Société

Comment se passe une mise sous tutelle en France?

Alors que la situation de Britney Spears met en lumière ce système, retour sur son fonctionnement dans notre pays.

Un manifestant appelle à <em>«libérer Britney»</em>, le 14 juillet 2021 à Washington. La chanteuse conteste actuellement sa tutelle devant les tribunaux. | Brendan Smialowski / AFP
Un manifestant appelle à «libérer Britney», le 14 juillet 2021 à Washington. La chanteuse conteste actuellement sa tutelle devant les tribunaux. | Brendan Smialowski / AFP

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«Tout le monde en parle, mais personne ne sait ce que c'est.» Ainsi résume Nathalie Payelle, directrice générale de l'UDAF 44 (Union départementale des associations familiales), à propos de la tutelle. Alors que la pop star mondiale Britney Spears est depuis treize ans sous une tutelle qu'elle juge abusive (l'affaire est sale, c'est à présent une évidence), elle vient –enfin– d'obtenir le droit de… choisir son avocat.

Si le système américain diffère du nôtre, il s'agit déjà de comprendre le déroulement d'une mise sous tutelle en France, en nous concentrant ici sur la protection juridique des personnes majeures, que le Code civil encadre de manière très précise. Cette protection concerne des individus empêchés par la maladie, le plus souvent liée à la vieillesse, ou bien d'autres avec des troubles psychiatriques et/ou un handicap.

«En fait, cela se met en place dès lors qu'il y a altération des facultés mentales et/ou corporelles qui viennent “empêcher” la personne au quotidien», résume Nathalie Payelle. «Car l'altération seule ne suffit pas, indique Jean-Marc Bourcy, juge des tutelles au tribunal de Saint-Nazaire (44). La personne ne doit pas être en capacité de gérer ses affaires. Par exemple, si le sens des priorités est altéré, qu'on ne paye pas prioritairement son loyer tout en mettant son argent autre part», au risque de se retrouver dans une belle panade économico-logistique.

C'est le cas de Marylise*, 61 ans et bénéficiaire de l'AAH, sous curatelle renforcée depuis 2005: «C'est bien pour moi, je suis tranquille, mon loyer est payé comme ça. Sinon, j'adore acheter des choses que je vois... C'est aussi grâce à ça que j'ai de l'argent de côté et que je peux partir en vacances avec mes enfants.» Marylise a peur de ne pas réussir à gérer ses finances seule, avec son «petit budget». «Quand j'ai besoin d'argent, on m'en donne si c'est possible, et ça me rassure de savoir que mes factures ont été payées.»

«Oui, la tutelle, c'est violent»

Une mesure de tutelle peut être demandée par la personne elle-même, un membre de la famille, un proche ou une assistante sociale. Il faut alors contacter le juge des tutelles, qui va enquêter, en moyenne pendant six mois, pour savoir si la mesure est nécessaire ou non, et à quel degré. En France, seul un juge des tutelles est habilité à prendre une telle décision, en s'appuyant évidemment sur l'avis d'un médecin expert. Ces derniers sont désignés par le procureur de la République, et formés pour évaluer les capacités de leurs concitoyens. «Une procédure démarre toujours sur certificat médical», insiste Jean-Marc Bourcy. Si une mesure est nécessaire, un ou une mandataire sera alors désignée par le juge. La mesure est décidée pour cinq ans minimum, durée révisable selon l'évolution de la situation.

Trois types d'accompagnement existent. La curatelle simple, qui est davantage un soutien, la personne conservant la gestion de ses comptes; la curatelle renforcée, où la ou le mandataire a la main sur les comptes de la personne; et la tutelle, mesure la plus contraignante. «La curatelle est une aide à la gestion alors que la tutelle est une véritable représentation de la personne, c'est beaucoup plus lourd», résume Jean-Marc Bourcy. «Il faut être honnête, renchérit Nathalie Payelle. Oui, la tutelle c'est violent. C'est violent de dire à quelqu'un “on va gérer pour vous car vous n'êtes plus en capacité de le faire”.»

«Les abus sont très rares –pas inexistants, mais très rares. En trente ans de carrière, j'ai vu trois fois des mandataires détourner de l'argent.»
Jean-Marc Bourcy, juge des tutelles au tribunal de Saint-Nazaire

Environ 1 million de personnes en France sont aujourd'hui concernées. Pour les juges, la question principale est: «À qui confier ce mandat?» Près de 50% des mesures de tutelle sont suivies par la famille, qui se porte volontaire. Le juge des tutelles se doit de prendre le temps de la recevoir, comprendre ses motivations, déceler d'éventuels conflits familiaux. Certaines familles refusent. Pour d'autres, tout le monde souhaite être mandataire de la personne et aucun accord n'est trouvé. D'autres encore ne veulent pas amputer leur héritage et vont s'avérer pingres malgré les demandes de la personne. Certaines sont franchement malsaines.

Dans le registre «Familles je vous hais», Jean-Marc Bourcy en a vu de belles, des enfants haussant les épaules: «Oh, maman ne se rendra pas compte qu'elle reçoit un cadeau donc pourquoi lui en offrir un?» «Dans ces cas-là, moi qui tiens évidemment beaucoup à ce que les personnes bénéficient de petites attentions, je mets la famille de côté aussitôt, affirme le juge. C'est la dignité de la personne qui prime!» Lui a trente-trois mandataires de son ressort au tribunal de Saint-Nazaire, dont quatre grosses associations qui en gèrent elles-mêmes des dizaines, mais également des mandataires «en libéral» (ou «privés»).

Les mandataires privés sont contrôlés «officieusement» par la famille et «officiellement par la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS)», poursuit le juge. Quant aux associations, elles disposent d'un commissaire aux comptes et d'un service de comptabilité. Des rencontres annuelles entre mandataires et des points réguliers sur les situations sont faits. Les mandataires ont, en plus, des assistants administratifs. «Il y a donc un certain nombre d'échelons pour sécuriser l'accompagnement», rassure Nathalie Payelle. Chaque année, un rapport est envoyé au juge, avec un compte-rendu de gestion de la personne.

De quoi limiter les abus? Oui, pour Jean-Marc Bourcy, qui a porté plainte trois fois. «Les abus sont très rares –pas inexistants, mais très rares. Une à deux fois par an, je décharge des familles pour aller vers des mandataires extérieurs. En trente ans de carrière, j'ai vu trois fois des mandataires détourner de l'argent.» Pour lui, qui suit 1.700 mesures, «90% d'entre elles ne posent aucune difficulté, seulement 10% [le] préoccupent». La plupart de ses dossiers concernent des femmes, en maison de retraite (rappelons que les femmes vivent plus longtemps que les hommes). D'ailleurs, les maisons de retraite de plus de quatre-vingt lits sont dans l'obligation d'avoir un mandataire.

Accompagner sans s'immiscer dans la vie privée

Alors, quel est le rôle du ou de la mandataire? «Avant tout, accompagner la personne pour qu'elle ait le plus d'autonomie possible, résume Nathalie Payelle. Mais nous n'avons pas à nous immiscer dans la vie privée. Il ne s'agit pas de contrôler la vie des gens, ce n'est pas notre rôle!» Jean-Marc Bourcy, abonde dans ce sens et rappelle que tant que les factures sont réglées, mettant ainsi la personne à l'abri de tout problème, celle-ci est libre de faire ce qu'elle veut de son argent (coucou le père de Britney Spears!).

Il s'agit donc d'administratif, la plupart du temps, de tout ce qui concerne l'accès aux droits et au logement, le budget prévisionnel de la personne, mais aussi sa santé, en accord avec elle et le médecin. «Le tuteur peut décider d'autoriser une vaccination Covid, par exemple, déclare le juge Bourcy. Mais en s'appuyant sur l'avis d'un médecin. In fine, c'est le médecin qui décide, plus que le mandataire.» «Le mandataire fait avec la personne, il est là pour l'écouter, l'aider à exprimer ses besoins et envies, à exprimer ses décisions. La question essentielle pour un mandataire est: “Est-ce que c'est bien ce que vous voulez?”», insiste la directrice de l'UDAF 44, où chaque mandataire à temps plein accompagne soixante personnes avec des profils différents.

Les mandataires, souvent diplômés CESF (conseiller en économie sociale et familiale), assistante sociale ou titulaires d'une licence juridique, doivent au minimum avoir le Certificat national de compétence (CNC). L'association française de formation et d'étude des curatelles et des tutelles (AFFECT) est un des organismes agréés pour former ces futurs mandataires. Il faut compter 300 heures de formation et 350 heures de stage, avec un mandataire privé, une association ou à l'hôpital.

«Il faut beaucoup de délicatesse pour accompagner les gens. Ce sont des mesures violentes. On vient quand même retirer à la personne ses instruments de paiement. Les personnes se sentent brusquement dépossédées», observe Jacqueline Jean, vice-présidente de l'AFFECT et responsable pédagogique de la formation. Selon elle, «20% des mesures ne devraient pas être dirigées vers un juge», mais pourraient être prises en charge par des travailleurs sociaux.

Pour Patrick*, 53 ans et sous curatelle renforcée depuis une vingtaine d'années, «la vie est plus facile à gérer» grâce à la mesure. «Avec mon handicap, et celui de ma femme, on se sent plus protégés, ce serait compliqué sinon. La curatelle s'occupe de tout, ils gèrent nos difficultés, c'est une aide. Quand on a besoin de vêtements, d'aller chez le coiffeur, d'acheter quelque chose qui nous fait plaisir, il y a un virement de fait sans problème.»

Une étape parfois difficile à passer donc, mais qui, en réalité, va souvent durer dans le temps. Et se passer le mieux possible, si tant est, rappelle le juge des tutelles, qu'«un travail de dialogue ait été fait correctement au préalable», permettant l'instauration d'une relation de confiance. Mais puisque chez les Spears, on semble bien loin de toute velléité bienveillante et qu'on penche plutôt vers le contrôle du corps de la femme, l'exploitation et le vol de pognon, #FreeBritney, évidemment.

*Le prénom a été changé

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