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Je vais prendre des vacances.
J'espère que vous aussi.
Que vous allez pouvoir décompresser, vous reposer, glander, vous ennuyer même. Depuis combien de temps on ne s'est pas ennuyé? À part au boulot, évidemment. Je parle de s'ennuyer, non pas d'un ennui infligé par quelqu'un d'autre lors d'un rendez-vous Tinder ou PowerPoint, mais d'un ennui d'oisiveté, un ennui d'enfant qui traîne ses pieds jusqu'à la cuisine pour vous dire «j'm'ennuie». Un ennui comme si le temps était une ressource infinie. Un ennui qui veut dire «je n'ai rien à faire». Quand est-ce qu'on n'a rien eu à faire pour la dernière fois? Notre temps est saturé de tâches à exécuter et nos carnets de listes d'injonctions.
Ennuyez-vous un peu. Sans vous culpabiliser.
Je vous souhaite également de voir des ami·es. Parce que les ami·es, c'est bien et qu'on les a moins vus depuis un an et demi. On s'est éloigné, on s'est dit qu'on se verrait bientôt, qu'on s'appellerait demain, et puis le temps a passé, les confinements se sont succédé et puis, tiens, on se rend compte combien c'est facile de se perdre de vue. Avant, ça nous semblait impossible. Les adultes nous racontaient des histoires qu'ils avaient vécues avec un ami, et quand on demandait pourquoi ils ne se voyaient plus, l'adulte haussait les épaules et disait «on s'est perdu de vue», et on ne comprenait pas. Comment une telle chose pouvait arriver? Maintenant, on sait.
Se regarder et être hilare
Et quand vous verrez ces ami·es, je vous souhaite de rire. On a moins ri ces derniers temps, non? Je pourrais imaginer que c'est un truc d'âge. Il y a sans doute des âges où l'on rit davantage. Je n'ai pas envie de dire que c'est parce qu'on est plus légers. Moi, à 20 ans, je n'étais pas légère. Mais je riais. Non, il y a des âges où l'on a peut-être moins le temps de rire. À 20 ans, j'avais des problèmes très graves comme «comment vivre», mais à 40 j'ai des préoccupations comme «faut que je vérifie que les encombrants passent mardi». Eh bien mes crises existentielles se prêtaient davantage au rire.
Mais si on rit moins (je vous inclus alors que, ça se trouve, ce n'est pas du tout votre cas), c'est peut-être aussi à cause de la période. Parce qu'on est plombé. Et puis, c'est vrai, on ne va pas se mentir: on fait davantage attention à ce qu'on dit. Cette vigilance diminue forcément le volume de rire. Face à cela, un certain nombre ont choisi de faire des blagues sur le fait de faire attention à ses blagues. Mais, facilement, ça vire à «je raconte la blague que je n'ose plus faire en rigolant mais en la racontant malgré tout». Alors, je vous avoue que moi, entendre moins de blagues sexistes, ça me repose. Mais maintenant il faut les remplacer par d'autres blagues. Des blagues nouvelles. Et ça demande un peu d'efforts et d'énergie et de créativité, et souvent, on est fatigué·e.
Il faudrait alors rire de rien. Rire facilement. Se regarder et être hilare. Se dire bonjour et avoir déjà envie de rire. Être de bonne humeur donc. Pas un truc très fréquent ces derniers mois. Mais j'ai l'impression que cette hilarité s'est amorcée avec le déconfinement (et peut-être bien l'alcool). J'entrais dans un bar pour retrouver des ami·es, et j'étais déjà tellement heureuse de ce geste-là, d'avoir le droit de faire ça, que j'avais le sourire aux lèvres et un frémissement de rire dans le ventre. À la maison, c'est pareil. L'ambiance est plus légère, on rigole pour rien.
Pendant les vacances, je vous souhaite donc de vous ennuyer et de rire.
Un message de l'autre côté
J'aimerais ici adresser quelques mots aux parents de jeunes enfants. Je vous écris depuis l'autre côté. L'autre côté, c'est celui où je me demande quels livres je vais prendre pour les vacances parce que, désormais, je peux être avec les enfants et bouquiner. Je vous écris depuis votre avenir. Ça va arriver. Je sais que vous êtes épuisé·es. Je sais combien c'est dur. Et je sais que les vacances n'en seront pas vraiment pour vous. Mais rappelez-vous que c'est transitoire. Je vous promets que, bientôt, votre enfant va arrêter de hurler quand vous lui dites de mettre ses chaussures. Il ne vous jettera plus sa purée au visage. Un jour même, un jour prochain, vous allez recommencer à dormir. Ce n'est peut-être pas pour tout de suite, mais cela va arriver. Vous ne dormirez pas seulement une nuit complète, mais deux, trois, peut-être même quatre d'affilée. (Pas cinq, parce qu'il y aura malgré tout toujours des problèmes pour vous prendre la tête en pleine nuit.)
Tout va s'arranger.
L'enfant finira par dormir.
L'enfant finira par manger.
L'enfant aura alors des cahiers de devoirs de vacances, (des vrais, pas ceux de maternelle) mais ça, c'est une autre histoire.
Prenez soin de vous. Demandez-vous au moins une fois par jour de quoi vous auriez envie ou besoin.
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Pour finir, merci à toutes celles et tous ceux qui ont partagé mes articles cette année. J'ai également reçu beaucoup de messages, je les lis tous, même si je n'ai pas toujours le temps de répondre. Mais merci à vous, ça fait six ans que cette newsletter existe, douze que j'écris pour Slate, et vos mots d'encouragement m'aident à me remotiver quand j'ai envie de tout arrêter. Parfois, j'ai l'impression étrange de vivre tout ce qui nous arrive collectivement avec vous tous et toutes, une foule de gens inconnus qui m'écrivent quelques mots à l'occasion, qu'on ne se connaît pas mais qu'on traverse ensemble ce gros bordel que sont nos existences.
Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.