Santé / Monde

En Algérie, la grande ruée contre le Covid-19

Après quelques mois de passivité, les autorités du pays et la population se mobilisent désormais dans l'optique d'une vaccination de masse.

Vaccination face à la mosquée El-Kebir, à Alger, le 9 juillet 2021. | Ryad Kramdi / AFP
Vaccination face à la mosquée El-Kebir, à Alger, le 9 juillet 2021. | Ryad Kramdi / AFP

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À Alger (Algérie)

Après de longs mois d'insouciance et de scepticisme amplifié par des discours alarmistes, la population algérienne n'a désormais plus peur de venir se masser devant les centres de vaccination. Tout a basculé au cours de la deuxième semaine de juillet, au moment où le nombre de contaminations au Covid-19 grimpait en flèche, passant en moins de dix jours d'un peu plus de 200 à plus de 1.200, puis à 1.500 cas recensés par jour... en tout cas officiellement. Il y aurait en réalité entre 25.000 et 30.000 contaminations quotidiennes, selon le professeur Reda Djidjik, chef de service d'immunologie à l'hôpital de Beni Messous.

Dans le même temps, le nombre de décès dans les hôpitaux ne cesse lui aussi d'augmenter. La peur panique qui s'est emparée du peuple algérien face à l'ampleur prise par l'épidémie l'a alors poussé à reprendre peu à peu le port du masque et à se montrer plus respectueux des gestes barrières, y compris à l'occasion de la dernière fête de l'Aïd el-Kebir, en réduisant notamment les visites familiales et en évitant les attroupements –tradition algérienne– autour des sacrifices.

Spontanément, une opinion favorable à la vaccination s'est alors formée au sein de la population. Beaucoup de ceux qui, par rejet épidermique ou dogmatique au vaccin –ils formaient la majorité en Algérie jusqu'à peu– refusaient de se faire vacciner se bousculent désormais au portillon.   

De leurs côtés, les autorités, prises au dépourvu à la fois par une brusque détérioration de la situation sanitaire et par ce sursaut citoyen, se démènent pour se réorganiser et pallier les déficits criants en tous genres. Le cas de la scandaleuse pénurie des concentrateurs d'oxygène dans les hôpitaux en est un exemple édifiant.

Un manque criant d'anticipation

Il faut dire que le gouvernement n'a pas su anticiper les événements, ne prévoyant rien pour endiguer cette crise majeure. Ainsi, c'est seulement après coup qu'Abderrahmane Benbouzid, ministre de la Santé et rescapé de l'ancien exécutif, a promis que l'Algérie allait recevoir 4 millions de doses de vaccin au cours du mois de juillet. Au tout début de la crise, il avait pourtant déclaré que l'Algérie serait «l'un des premiers pays» à acquérir le vaccin contre le Covid-19 dès son apparition, et qu'elle l'acquerrait «à n'importe quel prix».

Si l'on en croit les promesses du ministre, l'Algérie «va accélérer la vaccination pour permettre un retour rapide à la une vie normale, comme tous les autres pays qui ont levé les mesures de confinement». Accélérer à quel rythme et, surtout, avec quels moyens? Benbouzid n'en dit pas davantage. 

Alors qu'aucune campagne de sensibilisation sérieuse n'avait été menée par les pouvoirs publics jusque-là, médecins et faiseurs d'opinion se sont relayés depuis quelques jours dans les médias populaires et sur les réseaux sociaux pour inciter les gens à se faire vacciner. Par la même occasion, ils ont tenté de contrecarrer les plans des anti-vaccins qui, incoercibles, continuaient à mener leur propre campagne.

Pour le professeur Mostefa Khiati, si les Algériens se sont laissés entraîner par les discours sceptiques véhiculés par les réseaux sociaux, la faute incombe essentiellement aux pouvoirs publics qui «n'avaient initié aucune campagne de sensibilisation digne de ce nom».

Le professeur Kamel Djenouhat, président de l'Association nationale d'immunologie, croit, pour sa part, à l'existence d'«un lobby œuvrant contre la vaccination». En font partie, selon lui, «ceux qui ignorent l'importance de ces vaccins». Dans cet élan volontariste, de nombreux journalistes se sont joints à la partie, en partageant des informations et en orientant le public.

«La vaccination de masse est la seule et unique solution, la seule et unique parade à ce terrorisme, oui terrorisme des temps modernes, ce virus criminel de la Covid-19! […] L'heure est très grave!», écrit Kamel Amarni, rédacteur en chef du Soir d'Algérie sur son compte Facebook.

 

Même mot d'ordre chez le quotidien populaire Ennahar, qui en fait sa devise: «La vaccination est la solution.»

Retard à l'allumage

En comparaison avec les autres pays du Maghreb et d'Afrique du Nord, et à l'exception de la Tunisie qui sombre dans le chaos depuis plus d'un mois, l'Algérie accuse un retard inexpliqué, au vu des moyens humains et matériels dont elle dispose. Au Maroc, par exemple, 10 millions de personnes ont déjà reçu une première dose de vaccin, et 9 millions la deuxième –même s'il est vrai que les bilans sont plus alarmants chez le voisin de l'ouest, avec plus de 580.000 cas de contaminations et plus de 9.000 décès. L'Algérie compte, elle, seulement 160.000 cas et 4.000 décès liés au Covid-19.

Mieux, le Maroc et l'Égypte ont annoncé avoir entamé la production du vaccin russe Spoutnik V, alors que l'Algérie, grand ami de Moscou, ne commencera à le faire, d'après le ministre de la Santé, qu'à partir de septembre prochain.

L'exploitation de mosquées et de salles de sport pour vacciner pourrait permettre de doubler la capacité d'accueil d'ici la rentrée.
 

Sur le terrain, la campagne de vaccination en Algérie se déroule dans des conditions pour le moins complexes. Partout, en raison d'une organisation bancale ainsi que d'un manque flagrant de personnels et de centres, les autorités semblent dépassées par le flux grandissant de personnes venant se faire inoculer le vaccin. Seule l'abnégation des personnels soignants en charge de l'opération permet de combler les insuffisances.

Au total, 8.000 centres de santé répartis à travers le pays sont mobilisés dans le cadre de la campagne de vaccination, ce qui peut paraître insuffisant pour une population de 45 millions d'habitants. Mais avec l'exploitation d'autres espaces publics, tels que les mosquées et les salles de sport, on espère doubler la capacité d'accueil d'ici la rentrée, assure-t-on à Alger. L'idée de mettre à contribution les lieux de culte, avec la réquisition de treize mosquées de la capitale depuis le 9 juillet dernier, a rencontré un tel succès qu'il est désormais envisagé de la généraliser.

Bientôt 80% de personnes vaccinées?

Près de cinq mois après le début de la campagne, l'Algérie a pu vacciner «entre 3 et 4 millions» de personnes (les statistiques restent approximatives) et a pu acquérir, jusqu'ici, près de 6 millions de doses des différents vaccins (Spoutnik V, AstraZeneca, Sinnovac et Pfizer), en attendant d'en produire dès le mois de septembre. À cela, il faudrait ajouter l'arrivée d'une nouvelle cargaison, commandée en urgence, de 2,4 millions de doses du vaccin chinois, annoncée le 25 juillet.

Les membres du Comité scientifique de suivi de l'évolution de la pandémie, d'abord sceptiques sur le déroulement de l'opération, misent désormais sur le fait que d'ici quelques mois, le taux de vaccination approchera les 80% de la population. Un challenge qui demeure cependant difficile à réaliser: il reste encore bien des efforts à déployer pour convaincre notamment les plus jeunes, qui constituent la majorité de la population.

«Plusieurs actions sont actuellement menées pour inciter les citoyens à se vacciner et atteindre un taux de 80% de vaccinés.»
Rachida Aouimeur, médecin

Chef de service de réanimation à l'hôpital de Bologhine, à Alger, la docteure Rachida Aouimeur estime que 10% de la population est vaccinée, ce qui ne permet pas, selon elle, d'endiguer la propagation du virus, ni ses variants: «Plusieurs actions sont actuellement menées pour inciter les citoyens à se vacciner et atteindre un taux de 80% de vaccinés (l'équivalent de 20 millions de doses) en deux ou trois mois, seul moyen de briser la chaîne de contamination.» Les mesures prises pour faciliter l'opération et encourager un travail de proximité ont déjà eu comme effet d'attirer un nombre important de citoyens de différentes catégories d'âges.    

 

 

Sur le terrain, la situation évolue rapidement depuis quelques jours. À Béjaïa, ville côtière située à 250 kilomètres à l'est d'Alger, plusieurs structures ont été mises en place, alors qu'on n'en comptait, au départ, qu'une seule, puis deux (un centre de référence et un autre de proximité) pour une population d'environ 250.000 habitants.

Si au début, les candidats à la vaccination étaient reçus sur rendez-vous, ils peuvent aujourd'hui faire sans, avec tout ce que cela peut toutefois entraîner comme désordre et attroupements quotidiens qui, comble du paradoxe, peuvent contribuer à propager le virus.

Un certain optimisme

Nommé responsable des centres de vaccination à Béjaïa, le docteur Farid Khalef est optimiste quant aux premiers résultats de l'opération, même s'il reconnaît une période de flottement. Il rappelle que la première structure a été inaugurée le 2 février 2021. Aujourd'hui, quatre polycliniques urbaines sont mobilisées pour la cause, sans compter un chapiteau au centre-ville, deux équipes mobiles desservant les quartiers populaires, et un certain nombre de centres médico-sociaux (CMS) dédiés désormais à la vaccination à destination des milieux socioprofessionnels.

La moyenne d'âge des personnes vaccinées est passée de plus de 60 ans à moins de 50.
 

Un espace accessible au grand public a également été ouvert à la gare maritime. Les équipes du docteur Khalef ont réussi à installer au moins un centre de vaccination dans chacune des cinquante-deux communes de la wilaya (nom donné aux départements algériens). Un travail qui est loin d'être une sinécure, face aux innombrables écueils rencontrés dans les zones les plus reculées.

Le docteur se félicite que chaque jour, en moyenne, 1.000 personnes reçoivent une injection au niveau de la seule circonscription sanitaire de Béjaïa. Ce qui semble être une véritable gageure pour une société réputée rétive. Autre aspect de l'évolution: la moyenne d'âge des personnes vaccinées est passée de plus de 60 ans à moins de 50.

Pour faire face à une demande qui augmente sans cesse, l'instance s'assure un approvisionnement régulier en matière de vaccins. «Pour l'instance, le problème de l'approvisionnement ne se pose pas», tient à rassurer Farid Khalef, qui dit compter sur le soutien des différentes entreprises pour les moyens logistiques nécessaires.

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