Santé / Société

Les personnes non vaccinées contre le Covid se comportent-elles comme des enfants gâtés?

N'est-ce pas céder à une certaine facilité que de comparer les réfractaires à la vaccination à des gamins qui refuseraient leur assiette de brocolis alors que des enfants de leur âge meurent de faim dans d'autres pays ou d'autres familles?

La posture paternaliste et culpabilisante est-elle réellement pertinente? | Kristine Wook <a href="https://unsplash.com/photos/e5lxLcIK1Xw">via Unsplash</a>
La posture paternaliste et culpabilisante est-elle réellement pertinente? | Kristine Wook via Unsplash

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D'Arthur à Abnousse Shalmani, de Nathalie Heinich à Vie de Carabin, diverses et nombreuses voix se sont élevées au cours des derniers mois pour fustiger les réfractaires à la vaccination en les qualifiant d'«enfants gâtés».

Alors que seulement 20% des habitants des pays à revenu faible et moyen inférieur ont reçu une première dose de vaccin contre 80% dans les pays à revenu élevé et moyen supérieur, la comparaison semble être une évidence. Comment peut-on refuser quelque chose qui contribue à notre santé, à celle des autres et qui de surcroît est gratuit, alors que ce quelque chose n'est même pas une option à la portée de milliards de personnes à travers le monde? L'égoïsme, l'intolérance à la frustration, la propension à faire des «caprices» ou l'égocentrisme sont autant de caractéristiques pointées du doigt.

Pourtant, n'est-ce pas céder à une certaine facilité que de comparer les réfractaires à la vaccination à des gamins qui refuseraient leur assiette de brocolis tandis que des enfants de leur âge meurent de faim dans d'autres pays ou d'autres familles? La posture paternaliste et culpabilisante est-elle réellement pertinente? Pour aborder cette question, il convient de comprendre qui sont les personnes réfractaires et quelles sont leurs raisons, exprimées ou intériorisées.

Précarité sociale, économique et numérique

En premier lieu, il est absolument crucial de comprendre que les 14% de Français éligibles à la vaccination et n'ayant, à ce jour, reçu aucune dose, ne forment pas un groupe homogène. Parmi eux, il y a une proportion conséquente de personnes qui ne sont pas antivax mais qui subissent des inégalités sociales face au soin et/ou se trouvent dans une situation d'indifférence vaccinale.

Le Dr Thierry Lang, épidémiologiste, professeur émérite de l'Université Toulouse III et membre du bureau du Haut Conseil de la santé publique (HCSP), est très clair: «Plus on est bas dans l'échelle sociale, plus la santé –et le rapport à la santé et à la prévention– sont dégradés. À ce titre, ce que l'on voit dans les hôpitaux est exemplaire: les médecins sont davantage vaccinés que les infirmiers et infirmières, eux-mêmes davantage vaccinés que les aides-soignants. Lorsque l'on est bas dans l'échelle sociale, on n'a pas les mêmes priorités en matière de prévention. Le rapport au temps est différent.»

On comprend fort bien que la priorité n'est pas forcément de prendre a minima une demi-journée pour se faire vacciner quand chaque heure travaillée est essentielle, que l'on doit se déplacer, faire garder les enfants, etc.

«Le système de soin n'a pas su prendre en compte les patients qui sont exclus ou qui ne fréquentent pas les supports numériques.»
Dr Thierry Lang, épidémiologiste

L'éloignement du soin ainsi que la précarité sociale et économique participent également d'un retrait de la stratégie vaccinale. Le spécialiste en santé publique poursuit: «Ce n'est que très récemment que la politique de vaccination a pris en compte le gradient social de santé en mettant en place des bus et en accentuant l'effort d'“aller vers” en employant des médiateurs. Auparavant, rien n'avait été fait pour se rapprocher des personnes éloignées du soin –y compris lorsque cela est dû, simplement, à un défaut de littératie numérique.»

Nous nous rappelons combien il a pu être difficile de prendre rendez-vous en centre de vaccination autrement que par des supports numériques... «Le système de soin n'a pas su prendre en compte les patients qui en sont exclus ou qui ne les fréquentent pas», signale Thierry Lang.

Aujourd'hui, aller vers ces patients, vers les populations les plus précaires qui subissent de plein fouet les inégalités sociales demeure une gageure. Mais, pour reprendre les termes de l'épidémiologiste, saisir tous les facteurs qui freinent la vaccination et les caractéristiques des personnes réticentes relève d'un patchwork indémêlable.

Perte de confiance en Macron, gain de méfiance envers «son» vaccin

Les facteurs sociaux peuvent faire le lit de l'antivaccinalisme, surtout lorsqu'il s'agit d'un antivaccinalisme que l'on pourrait qualifier d'opportuniste puisqu'il ne vise parfois que les vaccins anti-Covid.

Nous avons ici des vaccins proposés dans un contexte très particulier de crise sanitaire aussi majeure qu'inédite, crise qui a notablement augmenté les inégalités sociales. «L'épidémie accentue les inégalités sociales et le confinement a eu des effets très différenciés en fonction des populations», a révélé Nathalie Bajos, directrice de recherche Inserm, sociologue-démographe et cocoordinatrice du projet Sapris (Santé, perception, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19).

«Grâce à Sapris, nous avons pu observer que le confinement a davantage diminué les risques d'infection chez les cadres supérieurs que parmi les classes populaires, qui présentent par ailleurs une plus grande prévalence de comorbidités.» En outre, la pandémie a accru les inégalités économiques en aggravant les difficultés des plus pauvres tandis que les cadres et autres CSP+ demeurent plutôt privilégiés et n'ont pas vu leur pouvoir d'achat diminuer.

Alors même que le contexte pré-pandémique était celui d'une grogne sociale importante –on se souvient bien sûr du mouvement des «gilets jaunes»–, on comprend aisément la perte de confiance des plus fragiles et des plus démunis en un gouvernement qui les a délaissés.

Cette perte de confiance s'incarne dans une méfiance envers les vaccins contre le Covid, perçus comme étant les vaccins de Macron et de son gouvernement. «La vaccination demande une certaine confiance», expose Françoise Salvadori, docteure en virologie et immunologie, maîtresse de conférences à l'Université de Bourgogne et coautrice de Antivax – La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. «Or on voit aujourd'hui que le motif politique est très présent dans les débats sur la vaccination, vue comme le bras armé de Macron. L'antivaccinalisme est devenu un motif des partis anti-système, de La France insoumise jusqu'au RN en passant par Debout la France ou l'UPR.»

C'est ce dont atteste d'ailleurs un sondage Odoxa de juillet 2021: «Plus d'un quart des sympathisants des partis antisystème, Insoumis (25%) et RN (28%) sont contre la vaccination alors que les sympathisants des partis classiques de gouvernement y sont largement favorables (seulement 2% des LaREM, 7% des LR et 8% des PS ne veulent pas se faire vacciner)», détaille Gaël Sliman, président d'Odoxa.

Se dessine alors cet antivaccinalisme opportuniste porté par des personnalités anti-système et intégré par des populations appartenant aux classes sociales délaissées durant la crise et qui entretiennent une méfiance –sinon une défiance– à l'égard du gouvernement.

«C'est historiquement une nouveauté», indique l'historien Laurent-Henri Vignaud, maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Bourgogne et également coauteur de Antivax – La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. «Traditionnellement, l'antivaccinalisme est davantage porté par les classes moyennes et supérieures. Au XIXe, par exemple, on a l'histoire d'une campagne de vaccination qui se heurtait à la réticence des habitants des communes les plus riches. Les communes les plus pauvres n'étaient pas vaccinées principalement parce que le vaccinateur ne venait pas jusqu'à elles. Lorsqu'il se déplaçait, les habitants se faisaient massivement vacciner, comprenant fort bien l'intérêt immédiat», relate-t-il.

On retrouve ici –et cela nous permet de ne pas généraliser un propos simpliste faisant des plus pauvres des antivax– ce que nous disions précédemment: pour peu que l'on mette en place une politique d'«aller vers» associée à de la pédagogie, nombreuses sont les personnes précarisées qui franchissent le pas de la vaccination par pragmatisme: c'est un moyen efficace de ne pas tomber malade et ainsi de pouvoir continuer à travailler, subvenir aux besoins de la famille, etc.

«Les personnes issues des classes populaires manifestent assez peu. Ces manifestations sont davantage portées par des gens des classes moyennes/supérieures.»
Laurent-Henri Vignaud, historien

Ces antivax politiques sont-ils des gamins capricieux? Sans doute pas. On peut penser qu'ils font un amalgame impropre entre lutte contre la pandémie et politique gouvernementale, que certains s'adonnent à des dérives idéologiques et adoptent une posture publique outrancière injustifiable et inexcusable. Mais pas que leur antivaccinalisme soit un «truc de riches».

Voilà pour ce qui relève d'un antivaccinalisme opportuniste profondément politique qui s'explique assez bien par la paupérisation et la fragilisation de certaines populations, et ce même si elles ne partagent pas l'outrance sinon l'obscénité des manifestations. «Les personnes issues des classes populaires manifestent assez peu, observe Laurent-Henri Vignaud. Ces manifestations sont davantage portées par des gens des classes moyennes/supérieures.»

L'antivax 2021 n'existe pas

En outre, et hors motifs politiques ponctuels, il y a bel et bien des bastions antivax dans les classes moyennes et supérieures. Ceux-ci sont davantage traditionnels et moins opportunistes. Il s'agit de personnes globalement rétives à la vaccination, quelle qu'elle soit.

Leurs motifs relèvent davantage de l'alterscience et d'une propension à penser que la nature fait bien les choses. «Il s'agit plutôt de cols blancs, de personnes issues des classes moyennes très attachées à la structure famille. Leur antivaccinalisme se construit autour de la famille vue comme un sanctuaire qui doit se protéger des agressions extérieures –dont le vaccin», décrit Laurent-Henri Vignaud. «Il s'agit souvent de femmes, ayant fait des études, et très perméables aux médecines et à l'éducation alternatives. Elles ont un certain bagage culturel qui leur permet d'aller chercher des informations alterscientifiques pour se forger une opinion demi-savante», note-t-il.

Les travaux de la géographe Lucie Guimier montrent que ces personnes traditionnellement antivax mettent souvent leurs enfants dans des écoles privées alternatives et sont proches des médecines dites «non conventionnelles», comme l'homéopathie et la naturopathie. Ceci peut d'ailleurs expliquer en partie le fait qu'elles vivent précisément dans des régions où les médecins qui pratiquent ce type de thérapeutiques sont plus nombreux, comme le sud de la France. Pour elles, les parents –et non les médecins, l'Éducation nationale, les politiques ou les journalistes– sont les meilleurs garants de la santé et du bien-être de leurs enfants et de la famille en général. Tout cela prend du temps et coûte cher... Dans leur cas, être antivax est un vrai luxe, une attitude de privilégiés. Pour autant, est-ce un caprice? Difficile à dire car ces personnes pensent vraiment bien faire.

Tout autant qu'il est impossible de dresser un portrait robot de l'antivax 2021, il est impossible de démêler toutes les raisons qui mènent ces gens à refuser l'injection. Toujours est-il que dire qu'ils font la fine bouche semble par trop simpliste.

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