Culture

Vichy, Pétain d'histoire

Entre livres d'histoire et guides touristiques, voilà une ville qui peine à trouver sa place.

Vichy est une ville thermale classée au patrimoine de l'Unesco. | Thierry Zoccolan / AFP
Vichy est une ville thermale classée au patrimoine de l'Unesco. | Thierry Zoccolan / AFP

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Vichy, patrimoine mondial de l'Unesco. Vichy, premier centre de préparation aux Jeux olympiques de Paris 2024. Vichy, ville thermale. Vichy et le régime de Pétain. Difficile, en évoquant la célèbre commune de l'Allier, de glisser sous le tapis les années 1940-1944, les «quatre années noires», comme les appellent pudiquement certains vichyssois.

À cette époque, le gouvernement du Maréchal Pétain, qui mène une politique collaborationniste avec l'Allemagne nazie, y établit ses quartiers. Un choix stratégique du fait de la proximité de la ville avec la ligne de démarcation de la zone libre, de ses multiples liaisons routières et ferroviaires vers Paris, de ses nombreuses infrastructures hôtelières ainsi que de la qualité de son réseau téléphonique.

Vichy devient donc la capitale de ce qu'il est convenu d'appeler désormais l'État français, un État xénophobe, antisémite et traditionaliste. La ville incarne toujours le symbole de cette douloureuse et honteuse période de l'histoire de France. Ce passé semble l'avoir marquée au fer rouge.

Vichy équivaut à collabo

«Vivre à Vichy n'est pas sans se faire suspecter de sympathies vagues pour le régime honni», peut-on lire dans Vichy-Vertigo: une mémorielle damnation, un livre sorti en 2019, écrit par un ancien professeur d'histoire-géographie vichyssois, Robert Liris. Il souligne la malédiction qui pèse sur les personnes qui vivent dans la commune: «Habiter une ville, même par le hasard d'une nomination, nous implique aux yeux d'autres citoyens vivant ailleurs dans une histoire maudite.» À en croire l'auteur, les Vichyssois seraient honnis depuis des décennies.

L'architecture de style Belle Époque caractérise la ville de Vichy. | Affiche de Louis Tauzin, 1910 / Gallica via Wikimedia

Frédéric Aguilera, le maire, partage ce sentiment: «Il m'est arrivé de me faire traiter de collabo après la publication d'un tweet.» Le passé n'est jamais loin. Une étude menée localement auprès de 2.000 personnes en 2019 mettait en exergue les points négatifs de la ville, à savoir la population vieillissante, l'absence d'animations pour les jeunes et… l'histoire de Vichy –sous-entendu la sombre période, et non celles du Second Empire et de la Belle Époque, dont l'empreinte caractérise pourtant l'architecture de la majorité des édifices présents au détour des rues. Cette enquête souligne également le fait que certains habitants et chefs d'entreprises restent persuadés que les Français ont une mauvaise image du territoire de Vichy. Réalité ou paranoïa?

Boudée par les politiques

Audrey Mallet, historienne et autrice de Vichy contre Vichy: une capitale sans mémoire, affirme: «Les Vichyssois se maintiennent dans ce rôle de victimes, victime des nazis, de Pétain et des gouvernements successifs qui n'ont pas pris leurs responsabilités.» La chercheuse témoigne pourtant du manque de documentation auquel elle s'est heurtée pour étayer ces propos: «Je n'ai pas trouvé de preuve évidente d'ostracisme ou de victimisation de grande ampleur. Que Vichy ait été la capitale du régime de Pétain n'a pas dissuadé les gens de venir. Au début des années 1950, le tourisme thermal a retrouvé un niveau comparable à celui qu'il a connu dans les années 1930.»

Frédéric Aguilera, pour sa part, brandit une preuve irréfutable de la mise à l'écart de sa ville: les partis politiques refusent d'y organiser leur université d'été, par peur de l'amalgame. Sans parler du fait qu'aucun président de la République en exercice n'a jamais osé fouler le sol de sa commune. «J'ai essayé à plusieurs reprises d'inviter Emmanuel Macron, argue-t-il. Une première fois dans le cadre des commémorations des quatre-vingts ans du début de la Seconde Guerre mondiale. Une seconde fois pour soutenir la candidature de Vichy au patrimoine mondial de l'Unesco. Il est d'usage qu'un président soit présent lors d'une telle occasion.» En janvier 2018, Emmanuel Macron s'était en effet rendu au Puy-de-Dôme pour soutenir celle de la chaîne des Puys. En juillet dernier, il était en visite pour la même raison aux îles Marquises.

«Pendant des décennies, Vichy a refusé de faire son devoir de mémoire au sujet de la période sombre de son histoire.»
Audrey Mallet, historienne

Le maire de Vichy semble remonté contre le dirigeant, qui snoberait son territoire, tout en commettant des impairs délétères. Au lendemain d'un discours prononcé par Emmanuel Macron le 15 août 2019 dans lequel il avait évoqué «les heures sombres de Vichy», Frédéric Aguilera s'était fendu d'un tweet pour remettre les points sur les i du chef de l'État: «Une fois de plus, vous alimentez un amalgame qui salit l'image de la ville de Vichy. Les Vichyssois n'en peuvent plus! Je vous invite à venir découvrir notre ville et comprendre les conséquences de ce raccourci.»

Le premier édile estime que cette attitude est au cœur du problème qui gangrène sa municipalité. En utilisant l'expression «régime de Vichy» ou la métonymie «Vichy» pour évoquer ces années, on gomme la responsabilité de l'État français. La petite ville de 24.000 habitants serait la seule à porter le chapeau.

Audrey Mallet réfute ce qu'elle considère comme une victimisation. «Je ne suis pas d'accord pour dire que Vichy serait une victime expiatoire de la France qui refuserait d'assumer son passé. C'est l'inverse. De nombreux historiens ont montré que la popularisation de cette expression est le résultat d'une prise de conscience collective, qui tendrait à montrer qu'il existe une volonté de mettre en avant la responsabilité française.»

L'historienne rappelle le rôle qu'a joué Robert Paxton pour changer la perception de cette page de l'histoire de France. «Dans les années 1980, l'historien américain Robert Paxton a souligné la responsabilité du régime de Vichy en tant que centre du pouvoir décisionnaire. Cela prouve la volonté de la France de collaborer avec l'Allemagne dès les années 1940. Avant que cet historien ne pointe cet aspect, on parlait plus volontiers d'Occupation que de collaboration.»

La Côte d'Azur sans la mer

Si le débat est loin d'être tranché, Frédéric Aguilera et Audrey Mallet s'accordent néanmoins sur une chose: le devoir de mémoire qui incombe à la ville. «Pendant des décennies, rappelle l'historienne, elle a refusé de mémorialiser cette période. Alors qu'en France et en Europe, dans les années 1980, une grande importance a été accordée aux mémoires honteuses. S'en sont suivies des mémorialisations de lieux comme en Normandie ou à Drancy. Vichy ne s'est pas donné la peine de faire cet effort.»

Audrey Mallet prône une «mise en histoire», ce qu'elle a d'ailleurs commencé à réaliser à travers l'application qu'elle a créée. Vichy 39-45 permet de visiter différents lieux en lien avec l'histoire locale et nationale.

Une initiative soutenue par la mairie, qui en aucun cas ne cherche à passer sous silence les années Pétain. Pour preuve, l'inauguration en 2019 du square Michel Crespin, du nom d'un bébé de six mois arrêté avec sa famille en 1944 à Vichy et déporté à Auschwitz, ou encore celle en 2018 de l'allée des Justes, pour rappeler le courage de Vichyssois résistants.

Frédéric Aguilera continue de déplorer de ne voir associer Vichy qu'à la guerre, que ce soit dans des livres ou les reportages, lui qui ne tarit pas d'éloges sur cette ville qui lui a offert son premier mandat en 2017: «Vichy est une ville contemporaine dans toutes les valeurs qu'elle porte. C'est une ville tournée vers le monde qui offre une vraie qualité de vie, avec des parcs, du sport, etc.»

La commune organise chaque année depuis sept ans, hors épidémie mondiale, un Ironman, une course multidisciplinaire de 226 kilomètres. Elle a également été sélectionnée pour être le centre d'entraînement de trente-cinq disciplines labellisées des JO 2024, devenant ainsi le plus grand centre national. Un endroit où la qualité de vie contribue à donner une image positive de la ville pour 60% des personnes interrogées lors de la consultation locale en mai 2019. Audrey Mallet, vichyssoise avant d'être historienne, résume: «C'est la Côte d'Azur sans la mer.»

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