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Avec l'AirTag, votre conjoint peut vous suivre à la trace

Des associations de lutte contre les violences conjugales s'inquiètent de ce nouveau gadget Apple, censé à la base permettre de retrouver ses clés.

Il faut donc faire circuler l'information, notamment dans les milieux d'aides aux femmes victimes de violences. | Kehn Hermano <a href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/bois-apple-bureau-table-7825625/">via Pexels</a>
Il faut donc faire circuler l'information, notamment dans les milieux d'aides aux femmes victimes de violences. | Kehn Hermano via Pexels

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En avril dernier, Apple a annoncé la commercialisation d'un nouveau gadget appelé AirTag. Il coûte 35 euros. Mais vous pouvez acheter une version luxe grâce au partenariat Apple/Hermès, comptez alors entre 299 et 449 euros.

Un espion très discret. | Kehn Hermano via Pexels

Au cas où vous vous demanderiez si je n'aurais pas succombé aux sirènes de l'article sponsorisé par une marque, je vous rassure, pas du tout. Attendez, vous allez comprendre où l'on va en venir.

Quand vos clés sont quelque part dans le salon, on comprend assez facilement comment cela fonctionne. Mais imaginons que quelqu'un vous ait volé vos clés, comment Apple peut les localiser? L'AirTag envoie régulièrement un signal qui va être récupéré par les iPhones (iPads, Mac, etc.) qui se trouvent à proximité. (Dingue le nombre de choses que nos téléphones font sans que nous le soupçonnions. Il paraît qu'on peut désactiver cette fonction mais je ne sais pas comment.) Donc les iPhones à proximité renvoient le signal jusqu'à l'iPhone possesseur de l'Airtag (plus précisément, ils envoient le signal dans iCloud, auquel l'iPhone référent se connecte). Ainsi même si vos clés sont à l'autre bout de la ville, vous pourrez les localiser. Super.

Femmes sous surveillance

Maintenant, imaginons que vous ne sachiez pas où est votre compagne. Si vous avez dissimulé un AirTag dans son sac à main ou dans sa voiture, vous pourrez très facilement la retrouver.

C'est ce qui inquiète aux États-Unis le NNEDV (National Network to End Domestic Violence), une organisation qui alerte régulièrement les sociétés tech des risques que leurs innovations font courir aux victimes de violences domestiques. Ce qui est intéressant, c'est qu'Apple a envisagé cet usage de son gadget et a donc mis en place des procédures de protection. Si cela fait plus de huit heures que l'AirTag n'a pas été à proximité de son iPhone référent, il se met à biper pendant quinze secondes, prévenant ainsi de sa présence.

Mais cela signifie que l'on peut espionner la personne huit heures de suite. Et encore, on peut entendre un bip pendant quinze secondes sans comprendre ce que c'est, ni d'où ça vient si on n'est pas informé de l'existence de ces machins. (Si vous voulez apprendre à reconnaître ces sons, ils sont ici.) Apple a déclaré réfléchir à un changement de la durée de huit heures. (Au départ, la durée était de trois jours, elle est désormais de huit à vingt-quatre heures.)

Si vous vivez avec la personne qui vous espionne, elle peut facilement mettre son iPhone à proximité de l'AirTag caché sur vous.

Deuxième sécurité: si un AirTag qui n'est pas le vôtre vous suit, votre iPhone le détecte et vous prévient. (Mais on peut annuler cette fonction.) Sauf que si vous n'avez pas un iPhone, vous n'en savez rien. Comme le souligne le site américain FastCompany, cela fait partie du développement en «jardin clos» d'Apple, qui tend à pénaliser les utilisateurs d'Android. Ici, c'est très net puisqu'une utilisatrice d'Android peut être espionnée plus longtemps par un AirTag qu'une utilisatrice d'Apple.

En gros, si vous vivez avec la personne qui vous espionne, elle peut facilement mettre son iPhone à proximité de l'AirTag caché sur vous pour que l'alerte de quinze secondes ne se déclenche jamais, et si vous n'avez pas un iPhone, vous ne serez prévenue de rien. Devant les inquiétudes exprimées sur ce sujet, Apple a récemment annoncé qu'une appli Android pour détecter les AirTags serait disponible d'ici à la fin de l'année.

Avoir un Samsung ne protège pas

Apple n'est pas la première à se lancer sur ce marché. Il existe déjà depuis 2013 Tile, mais il n'a pas la puissance d'Apple. Avec le lancement des AirTags, et comme leur efficacité dépend du nombre de Mac et iPhones environnants, on assiste au développement d'un réseau de surveillance à une toute autre échelle, et où chacun de nos téléphones sert à localiser les autres. Même si vous n'achetez pas d'AirTag, votre téléphone participe à ce réseau de surveillance généralisée. Comme le proclame le site d'Apple: «Quand vous avez perdu un objet quelque part, par exemple à la plage ou la salle de sport, et que vous avez quitté les lieux, le réseau Localiser vous aide à retrouver votre AirTag. Par “réseau”, comprenez des centaines de millions d'iPhone, iPad et Mac partout dans le monde.»

Et pour celles et ceux qui diraient «je m'en fiche, j'ai un Samsung», vous aurez déjà compris que ça ne vous empêche pas d'être espionné·e par un utilisateur d'Apple. Mais surtout l'entreprise Samsung avait déjà lancé un produit équivalent en janvier dernier: le Galaxy SmartTag. (Avec une différence de taille: «La recherche d'autres SmartTag que le sien n'est pas activée par défaut et s'effectue sur la base du volontariat des utilisateurs.») (Mais je suis sceptique, ça demanderait à être vérifié.) Ce qui m'inquiète avec le produit Samsung, c'est que je n'ai trouvé aucune référence à des mesures de protection contre l'espionnage des personnes. Pas de mention de bip au bout de huit heures par exemple, ou de détection par un iPhone. Sur le sujet, on s'est focalisé sur Apple, mais en réalité, il semblerait qu'on puisse faire davantage de reproches à Samsung.
 


De manière générale, on se trouve confronté à une difficulté: l'information. Malheureusement, les infos sur les nouveautés tech restent souvent cantonnées à une sphère de spécialistes. Il y a donc de fortes chances pour que les femmes qui pourraient être victimes de ce genre d'espionnage ne soient même pas au courant de l'existence de ces nouveaux objets. Évidemment, on sait dans l'absolu que les balises de géolocalisation existent. Mais il est important de savoir ce qui existe exactement et comment cela fonctionne. Par exemple, connaître l'existence de l'alarme sonore de quinze secondes et être capable de l'identifier. Ou savoir quand sera disponible l'app pour que les téléphones sous Android soient capables de repérer un AirTag.

Maîtriser les objets technologiques

Il faut maîtriser les objets technologiques pour en déjouer les usages malveillants. Pour cela, il faut donc faire circuler l'information, notamment dans les milieux d'aides aux femmes victimes de violences. C'est à cela que s'attelle par exemple l'association de hackeuses féministes Echap (vous pouvez lire leurs guides, et elles animent des ateliers) ou le collectif féministes contre le cyberharcèlement. Mais c'est surtout ce à quoi s'emploie le centre Hubertine Auclert, qui a rejoint une coalition internationale. Elles tentent de former les femmes à ces questions de cyberviolences conjugales et elles mettent beaucoup de ressources en ligne que vous pouvez aller consulter, notamment sur ces balises. Comme elles le redisent régulièrement: neuf femmes sur dix victimes de violences conjugales sont également victimes de cyberviolence. Le sujet ne peut plus être évité si on veut lutter efficacement contre les violences.

Et pour rappel, «la géolocalisation à l'insu d'une personne est illégale. Ce nouveau délit instauré par la loi du 30 juillet 2020 vise à protéger les victimes de violences conjugales. Puni d'un an de prison et de 45.000 euros d'amende, ces peines sont renforcées si les faits sont commis par le partenaire (deux ans de prison et 60.000 euros d'amende).»

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

 
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