Santé

À l'hôpital, la poésie pour soigner autrement

Le Théâtre de la Ville et l'AP-HP ont mis en place les «consultations poétiques», destinées à offrir une parenthèse aux patients et aux soignants.

<em>«D’une manière générale, l’art ouvre une porte de l’inconscient.»</em> | Marco Verch <a href="https://www.flickr.com/photos/30478819@N08/50355064367/in/photolist-2jHGShX-f3gT3R-6R6X2T-6SsKQ7-powCKV-WC8swN-oPDDX2-oxqMWu-oPTK3q-oxqLGp-oMTF4Q-oxqNgY-pCSxBd-oxqKbP-oMTFwJ-FsvP8C-Q7Vps3-oxrscz-dwB65C-oxsZ1X-oMTFtC-oxsjFJ-poyAFd-oxsGjS-tkJW62-oxrs1H-oxqN3v-oPX4Bg-oPVx6Z-jNWLsV-oxrqA8-7B1DqP-dCFZZb-dpDkQm-9BARFy-9BARCb-5q6VJE-aAU127-2ahtNJX-4tvjva-2duHQbd-24fGkvg-5Yta5Z-p39tC-aSSxt-2mbkQMr-6SoFZ6-KzfYi-UGx7T5-7pnh5F">via Flickr</a> CC <a href="https://www.flickr.com/photos/30478819@N08/">License by</a>
«D’une manière générale, l’art ouvre une porte de l’inconscient.» | Marco Verch via Flickr CC License by

Temps de lecture: 4 minutes

Tout commence en juin 2020, alors que les visites hospitalières sont encore fortement restreintes par l'épidémie de Covid-19. À l'initiative d'Emmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre de la Ville, à Paris, des consultations poétiques réalisées par téléphone sont alors proposées (en français et dans cinq autres langues) aux patients et aux soignants des services de neurochirurgie, neurologie, soins de suite et réadaptation de l'Hôpital de la Pitié Salpêtrière. Les acteurs et actrices de cette Troupe de l'imaginaire ont été préalablement formés à intervenir en milieu hospitalier et des médecins sont mobilisés: la docteure Carine Karachi, neurochirurgienne, le docteur David Grabli, neurologue et la docteure Sophie Dupont, cheffe de service soins de suite et réadaptation.

Sur la base des résultats positifs obtenus, et dans le cadre d'un partenariat finalisé par une convention signée en juillet 2020 entre l'AP-HP et le théâtre du Châtelet,  il a été convenu d'étendre les actions à sept hôpitaux de l'AP-HP.

C'est ainsi que depuis décembre 2020, le Théâtre de la Ville a développé une expérience pilote de consultations poétiques, musicales et dansées en présentiel à l'Hôpital Charles-Foix (AP-HP) à Ivry-sur-Seine en collaboration avec la docteure Amina Lahlou, cheffe du département de soins de longue durée et ses équipes. Plusieurs fois par semaine, les artistes de la Troupe de l'Imaginaire interviennent auprès des patients et des soignants de plusieurs services: neurologie, soins de suite et de réadaptation, soins de longue durée et psychiatrie.

Les artistes proposent des consultations «au chevet» dans les chambres, en groupe dans des lieux de vie, ou à distance en visioconférence, mais aussi des petites formes théâtrales et musicales. Toutes ces actions artistiques ont été établies en dialogue avec les soignants, et adaptées aux pathologies de chaque patient.

Parenthèses poétiques

Au printemps 2021, les consultations en visioconférence se sont développées dans six autres établissements hospitaliers de l'AP-HP. En mai 2021, Emmanuel Demarcy-Mota a imaginé d'exporter ces consultations à la mairie du XIIIe arrondissement de Paris, dans la salle d'attente où a lieu la vaccination contre le Covid. Un symbole très fort dans un contexte où les théâtres étaient restés fermés de longs mois durant, et où la vaccination était une condition sine qua non à la reprise d'une vie culturelle à l'extérieur de chez soi. 

Les consultations poétiques se poursuivent cet automne avec, en plus, une nouveauté à la Pitié Salpêtrière: un cabinet de consultation médicale mis à la disposition des artistes pour accueillir patients et soignants et leur offrir ainsi un moment privilégié d'écoute et de répit, une parenthèse poétique.

«J'ai pu lire le ressenti sur les visages des artistes et écouter les réactions des patients. Le mot qui vient est “enchantement”.»
Carine Karachi, docteure

Insolites, ces expériences interrogent. Qu'ont à faire les arts vivants à l'hôpital? Quel est le rôle de ces artistes qui n'ont aucune expertise de soignants  auprès des patients? Quels sont les bénéfices du dispositif pour les différentes parties prenantes?

«Au cœur de la pandémie de Covid, nous avons voulu resserrer les liens entre santé et culture», explique Emmanuel Demarcy-Mota. «Nous avons voulu soutenir les soignants tout en défendant l'idée d'un véritable théâtre public. C'est pour nous construire une nouvelle alliance et envisager ensemble le “temps d'après”. Nous avons ressenti une forme d'urgence à mettre en place cette initiative», se souvient-il.

Effectivement, il n'a fallu que quelques mois pour mettre en place les premières consultations poétiques par téléphone –le temps de réunir les acteurs et actrices, de les former, de rédiger un «Vidal poétique» regroupant des poèmes de toutes origines afin de travailler sur les prescription poétiques adaptées aux besoins des patients et de mettre le dispositif à l'épreuve.

Voyage immobile

«Les premières consultations ont rencontré un franc succès», témoigne la docteure Carine Karachi. «Puis, lorsque la présence physique auprès des patients a été possible, cela a représenté une expérience très forte pour tout le monde. De ma place, j'ai pu lire le ressenti sur les visages des artistes et écouter les réactions des patients. Le mot qui vient est “enchantement”.»

Il y a un aspect sur lequel tous deux souhaitent insister: ces consultations poétiques ne relèvent pas de la simple distraction. «Il ne s'agit pas de remplir un temps vide ou un temps d'attente, mais de créer un espace différent», explique Emmanuel Demarcy-Mota. «Nous avons des patients qui souffrent de pathologies très lourdes, de handicaps importants. Le contexte ne se prête pas au divertissement», ajoute Carine Karachi. «Pour autant, il ne s'agit pas non plus de médecine ou de psychothérapie. C'est une rencontre humaine, un voyage immobile et artistique.»

Laetitia Belle est maîtresse de conférences en psychopathologie et clinique psychanalytique à l'Université de Rennes 2. Elle nous apporte sa lecture des bienfaits prodigués par ces consultations poétiques, et plus largement par l'art au sein des établissements hospitaliers: «D'une manière générale, l'art ouvre une porte de l'inconscient. Il est une forme d'expression autre que le langage quotidien et une manière de toucher l'autre d'une manière singulière. Alors, il est très important que l'art puisse circuler.» Même, et surtout, dans les lieux où il n'a pas l'habitude d'aller.

Si les consultations poétiques développées par la Troupe de l'Imaginaire peuvent être vraiment puissantes auprès des patients, c'est qu'il s'agit de théâtre in situ, autrement dit, un art extrêmement direct qui ne souffre pas du truchement d'un écran ou d'un autre dispositif numérique. «Il n'y a pas de filtre comme au cinéma ou à la télévision», explique Laetitia Belle. On touche alors à quelque chose de très sensible, qui peut aisément revêtir une fonction cathartique et contribuer à alléger la tension et l'angoisse de patients et patientes qui se retrouvent dans des situations extrêmement éprouvantes.

«L'articulation de la chorégraphie des corps, du texte, et de la voix de l'acteur est particulièrement propice à la catharsis», note la psychologue. «C'est une expérience enthousiasmante qui participe à alléger le corps ou à changer le rapport au corps», ajoute-elle. En outre, le fait que ces consultations sont adaptées presque sur mesure, sur «prescription» poétique à chaque patient, permet une co-construction de sens entre l'interprète et la personne malade, ce qui rend l'expérience encore plus riche.

Dans ce temps d'après, comme le suggère Emmanuel Demarcy-Mota, «moins que de “vivre ensemble”, une idée que je trouve sinistre, nous devons nous donner les moyens de “faire ensemble”». Dans ce cadre, la Troupe de l'Imaginaire et l'AP-HP ont développé d'autres projets comme l'Académie Culture-Santé, un programme de dialogues croisés entre des étudiants en médecine, des médecins, des chercheurs et des artistes, autour de thématiques communes.

cover
-
/
cover

Liste de lecture