rentable système de corruption et d'extorsion dans une guerre désespérée contre des pays qui ont les moyens de les anéantir. Peut-être quelques fans de Mahdi rêvent-ils de cette apocalypse, et il faut en tenir compte. Mais à moyen terme, ce qui est beaucoup plus probable, c'est que Téhéran veut la bombe nucléaire pour faire chanter les autres pays musulmans.

D'ici à ce que l'Iran dévoile sa capacité nucléaire, la législation internationale aura été intégralement bafouée. Les mollahs, qui ont publiquement juré aux Nations unies, à l'Union européenne et à l'Agence internationale de l'énergie atomique, qu'ils étaient sincères, pourront alors rire au nez de la «communauté internationale». Il est étrange que ceux qui encensent d'ordinaire les Nations unies et ses inspecteurs ne ressentent pas plus cruellement l'humiliation. En attendant, le pouvoir iranien qui détient les clés des sites nucléaires secrets est aussi celui qui viole ses prisonniers, avilie ses femmes, réprime ses «électeurs», vide ses universités et assassine ses minorités ethniques. Il est urgent de mettre au point une politique où cohabitent exigence de désarmement et possibilité pour tous les Iraniens, qu'ils soient kurdes, azéri, persans, arméniens ou juifs, de s'exprimer sur leurs «affaires intérieures». Mais il semble que personne ne soit à la hauteur de la tâche. Attendons-nous donc à vivre dans un monde où il faudra se faire les flagorneurs d'êtres tels que l'ayatollah Kharrazi.

Christopher Hitchens est chroniqueur à Vanity Fair et journaliste associé à la Hoover Institution de Stanford, Californie.

Traduit par Chloé Leleu

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Image de Une: Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad   Raheb Homavandi / Reuters

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