Égalités / Politique

Véran vs Darmanin: ce que le gouvernement fait de mieux... et de pire

Bien loin de notre problématique ministre de l'Intérieur, celui de la Santé a pris une décision forte en annonçant la contraception gratuite jusqu'à 25 ans.

Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin et Olivier Véran, lors d'une conférence de presse, à Paris, le 22 avril 2021. | Ludovic Marin / AFP / POOL 
Jean-Michel Blanquer, Gérald Darmanin et Olivier Véran, lors d'une conférence de presse, à Paris, le 22 avril 2021. | Ludovic Marin / AFP / POOL 

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Les choses ne sont pas simples avec ce gouvernement. C'est comme s'il avait deux faces. Si je devais résumer le fameux «en même temps» macroniste en une image, ça serait celle-là:

 



 

Double-Face, dans The Dark Knight. | Capture d'écran Faustin Manrine via YouTube


Face A, on peut citer: avoir nommé Gérald Darmanin ministre de l'Intérieur. (Avant, je précisais «alors qu'une enquête est en cours contre lui» mais, soyons honnêtes, même si l'enquête était arrêtée, ça ne changerait plus rien au problème.) À l'âge de 12 ans, j'avais une affreuse carte postale qui représentait un cheval lancé au galop au milieu d'une prairie. En-dessous, il était écrit «chassez le naturel, il revient au galop».

Cette carte postale, j'aimerais la dédier à Gérald Darmanin pour l'ensemble de son œuvre, mais plus particulièrement sa performance de cette semaine. Alors qu'on l'interroge sur la récente déclaration de Sandrine Rousseau le concernant, il commence par «Mame Rousseau». Ce n'est pas la première fois qu'il nous la fait celle-là et il faut cesser. On ne dit pas «mame Rousseau» parce que ça se voit beaucoup trop qu'on surjoue le relâchement langagier.

L'incarnation du problème

Bref. Reprenons sa réponse: «Mame Rousseau, elle avait pas la même vision de ma personne quand elle est venue me demander d'être directrice de l'IRA Lille quand j'étais ministre de la Fonction publique. Et puis, si elle le souhaite, on peut publier les demandes de rendez-vous et les demandes de nomination, elle était très vexée que je la choisisse pas, et quand je vois ses déclarations publiques, je me dis que j'ai bien eu raison de ne pas proposer sa nomination pour former de nouveaux fonctionnaires.»

 

 

Si on met de côté l'aspect cour d'école («nananère, j'ai bien fait de pas la prendre dans mon équipe»), ce qui reste, ce n'est ni plus ni moins qu'une menace. Et le type ne voit pas le problème –sans doute parce qu'il est l'incarnation même du problème. Il est le problème fait de chair et d'os. Il dit grosso modo «ah bah elle faisait moins la maligne quand j'avais un pouvoir sur sa carrière».

C'est scotchant parce que, rappelez-vous, il est accusé d'avoir négocié des rapports sexuels en échange d'un service (effacement de casier judiciaire). Et il reproduit le même schéma. Il utilise sa situation de pouvoir pour faire pression –sur une femme. Et d'ailleurs, si on creuse ses arguments, on n'est pas loin de l'idée que les bonnes femmes, quand elles ont un truc à demander, elles font bien les mignonnes et puis après, elles te mordent la main. Il ne répond pas à Sandrine Rousseau sur un plan politique mais en la ramenant à une supposée aigreur: elle m'attaque parce qu'elle est vexée. Si Sandrine Rousseau mène un combat contre les violences sexuelles, c'est parce qu'elle serait vexée.

Voilà... Cette personne est notre ministre de l'Intérieur.

Face A, je pourrais également revenir sur les propos de Jean-Michel Blanquer sur le mois de septembre où les pauvres dévalisent Darty en écrans plats, mais franchement, pourquoi s'infliger cela?

Face B, il y a Olivier Véran, qui a décidé d'incarner la gauche du gouvernement à lui tout seul. Il y a quelques jours, il rappelait justement à Jean-Michel Blanquer que l'allocation de rentrée scolaire ne dépendait pas du budget du ministère de l'Éducation nationale mais de celui des solidarités, c'est-à-dire de son portefeuille, et que si les familles s'en servaient pour payer l'essence ou les courses, c'était tant mieux.

Et, ce jeudi, il a annoncé que la contraception serait gratuite jusqu'à 25 ans. La mesure s'appliquera à partir du 1er janvier prochain et concernera toutes les contraceptions qui étaient déjà remboursées pour les moins de 18 ans –pilules, implants, stérilets (cuivre ou hormonal), diaphragmes. Il s'agit de ne plus avoir de jeunes femmes qui renoncent à une contraception pour des raisons économiques (jusqu'à 25 ans, parce que les études pointent le recul de la contraception pour motif économique jusqu'à cet âge-là).

 

 

Précision qui peut être utile: deux marques de préservatifs masculins sont remboursées à hauteur de 60% sur prescription médicale (sage-femme ou médecin) mais on ignore si elles passent à une gratuité totale.

La «charge contraceptive»

De toute façon, la mesure ne concerne que les filles qui seraient donc chargées de s'occuper du réapprovisionnement en capotes. De manière générale, en ne s'adressant qu'aux jeunes femmes, on continue de considérer que la contraception est une question féminine, et on fait reposer uniquement sur elles ce qu'on appelle la «charge contraceptive» (et qui est également une charge mentale au sens où elle demande de l'organisation), alors qu'en s'adressant également aux jeunes hommes on pourrait inciter à mieux la partager.

J'ai toujours été stupéfaite par le peu d'intérêt d'un certain nombre d'hommes pour la question. Quand on leur demande quelle contraception ils utilisent, certains savent vaguement que leur partenaire prend la pilule, mais laquelle, aucune idée, comment ça fonctionne encore moins, combien ça coûte alors là, c'est le vide complet. Mais si la contraception reste une problématique féminine, cette décision politique en fait néanmoins un sujet de société. On ne laisse plus les jeunes femmes s'en charger seules, on décide que la collectivité doit être présente pour les aider. Que cela concerne tout le monde. C'est une décision forte. Je me réjouis que le politique prenne en charge une partie de la question de la contraception.

 

Il serait temps d'avoir à l'école une véritable éducation à la sexualité, y compris sur le consentement.

Cette annonce est donc une bonne nouvelle, comme l'a souligné le Planning familial. On peut reprocher beaucoup de choses à ce gouvernement (voir un exemple en face A), mais il ne faut pas pour autant nier les avancées quand il y en a. Même si, oui, bien sûr, elles sont toujours insuffisantes. Comme ma longue expérience m'a prouvé que les progrès concernant les femmes finissaient par se retourner contre elles, j'aimerais dès à présent prévenir les personnes qui se serviraient de cette mesure pour reprocher à celles qui avortent de ne pas avoir fait attention, c'est non. On ne veut pas entendre cela.

J'en profite au passage pour rappeler qu'il serait temps d'avoir à l'école une véritable éducation à la sexualité, y compris sur le consentement. D'autant qu'il y a un lien entre consentement et contraception. De mon temps (les choses ont-elles vraiment changé?) pas mal de jeunes hommes s'en fichaient comme d'une guigne de savoir si leur partenaire prenait un contraceptif. C'est d'ailleurs ce que racontait déjà Annie Ernaux dans L'événement. Certains renâclaient à utiliser des préservatifs, et même quand vous disiez que vous n'étiez pas sous pilule, ils insistaient lourdement à base de «ça ne craint rien». (N'hésitez pas à me raconter si vous aussi vous vous êtes un jour retrouvée au lit avec Jean-Kevin Gynécologue.)

En résumé: réjouissons-nous de cette mesure, et réclamons davantage (davantage de gynécologues –leur nombre a diminué de 42% en dix ans!–, des contraceptifs masculins, une éducation à la sexualité...). L'un n'empêche pas l'autre. Puisque le ministre a décidé de mettre le sujet sur la table, très bien, allons-y.

Et accessoirement, demandons-nous combien de temps, Olivier Véran va-t-il pouvoir servir de caution de gauche au macronisme.

 

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 

 

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