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La radicalisation du Vatican complique la lutte contre le sida

Benoit XVI condamne sans nuance l'usage du préservatif à des fins préventives.

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Le préservatif définitivement condamné? A peine avait-il entamé son premier voyage en Afrique que Benoît XVI fournissait, mardi, une nouvelle preuve de la radicalisation du Vatican confronté aux questions relatives à la sexualité et à la maladie. S'exprimant dans l'avion qui le conduisait au Cameroun, le pape avait choisi de traiter d'emblée de la pandémie du sida, un sujet sanitaire majeur dans de nombreux pays du continent africain. Et Benoît XVI l'a fait en condamnant sans aucune nuance l'usage, qui pouvait être fait à des fins préventives, des préservatifs masculins. Cette initiative inattendue vient, en Afrique comme ailleurs, durablement compliquer la tâche des responsables de la lutte contre le sida et autres maladies sexuellement transmissibles.

La condamnation papale est radicale autant que définitive. Benoît XVI estime que la mise à disposition de préservatifs aux personnes les plus exposées n'est pas de nature à réduire le risque de contamination. Mais il juge en outre que leur usage ne fait qu'«aggraver le problème». Une seule arme selon lui est licite: l'abstinence sexuelle, soit définitive, soit temporaire. Ces déclarations sont, en pratique, d'autant plus importantes que les statistiques officielles de l'Eglise catholique viennent d'établir que le nombre des fidèles a, en Afrique,  progressé de 3% en 2007 alors  que dans le même temps il restait stable sur l'ensemble de la planète. Ajoutons à ce chiffre que près de la moitié des baptêmes d'adultes dans  le monde seraient aujourd'hui pratiqués sur le sol africain.

Les propos de Benoît XVI s'inscrivent, on le sait, dans un ensemble plus général qui condamne toute forme d'action mécanique ou chimique visant à dissocier la sexualité de la reproduction. Que le préservatif masculin soit utilisé pour prévenir — efficacement — le risque de contamination d'une femme (ou d'un homme) par un virus aux conséquences le plus souvent mortelles en Afrique ne peut rien changer à l'affaire. La fin ne pouvant jamais — selon le Vatican — justifier les moyens, aucune exception ne pourrait être tolérable sans que l'ensemble de l'édifice théologique et moral ne soit menacé d'implosion.

L'émergence, puis la diffusion rapide à l'échelon planétaire de l'épidémie de sida avaient conduit, dès le début des années 1980, à une série d'affrontements, publics ou non, entre les dignitaires de l'Eglise catholique, murés dans les certitudes du Vatican, et les responsables de la lutte contre le sida. Les relations furent parfois très tendues, notamment lorsque certains évêques africains mirent en question l'efficacité du préservatif et en condamnèrent l'usage, ou encore lorsque quelques intégristes catholiques (bientôt qualifiés de «délirants» par certains prêtres) crurent voir dans cette nouvelle maladie sexuellement transmissible un «châtiment de Dieu».

Pour autant le dialogue ne fut alors jamais rompu. Les responsables sanitaires jugèrent alors indispensable de continuer à travailler avec les responsables catholiques, compte tenu notamment du poids de cette Eglise dans les pays du tiers-monde les plus touchés par l'épidémie. Ces mêmes responsables estimèrent aussi qu'il s'agissait là de la meilleure réponse qu'ils pouvaient apporter aux multiples accusations qui leur étaient faites d'«inciter à la débauche», de généraliser une forme de «désexualisation» ou d'instaurer «une dictature du préservatif».

Les acteurs de santé publique des pays en voie de développement ont toujours été quant à eux confrontés au profond décalage existant entre le discours officiel du Vatican (rappelant le sens qu'il donne à l'amour humain, ne laissant place qu'à la chasteté avant le mariage et à la fidélité réciproque ensuite) et la pratique des prêtres et des religieuses quotidiennement confrontés au fléau.

Pour prendre la mesure du temps qui passe et de la radicalisation de la haute hiérarchie catholique, on peut rapprocher les dernières déclarations de Benoît XVI de l'initiative prise - il y a treize ans déjà - par les évêques de France; une initiative saluée en février 1996 par le professeur Luc Montagnier qui travaillait encore à l'Institut Pasteur de Paris et qui ne savait pas qu'il serait prix Nobel de médecine douze ans plus tard. «Le document de la commission sociale de l'épiscopat rejoint ce que de nombreux médecins et scientifiques pensent, à savoir que le préservatif est un moyen mécanique de prévention de l'infection, mais qu'il n'est pas le seul. A ce titre, c'est une évolution importante, déclarait-il alors au Monde. Ce n'est pas pour autant une révolution à 180 degrés. On peut notamment souligner que ce ne sont pas les évêques eux-mêmes qui disent que le préservatif est nécessaire en tant que moyen de prévention, mais qu'ils reprennent, en les approuvant, les propos de «médecins compétents» et les actions des responsables de la santé publique.»

Le Pr Montagnier estimait encore que le texte épiscopal avait «le mérite d'aborder très franchement le problème et d'en finir avec les allusions ou les propos indirects; de ce point de vue, cette initiative est très positive». Selon lui, la très grande majorité des médecins ne s'est jamais faite l'apôtre d'un discours «tout-préservatif», à la différence de ce que certains responsables catholiques se sont plus à caricaturer.

«Nous n'avons jamais dit que le préservatif était le seul moyen de prévention contre l'infection par le virus du sida, précisait-il. Nous avons toujours souligné, en revanche, que ce moyen ne devait pas être exclu pour des motifs religieux. Nous avons dans le même temps toujours rappelé que l'essentiel était d'obtenir des changements durables de comportements sexuels de manière à réduire les risques infectieux. C'est redire à quel point il est urgent d'agir auprès des plus jeunes, de les responsabiliser.»

Le «progrès» de Jean Paul II

Il faut sur ce sujet savoir que, hautement préoccupé par les condamnations réitérées de l'Eglise catholique sur l'usage du préservatif à des fins sanitaires, le professeur Montagnier s'était rendu à plusieurs reprises au Vatican. «J'y ai eu la surprise, en novembre 1993, lors d'un discours que j'ai fait sur ce thème, d'être très chaleureusement applaudi, rappellait-il. J'ai appris par la suite que l'auditoire était constitué des représentants des congrégations religieuses travaillant sur le terrain. J'ai alors compris que ces applaudissements signifiaient que j'avais dit tout haut ce que beaucoup pensaient, mais ne pouvaient dire.»

Interrogé sur le fait de comprendre les décalages massifs pouvant exister entre la base des pratiquants et des servants et le discours officiel de l'Eglise catholique, le professeur Montagnier déclarait: «il y a un blocage important dans l'entourage immédiat du pape et chez le pape lui-même, qui est d'une autre génération et qui a été formé dans un pays, la Pologne, par une Eglise demeurée très traditionaliste. En fait, il faut bien comprendre que la condamnation du préservatif par le Vatican était prononcée au nom du refus à la contraception. J'ai bien tenté de faire valoir mes arguments, mais sans succès, compte tenu du poids de l'entourage de Jean Paul II. Je ne pense pas que ce dernier changera d'opinion. Mais le fait qu'il laisse des dignitaires de l'Eglise catholique tenir un discours différent est un progrès. Il faudrait surtout que, très vite, en Afrique et en Amérique latine, les régions du monde les plus touchées par l'épidémie, les évêques, forts de l'exemple français, se réunissent et tiennent le même discours. C'est essentiel.»

Le professeur Peter Piot, directeur du programme des Nations Unies sur le sida faisait alors une analyse voisine. «Nous nous réjouissons de cette initiative qui ne manquera pas de relancer, dans de nombreux pays, le débat public sur ce sujet fondamental, déclarait-il au Monde en février 1996.  Dans toutes les sociétés, la prévention de cette épidémie impose une remise en question de pratiques et de coutumes qui ne sont plus toujours adaptées à la nouvelle réalité à laquelle nous sommes confrontés.  Bien que cette remise en question ne soit jamais facile, il est à souhaiter que ce genre de démarche fasse tache d'huile car l'avenir socio-économique de beaucoup de communautés en dépend. Le préservatif est l'un des moyens les plus importants dont nous disposons aujourd'hui pour prévenir la transmission du virus du sida.»

Peter Piot ne travaille plus aux Nations Unies. Luc Montagnier n'a plus de laboratoire à l'Institut Pasteur. Quant aux Evêques de France, ils n'ont pas encore répondu à Benoît XVI. Rien n'interdit d'espérer que les trois parties, bientôt, s'expriment au grand jour.

Kléber Ducé

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