France

Burqa: le droit de se regarder

En tentant de mettre la burqa hors la loi, la France se bat pour les droits des femmes, estime Christopher Hitchens, de Slate.com

Temps de lecture: 4 minutes

On dit souvent que les élus français qui cherchent à légiférer contre le port du voile (qui ne couvre «que» le visage) ou de la burqa (qui couvre le corps entier) veulent imposer une «interdiction» et restreindre les droits des femmes. Mais ils cherchent au contraire à lever certaines entraves aux libertés: interdiction pour ces femmes de choisir leurs propres vêtements et de désobéir à l'autorité masculine et cléricale, interdiction pour tous les citoyens de se regarder l'un l'autre. La loi proposée est dans la pure tradition de la république française, qui veut que tous les citoyens soient égaux devant la loi et -tout aussi important- égaux les uns par rapport aux autres.

Qu'as-tu à cacher?

Sur la porte de ma banque à Washington, une pancarte me prie poliment, mais sans explications, d'ôter tout ce qui me cache le visage avant d'entrer dans les lieux. Une personne qui ferait irruption dans la banque avec un masque quelconque serait, à juste titre, suspecte. Cette présomption de culpabilité devrait valoir aussi hors des murs de la banque. Je serais indigné et je refuserais de traiter avec une infirmière, un docteur ou un enseignant qui cacherait son visage, ou pire, avec un inspecteur des impôts ou un douanier voilé. Ne dit-on pas toujours, dans les expressions de la vie courante, «Qu'est-ce que tu as à cacher?» et «Tu n'oses pas montrer le bout de ton nez»?
Faire une exception pour le voile et la burqa? Notez que cette demande ne concerne que les femmes, et qu'elle relève de la sphère religieuse. (Précisément d'une seule religion, il serait idiot de prétendre le contraire.) Tout est dit! On demande à la société de renoncer à une longue tradition d'égalité et d'ouverture pour faire plaisir à une religion qui a une réputation discutable pour ce qui est des femmes.

Je voudrais poser une question toute simple à ces pseudo-libéraux qui prônent la tolérance sur la question du voile et de la burqa: que dire alors du Ku Klux Klan? Célèbre pour ses cagoules et sa pensée réactionnaire, le gang a toujours eu pour objectif le maintien d'une pureté protestante et anglo-saxonne. Le KKK a certes le droit de défendre ses positions fondées sur la religion, c'est écrit dans le Premier amendement de la Constitution américaine. J'irais même jusqu'à dire que, lors de défilés protégés par la police, ils peuvent en toute légalité cacher leur vilain visage. Mais je ne laisserais pas un homme ou une femme encagoulés enseigner à mes enfants, entrer avec moi à la banque, ou conduire mon taxi ou mon bus -aucune loi ne m'obligera jamais à le faire.

Je vois d'autres objections aux visages voilés et aux vêtements qui dissimulent tout le corps. Ces derniers ont souvent été utilisés par des criminels, des hommes -pas seulement des terroristes religieux mais aussi de simples voyous- pour se cacher et pouvoir s'échapper. La burqa sert aussi parfois à couvrir d'horribles blessures infligées à des femmes battues. Parce qu'elle gêne la vision périphérique, elle est incompatible avec des activités comme la conduite. Il ne s'agit là plus seulement d'un choix relevant de la sphère privée, mais d'un danger pour les autres, autant que d'une injure à la politesse ordinaire et à ses tournures du style «Enchanté de vous voir».

Le «plein gré» est contestable

Les femmes n'ont de toute façon pas le droit de conduire dans certaines sociétés musulmanes, me direz-vous. Mais ça ne fait que conforter mon second point. Les critiques contre l'interdiction de la burqa seraient pertinentes si les musulmanes étaient aussi enthousiastes à la porter que les membres du KKK sont enthousiastes à porter ces linceuls blancs à bout pointu. Mais nous ne pouvons être sûrs que ces femmes mettent la burqa ou le voile de leur plein gré. Tout porte à penser le contraire. Des mères, des femmes et des filles risquent de recevoir de l'acide sur le visage, d'être tuées pour l'honneur ou d'être violemment battues si elles n'adoptent pas la tenue vestimentaire humiliante exigée par les hommes de leur entourage pour sortir de chez elles. C'est pour cela que dans beaucoup de pays musulmans, comme la Tunisie et la Turquie, le look «enveloppé» est illégal dans les bâtiments gouvernementaux, les écoles et les universités.

Pourquoi les Européens et les Américains devraient-ils, pour chercher à satisfaire les immigrés, accepter la tradition des pays musulmans les plus arriérés et les plus primitifs? Nul doute, la burqa et le voile sont les marques les plus agressives du refus de s'intégrer et de s'adapter. Même en Iran, les femmes sont simplement obligées de se couvrir les cheveux, et je défie quiconque de trouver une ligne du Coran qui force les femmes à dissimuler leur visage.

Ce qui ne veut pas dire que si c'était écrit dans le Coran, ça changerait quelque chose. La religion est la pire excuse pour ne pas respecter le droit commun. Les Mormons ne peuvent pas être polygames. L'excision est un crime fédéral dans aux Etats-Unis. Et dans certains Etats, les scientistes chrétiens risquent des poursuites s'ils mettent en danger leurs enfants en leur refusant des soins médicaux. Sommes-nous vraiment bien placés pour faire la leçon aux Français qui se contentent de déclarer que tous les citoyens et résidents, quelles que soient leurs croyances, doivent être capables de se reconnaître l'un l'autre, au sens le plus basique du terme?

C'est donc simple. J'ai le droit de voir votre visage et vous avez le droit de voir le mien. Ensuite, mais c'est tout aussi important, vient le droit des femmes de montrer leur visage, qui bien sûr va à l'encontre du droit des hommes de leur entourage ou des imams d'en décider autrement. La loi doit être résolument du côté de la transparence. Les Français se battent pour la liberté, l'égalité, la fraternité... et la sororité.

Christopher Hitchens

Traduit par Aurélie Blondel

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Photo: «Disparition», de l'artiste Jean-Pierre Giovanelli, composition avec des burqas d'Afghanistan, dans une galerie d'art à Nice, le 25 janvier 2010. REUTERS/Eric Gaillard

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