Société / Culture

L'histoire méconnue du White Panther Party, soutien blanc des Black Panthers

À la fin des années 1960, une poignée d'activistes blancs apportent leur soutien aux Black Panthers et créent leur propre organisation. L'idée? Prendre d'assaut la culture et régler le problème des brutalités policières.

Des hippies devant la maison du White Panther Party au 1520, Hill Street à Ann Arbor (Michigan). | Wystan <a href="https://www.flickr.com/photos/70251312@N00/16294530322">via Wikimedia</a> – Montage Slate.fr
Des hippies devant la maison du White Panther Party au 1520, Hill Street à Ann Arbor (Michigan). | Wystan via Wikimedia – Montage Slate.fr

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Dans un quartier en proie à la désindustrialisation, le lieu le plus anodin peut parfois apparaître comme une curiosité, voire comme un foyer de résistance. À Détroit, ce rôle échoit au Detroit Artists Workshop, très actif au cours des années 1960, dans un quartier où le bourgeois égaré aurait immédiatement pris ses jambes à son cou. Il faut dire qu'à Détroit, où la dureté des conditions de travail s'ajoute à celle du chômage, les temps sont durs.

En 1967, le bilan est lourd: tandis que des émeutes embrasent la ville et que des milliers de locaux protestent contre les violences policières envers les Afro-Américains, les bâtiments partent en flammes, les morts s'accumulent (une quarantaine lors des fameuses émeutes de juillet 1967) et les arrestations se font de plus en plus musclées. «On était harcelés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, déclarait l'activiste et poète John Sinclair. On nous arrêtait pour incitation à la haine, obscénité, possession de drogues: tout ce qu'ils pouvaient nous jeter à la figure.»

À l'époque, Détroit est finalement à l'image des États-Unis: en crise, remise en question par une nouvelle génération bien décidée à rejeter le capitalisme, le conservatisme et l'impérialisme d'un pays alors moins occupé à unir sa population qu'à manier les armes au Vietnam ou à lutter contre l'aura grandissante de quelques leaders noirs (Martin Luther King, Malcolm X).

Elbert Howard lors d'une intervention du Black Panther Party le Rob Mieremet / Anefo / Dutch National Archive via Wikimedia

C'est dans ce contexte, clairement houleux, qu'apparaît le Black Panther Party (BPP), cette organisation marxiste afro-américaine visant à promouvoir le développement des communautés noires tout en prônant l'autodéfense contre les brutalités policières et le racisme. Active depuis octobre 1966, celle-ci n'a cessé de gagner en popularité: les militants se comptent par dizaine de milliers, les bureaux s'exportent à travers tout le pays (Oakland, Harlem, etc.), et le pouvoir en place s'inquiète face à la puissance de cette insurrection qui vient. Le 1er aout 1967, le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, lance même le plan COINTELPRO visant à «neutraliser» le BPP et à «tuer dans l'œuf toute possibilité de voir émerger un messie en son sein».

Nous contre eux

Deux ans après sa création, le BPP suscite tous les fantasmes, toutes les craintes et toutes les interrogations. Au cours de l'été 1968, lors d'une conférence, le leader du mouvement, Huey P. Newton est interpellé par une question. Très simple, très brève: «Que peuvent faire les Blancs pour soutenir la cause?» Réponse: «Former le White Panther Party». Le choix du nom paraît évident, la création de l'organisation également. Si bien qu'une poignée de beatniks, d'artistes et de musiciens, majoritairement issus de Détroit, servent rapidement de soutien à la cause afro-américaine. Parmi les fondateurs du White Panther Party (WPP), dont la création le 1er novembre 1968 coïncide peu ou prou avec l'élection de Richard Nixon à la présidence des États-Unis, on trouve notamment Lawrence «Pun» Plamondon, John Sinclair et sa femme, Leni, une photographe bien connue aujourd'hui par ceux qui s'intéressent aux carrières d'Iggy Pop, Fela Kuti, Patti Smith ou Prince.

Bulletin d'informations du White Panther Party

Lettre d'information du White Panther Party. |

C'est elle qui documente les coulisses de l'organisation, immortalise les différentes actions et assiste presque étonnée aux moqueries du Black Panther Party. «Ils nous traitaient de clowns psychédéliques. Tout simplement parce que, outre le combat pour l'égalité raciale, on manifestait contre la guerre et la dépénalisation de la marijuana.» Sur le papier, le White Panther Party fonctionne pourtant de façon similaire au Black Panther Party, avec un code d'honneur synthétisé en dix points clé. Parmi les principales revendications: «l'abolition du capitalisme», la démilitarisation, «la promotion du rock, de la drogue et du sexe dans les rues», mais aussi de l'entraide. Un principe mis à exécution aux côtés du BPP, dont le bulletin d'information et les œuvres littéraires sont mis à disposition par le WPP dans les rues de Détroit.

«Les Black Panthers nous traitaient de clowns psychédéliques parce que, outre le combat pour l'égalité raciale, on manifestait contre la guerre et la dépénalisation de la marijuana.»
Leni Sinclair, confondatrice du White Panther Party et photographe

Par la suite, d'autres actions voient le jour: des cours d'éducation politique, des campagnes de sensibilisation aux brutalités policières auprès de la population blanche, des articles dans le Fifth Estate, un fanzine d'extrême gauche, et différents événements culturels. «Notre programme est la révolution culturelle par un assaut total de la culture, clamait John Sinclair lors d'une conférence, conscient de la nécessité d'investir l'esthablishment capitaliste pour mieux le détruire de l'intérieur. Cela nous encourage à utiliser tous les outils, toutes les énergies et tous les médias sur lesquels nous pouvons mettre la main collectivement. Nous emportons notre programme avec nous partout où nous allons et utilisons tous les moyens nécessaires pour l'exposer aux gens.»

 

Sur ce point, le White Panther Party peut notamment compter sur le MC5, un groupe de proto-punk dont l'un des plus fameux singles (une reprise de John Lee Hooker!) a pour titre «The Motor City Is Burning». John Sinclair a longtemps managé la formation américaine, et tout laisse à penser que ces rockeurs partagent alors les mêmes idéaux politiques. «Ils prêchaient la bonne parole et suscitaient l'intérêt des gens», témoigne Leni Sinclair, reconnaissante envers les gars du MC5, qui profitent de leur aura médiatique pour faire la promotion du WPP et de son approche ironique –à titre d'exemple, les interventions du parti étaient souvent inspirées par la démesure théâtrale du mouvement yippies. Ce qui n'empêche pas l'organisation de permettre de réelles avancées, en instaurant notamment la gratuité au sein de différentes institutions d'Ann Arbor, dans le Michigan (garderie, clinique, école, etc.).

Entre utopies et réelles avancées sociales

Malgré ces multiples exploits et cette importance grandissante, au point d'être considérée par J. Edgar Hoover comme l'une des organisations militantes les plus dangereuses d'Amérique, difficile de connaître avec exactitude le nombre de militants actifs au sein de l'organisation. À peine sait-on qu'une quinzaine de sections opéraient à travers les États-Unis, que le White Panther Party fonctionnait comme un véritable parti politique (avec un comité central, un chef de cabinet, des ministres) et qu'il subissait lui aussi le harcèlement des forces de l'ordre, probablement à cause de la radicalité prônée par Lawrence «Pun» Plamondon, dont les discours ne laissaient aucun doute quant à ses intentions: «Prends un flingue, mon frère, apprends à t'en servir. Tu en auras besoin, très bientôt. Très bientôt. Tu es une Panthère Blanche, agis comme telle.»

Le White Panther Party était considéré par J. Edgar Hoover comme l'une des organisations militantes les plus dangereuses d'Amérique.

Ainsi, tandis que le siège des White Panthers, à Portland, est perquisitionné par le FBI en décembre 1970, un an plus tôt, John Sinclair est condamné à dix ans de prison après avoir été arrêté en possession de deux joints de marijuana. La décision est disproportionnée, d'autant que le juge refuse alors de fixer une caution, arguant que Sinclair a montré «une propension et une volonté de commettre à nouveau le même type d'infractions».

Pour la justice, la sentence est censée servir d'exemple. Du côté du WPP, elle ne fait qu'accentuer la détermination de militants qui, en 1971, rassemblent plus de 15.000 personnes à l'occasion du John Sinclair Freedom Rally à l'université du Michigan à Ann Arbor. Parmi les participants, John Lennon (qui va jusqu'à nommer un morceau «John Sinclair» sur Some Time In New York City, sorti en 1972), Yoko Ono, Stevie Wonder, Bob Seger et Bobby Seale, le cofondateur du Black Panther Party.

Trois jours plus tard, alors que la Cour suprême du Michigan vient de déclarer anticonstitutionnelles les lois sur la marijuana, John Sinclair est libéré et réintègre le mouvement, désormais nommé Rainbow People's Party. Une façon de faire corps avec l'idéal hippie? Oui, sans aucun doute. Mais aussi une volonté de devenir une véritable organisation politique tout évitant de possibles confusions. «Aux États-Unis, se définir comme blanc est une source de fierté pour les suprémacistes. Il fallait que les gens comprennent que l'on pouvait être blanc et progressiste», précise une Leni Sinclair jamais vraiment remise de la lecture de Howl d'Allen Ginsberg.

Dans cette œuvre majeure de la pensée beatnik, celle qui se définit avant tout comme une «observatrice participante», a trouvé un écho à son activisme. Celui qui lui a permis, aux côtés de ses camarades, de bousculer l'Amérique et de poster Ann Arbor à l'avant-garde: «Au cours des années 1970, on a fait coalition avec le Human Rights Party. Grâce à ça, on a inscrit des milliers d'étudiants à l'université du Michigan et adopté une loi prévoyant une amende de 5 dollars pour possession de marijuana –la première du pays. Les réactionnaires ont essayé de se débarrasser de cette loi et ont échoué à chaque fois qu'elle a été remise sur le bulletin de vote. Ils ont toutefois réussi à faire passer l'amende de 5 à 20 dollars, mais toujours sans peine de prison, ce qui fait d'Ann Arbor une ville précurseur.»

À l'aube de la décennie 1980, infiltrée par des agents fédéraux bien décidés à nuire au Rainbow People's Party, l'organisation se dissout. C'est la fin d'une époque, mais pas celle du militantisme: à 81 ans, Leni Sinclair manifestait l'année dernière en soutien au mouvement Black Lives Matter. Les années ont passé, Détroit s'est dépeuplée (passant de 2 millions d'habitants dans les sixties à 700.000 aujourd'hui), mais rien n'a fondamentalement changé. À entendre la photographe, certains quartiers de la ville ressemblent même «aux villes allemandes d'après-guerre»...

«Il fallait que les gens comprennent que l'on pouvait être blanc et progressiste.»
Leni Sinclair, confondatrice du White Panther Party et photographe

En 2021, que reste-t-il de l'idéologie du White Panther Party? L'utopie d'une contre-culture américaine qui, dans les années 1960, comme a pu le théoriser Theodore Roszak, a dû composer sans pouvoir s'appuyer sur de réels modèles de révolution, contrairement aux peuples européens; la fierté d'avoir tenu tête au gouvernement de Richard Nixon, hostile à toute forme de dissidence; la volonté affirmée de crédibiliser une culture underground, faite de drogue, de cheveux longs et de rock; et une certaine rancune, jamais mieux formulée que par John Sinclair: «Le gouvernement aurait dû nous payer pour ce que nous faisions!»

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