Culture

Cannes 2021, jour 11: dernier inventaire avant fermeture, quelques perles et un ultime bonheur

Alors que s'achève cette 74e édition d'un Festival à bien des égards exceptionnel, et indépendamment des récompenses qu'un jury particulièrement imprévisible jugera bon d'attribuer, regard d'ensemble sur la manifestation, et zooms sur une poignée d'œuvres à retenir.

Au centre de <em>In Front of your Face </em>de Hong sang-soo, Lee Hye-Young, la femme qui est revenue (à gauche) et sa sœur incertaine du sens de ce retour. | Jeonwonsa Film Co.
Au centre de In Front of your Face de Hong sang-soo, Lee Hye-Young, la femme qui est revenue (à gauche) et sa sœur incertaine du sens de ce retour. | Jeonwonsa Film Co.

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Le Festival n'est pas encore tout à fait fini, mais les sections parallèles ont remballé leurs films, et un grand nombre de festivaliers ont déjà déserté la Croisette, renforçant l'impression d'une manifestation nettement moins fréquentée que d'ordinaire.

Tous les participants ne s'en plaignent pas, moins de files d'attente, moins de difficulté à avoir des places, et même des bons sièges dans les salles, mais tout de même une impression d'incomplétude, encore plus nette dans les zones du marché, quasiment désertes.

Au trop plein de films, surtout en sélections officielles, aura ainsi répondu un déficit de public, et de professionnels, pour de nombreux motifs notamment la difficulté d'atteindre Cannes et d'y travailler en ce qui concerne de nombreux étrangers, en particulier les Asiatiques et les Latino-Américains.  

Ce qui n'aura pas empêché de célébrer haut et fort la résurrection de l'expérience de la salle, vécue avec bonheur par ceux qui étaient là. Ce signal-là était au premier rang des missions que le Festival s'était assignées, et qu'il a remplies.

De même que ses responsables n'ont pas manqué de souligné l'efficacité des mesures barrières scrupuleusement respectées, et rappelées avant chaque séance sur un ton paternellement autoritaire par la voix du président Pierre Lescure. À chacune de ses nombreues apparitions publiques, le délégué général Thierry Frémaux s'est fait fort de rappeler que le Festival n'était pas, et ne serait pas un cluster.

Finir en douceur et en beauté avec Hong Sang-soo

Parmi les films du dernier jour avant la proclamation du palmarès ce samedi 17 juillet, une seule œuvre mémorable, qui ne risque pas d'être récompensée puisqu'elle figure dan la section non compétitive Cannes Première.

Sa présence, et la joie subtile qu'offre In Front of your Face ne sont assurément pas des surprises, tant Hong Sang-soo est à la fois prolifique, et ayant trouvé une capacité de se renouveler au sein de la tonalité générale instaurée quasiment depuis ses débuts, capacité qui parait inépuisable.

Ancienne actrice partie vivre aux États-Unis et revenue en Corée pour des motifs qui n'apparaitront que peu à peu, l'héroïne du film rencontre entre autres un réalisateur à qui elle dit ce qui s'applique parfaitement à Hong, «vos films sont comme des nouvelles».

Légèreté, précision, délicatesse, attention à des détails qui aussitôt se magnétisent et polarisent les émotions et les idées, le 25e film en vingt-cinq ans de ce cinéaste aussi créatif que modeste, aussi affuté qu'attentif est, simplement, un bonheur. Dans des tonalités qui n'appartiennent qu'à l'auteur de La femme qui s'est enfuie, le bonheur est d'ailleurs aussi son sujet.

Lumières rétrospectives

Au moment de mettre un terme à cette chronique quotidienne du 74e Festival de Cannes, on s'abstiendra de prétendre porter un jugement sur l'ensemble des films qui y ont été montrés, n'ayant réussi à voir «que» 53 films sur quelque 135 sélectionnés dans les différentes sections.

Quant aux prévisions de palmarès, il serait cette année encore plus périlleux que d'ordinaire de se livrer à un pronostic. Parmi les films en compétition, on se contentera de rappeler ici les bonheurs de spectateur, bonheurs de natures très différentes, éprouvés grâce à cinq des titres en compétition.

Soit, par ordre d'apparition sur les écrans du Palais des festivals, Annette de Leos Carax, Benedetta de Paul Verhoeven, Bergman Island de Mia Hansen-Løve, Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi et Memoria d'Apichatpong Weerasethakul. En se déclarant par avance bien content si au moins un de ceux-ci est appelé sur scène à l'heure de la remise des prix.

Il importe du moins de mentionner quelques œuvres réellement remarquables qui y ont été présentées, toutes sélections confondues, mais qui n'ont pas trouvé place dans les précédents articles.

Très judicieusement récompensé à la Semaine de la critique, Feathers du jeune cinéaste égyptien Omar El Zohairy est une impressionnante première œuvre, où les décisions stylistiques radicales savent concourir à créer une empathie pour le personnage de mère et épouse qui se retrouve seule dans un monde aussi misérable qu'hostile, à la suite de la disparition «magique» de son mari.

Chaque plan est d'une intensité singulière, et devient composant d'un ensemble à la fois dynamique et étrange, signalant à n'en pas douter l'apparition d'un authentique cinéaste.

Bhumisuta Das dans A Night of Knowing Nothing de Payal Kapadia, une révélation de la Quinzaine des réalisateurs. | Petit Chaos

Authentique cinéaste aussi, cette autre révélation, à la Quinzaine des réalisateurs cette fois, avec le premier film de la jeune Indienne Payal Kapadia.

Associant histoire d'amour et évocation de la résistance au régime fasciste de Narendra Modi, A Night of Knowing Nothing est d'une invention formelle toujours légitime, qui déploie les beautés émouvantes d'un engagement à la fois sentimental et politique avec une grande fermeté de conception et de réalisation.

Également à la Quinzaine, les retrouvailles avec Jonas Carpignano ont confirmé les espoirs mis dans le jeune réalisateur italien. A Chiara, lauréat du premier prix dans cette sélection, trouve des accents très convaincants en accompagnant la trajectoire d'une adolescente confrontée à la découverte du rôle important de son père dans la mafia et aux institutions qui prétendent régler son sort.

Des vaches en particulier et de la nature en général

Enfin, outre ceux déjà évoqués ici, la sélection ACID a été aussi l'occasion de rencontrer Vedette, qui donne son nom au film de Claudine Bories et Patrice Chagnard. Vedette est une vache, une vache d'exception, occupant un rang très élevé dans les alpages (suisses) où elle vit.

Vedette dans Vedette... comme son nom l'indique. | New Story

Portrait de l'animal, évocation des manières de vivre, et des idées de la vie, des habitants de la vallée où le film est tourné, Vedette est surtout une réjouissante et fine interrogation sur les relations possibles, dans la vie et en les filmant, avec des non-humains.

Le film aura pris un relief singulier en succédant à un autre, Cow, comme son nom également l'indique lui aussi consacré à une vache –et au troupeau dont elle fait partie, et aux gens qui, dans une énorme ferme en Angleterre, s'en occupent.

La comparaison montre combien il est difficile de bien filmer les animaux, ce qu'Andrea Arnold, la réalisatrice d'ordinaire mieux inspirée de Fish Tank et de American Honey, n'arrive pratiquement jamais à faire.

Peut-être faudrait-il aimer les vaches un peu plus (le cinéma ne manque pas d'exemples), mais aussi trouver sa place de cinéaste dans cet élevage industriel guère plus accueillant aux humains qu'aux animaux. 

Ces exemples bovins mènent à la nouvelle section ajoutée par les responsables du Festival, Cinéma&Climat, et destinée à mettre en évidence les questions environnementales. Faute d'avoir pu voir la totalité des films qui y figuraient, on se gardera ici d'un jugement trop général.

Mais les quelques titres auxquels on a eu affaire montrent qu'il reste beaucoup à inventer pour que cette légitime préoccupation, et l'utile choix de mettre les puissances de visibilité de Cannes au service du combat contre la destruction en cours de la planète, trouve sa véritable traduction.

Si Cannes a un rôle à jouer autre que de vitrine publicitaire, c'est en contribuant à mettre en évidence comment le cinéma, la mise en scène, les choix de réalisation plus encore que les sujets, recèlent des ressources propres pour faire évoluer les imaginaires sur les relations à la nature. Vaste chantier, à peine esquissé cette année.

 

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