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Les gestes barrières vont-ils empêcher les bébés de développer une immunité naturelle?

La diminution des infections, tout particulièrement virales, chez les enfants durant l'automne et l'hiver 2020-2021, éveille une certaine appréhension.

Il est primordial de repenser notre rapport à l'hygiène dès lors que nous sommes au contact de nouveaux-nés. | Yamil Lage / AFP
Il est primordial de repenser notre rapport à l'hygiène dès lors que nous sommes au contact de nouveaux-nés. | Yamil Lage / AFP

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Dès le début de la pandémie et de la généralisation des gestes barrières, certains se sont émus d'un risque pour les nourrissons de ne pas développer correctement leur immunité naturelle. Ce type de thèses inspirées par l'hypothèse hygiéniste et véhiculées, le plus souvent, par des personnes réfractaires au port du masque et à la vaccination, ne semble pas inquiéter les pédiatres outre mesure.

Séduisante, cette théorie n'a pour autant jamais été validée. Elle trouve son origine dès le XIXe siècle où des médecins britanniques, John Bostock puis Charles Harrison Blackley, ont fait part d'un paradoxe: les enfants pauvres et/ou vivant à la ferme semblaient moins sujets au rhume des foins, alors même qu'ils étaient davantage exposés aux agents allergènes.

Cette corrélation disparaît ensuite des hypothèses médicales pendant plus d'un siècle, jusqu'à ce que, dans les années 1980, elle soit recyclée par David P. Strachan, chercheur à la London School of Hygiene and Tropical Medicine, qui a souligné une augmentation de l'asthme et des allergies chez les enfants des pays industrialisés. Selon lui, il existe une relation de causalité entre l'exposition à des microbes et à des allergènes durant les premiers mois de la vie et le développement de l'asthme. Pour le chercheur, les choses sont claires: l'augmentation de la prévalence de cette maladie ainsi que celle du rhume des foins seraient liées à un mode de vie aseptisé.

Ce qui n'est, rappelons-le, qu'une hypothèse connaît alors un certain succès dans les années 1990 où l'on a tendance à expliquer l'augmentation des allergies ainsi que des maladies auto-immunes par des excès d'hygiène. Quoique les preuves manquent pour faire de cette hypothèse une certitude, le message séduit, et de là, il n'y a qu'un pas pour extrapoler le fait que la plupart des maladies infantiles seraient liées à un manque d'exposition aux agents pathogènes en lien avec la vie urbaine et des règles d'hygiène plus importantes qu'auparavant. Un pas que certains n'hésitent pas à franchir souvent dans l'illusion du «c'était mieux avant» et du «la nature fait bien les choses».

Les «bonnes bactéries»

Le professeur Emmanuel Grimprel, chef du service de pédiatrie générale à l'hôpital Trousseau à Paris, met en garde contre ces biais cognitifs et rappelle que «les maladies infantiles provoquaient de véritables hécatombes avant l'arrivée de la vaccination de masse –et par l'industrialisation. Des dizaines de milliers d'enfants en bas âge succombaient chaque année.» Il ajoute que l'avènement des couches jetables, changées plus souvent, ont permis de limiter considérablement l'incidence d'infections allergiques et bactériennes parfois graves. Si l'augmentation des allergies ou des infections chez le tout-petit du XXIe siècle se vérifiait, il faudrait chercher des explications plurifactorielles et non se limiter à une hypothétique relation causale.

Une étude publiée dans The Journal of Allergy and Clinical Immunology en mai dernier enfonce le clou: une hygiène personnelle et domestique rigoureuse (lavage des mains, usage fréquent de produits détergents…) ne saurait nuire au système immunitaire des enfants. «Dans cet article, nous avons entrepris de réconcilier le conflit apparent entre le besoin de nettoyage et d'hygiène pour nous garder à l'abri des agents pathogènes, et le besoin d'apports microbiens pour peupler nos intestins et mettre en place nos systèmes immunitaire et métabolique», a expliqué Graham Rook, auteur principal de l'étude.

Selon son équipe, de nombreux facteurs peuvent être à l'origine des maladies auto-immunes et des allergies. L'étude ne nie pas qu'il puisse être bénéfique d'exposer les enfants à certaines bactéries issues de l'imprégnation familiale. Mais elle souligne qu'il est essentiel de différencier ces «bonnes bactéries» des microbes et des allergènes nocifs et confirme l'importance de l'hygiène domestique pour les éviter.

Revenons à nos moutons hydro-alcoolisés et à l'impact des gestes barrières anti-Covid sur le système immunitaire des nourrissons. Il faut d'abord bien concevoir que le développement du système immunitaire du nouveau-né n'est pas uniquement conditionné par la confrontation avec des agents infectieux. Cette première ligne de défense immunitaire, non spécifique, n'est pas douée de mémoire et est stimulée en permanence.

«S'il n'y a pas eu d'épidémie, ce n'est pas pour autant que les pathogènes
n'ont pas circulé.»
Emmanuel Grimprel, professeur

 

Interrogé par Heidi.News, Claude-Alexandre Gustave, biologiste médical spécialiste en immunologie au CHU de Lyon, explique que l'immunité innée «n'est donc ni renforcée, ni affaiblie en fonction de notre exposition aux agents pathogènes. Sans oublier, que nous sommes de toute façon continuellement en confrontation avec des micro-organismes via nos microbiotes cutanés, respiratoires, digestifs... Nous sommes également constamment agressés par des micro-organismes via notre alimentation, nos boissons, nos lésions cutanées... Tout ceci induit constamment une activation à minima de notre système immunitaire. En ce sens, les mesures barrières (y compris la distanciation physique) n'induisent pas d'affaiblissement de notre immunité.» Force est de reconnaître que nos enfants n'ont pas été, depuis dix-neuf mois, placés dans des bulles stériles, à l'abri de tout agent pathogène.

Ainsi, il n'y a sans doute pas trop de soucis à se faire sur le plan de l'immunité générale. On peut se poser la question des immunités spécifiques, c'est-à-dire celles qu'on acquiert au contact d'un microbe et en développant plus ou moins une infection.

Prendre conscience de leur fragilité

Ce qui peut éveiller une certaine appréhension, c'est la diminution des infections, tout particulièrement virales, chez les enfants durant l'automne et l'hiver 2020-2021. «Les mesures barrières ont permis de diminuer l'exposition des plus jeunes, mais aussi des adultes qui les transmettent ensuite aux enfants, à un certain nombre d'agents pathogènes, détaille le professeur Emmanuel Grimprel. Nous avons notamment constaté une baisse de l'incidence de la bronchiolite du nourrisson liée au fait que le virus respiratoire syncytial (VRS) a beaucoup moins circulé. Il y a aussi eu moins de varicelles, ainsi que d'infections aux rotavirus (causes de gastro-entérites). Mais, s'il n'y a pas eu d'épidémie, ce n'est pas pour autant que les pathogènes n'ont pas circulé.»

Faut-il alors craindre une recrudescence de ces maladies infantiles une fois que nous nous relâcherons sur les gestes barrières? «C'est une éventualité, postule le Pr. Grimpel. Il y aura peut-être un peu plus d'infections et celles-ci seront peut-être plus virulentes. Mais, les jeunes enfants, qui ne portent déjà pas de masque, vont être progressivement à nouveau en contact avec les virus et l'impact ne devrait pas être trop important.»

Afin de prévenir un éventuel rebond, le pédiatre invite à ne rien lâcher sur la vaccination notamment contre la varicelle. Il insiste sur l'importance d'avoir, adultes comme enfants, un calendrier de vaccination à jour, d'autant que certains rendez-vous ont été annulés ou reportés durant les confinements. En outre, il nous invite à repenser notre rapport à l'hygiène dès lors que nous sommes au contact de nouveaux-nés: «Depuis de nombreuses années, nous avons négligé les gestes barrières à l'égard des tout-petits et notre prudence s'est relâchée. Nous avons perdu notre conscience de leur fragilité et cela peut coûter cher, notamment lorsqu'il y a transmission du VRS, le virus de la bronchiolite. Il ne s'agit pas de les mettre dans une bulle mais de leur permettre de rencontrer les agents pathogènes un peu plus tard.»

Alors, Covid ou pas Covid, et puisque nous en avons désormais l'habitude, il sera opportun de porter un masque au contact des bébés dès lors que nous sommes enrhumés.

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