Sciences / Société

Cet été, ne soyez pas l'automobiliste qui crée les bouchons

Quelques conseils pour rendre la route des vacances plus agréable.

Augmenter les distances de sécurité permet d'éviter les freinages intempestifs provoquant des ralentissements conséquents. | CHUTTERSNAP <a href="https://unsplash.com/photos/CATZGyxjzHk">via Unsplash</a>
Augmenter les distances de sécurité permet d'éviter les freinages intempestifs provoquant des ralentissements conséquents. | CHUTTERSNAP via Unsplash

Temps de lecture: 5 minutes

Parmi les nombreux souvenirs d'été, il y a, selon les envies et les années, la mer, la montagne... mais aussi les embouteillages. Pourquoi est-il impossible d'avancer, sinon par intermittence, alors qu'aucun péage n'apparaît à l'horizon, ni même un accident?

Les embouteillages ont de nombreuses conséquences économiques, sociales, logistiques, sanitaires et écologiques. En août 2010, un embouteillage à Pékin d'une centaine de kilomètres dura douze jours, provoqué par les camions apportant le matériel pour les travaux de l'autoroute G110. Une étude d'un institut de recherche et d'une société d'infotrafic américaine a montré en 2013 que les embouteillages coûtent 5,9 milliards d'euros à l'économie française chaque année. De plus, un embouteillage est une source importante de pollution de l'air.

Comprendre le phénomène par un exemple

Dans le cas d'un trafic routier dense, quand un automobiliste change de file, le véhicule qui le suit doit freiner et cette vague (ou onde) de freinage se propage petit à petit et de façon graduelle. Si le premier véhicule a réduit sa vitesse de 10%, le dixième véhicule aura diminué la sienne d'au moins 20% pour des raisons de sécurité (maintien de la distance de freinage), mais également par réflexe de préservation. Si bien qu'au bout de plusieurs kilomètres, un bouchon se créera inéluctablement. Ce phénomène est appelé «effet papillon» ou «effet chenille»: une petite cause provoque une réaction beaucoup plus importante en bout de chaîne.

Si les premiers véhicules à avoir ralenti ne sont que faiblement impactés par le bouchon en création et retrouvent rapidement leur vitesse de croisière, il faudra un certain laps de temps pour ceux qui se situent en aval avant de parvenir à se sortir de cette situation. C'est la définition même de l'embouteillage en accordéon.

 

Animation de la formation d'un embouteillage par effet chenille.

Ce changement de file évoqué n'est qu'un exemple parmi d'autres qui peuvent expliquer la création d'un embouteillage sans raison apparente. Les modes de conduite différents d'un individu à l'autre, les voies d'insertion de véhicules, ou encore tout simplement l'effet de curiosité peuvent entraîner des perturbations de la circulation.

Comprendre le phénomène par une analogie

Pour étudier les bouchons automobiles, on utilise en fait des modèles de mécanique des fluides ou de physique des milieux granulaires, car la polyvalence des modèles physiques est telle qu'une même équation peut servir à modéliser des phénomènes a priori différents. Le flux des voitures peut être imaginé comme un liquide s'écoulant dans un tuyau ou des billes roulant dans un conduit. Si l'une des billes subit un ralentissement en un point du conduit, celui-ci affecte toutes les billes en aval; la perturbation se propage vers l'arrière, exactement comme une onde. C'est ce qui se passe dans les bouchons de voitures.

Comment ce ralentissement se forme, se propage et s'amplifie-t-il? Il faut se tourner du côté des modèles mathématiques issus de la mécanique pour y répondre. Ici, on utilise des paramètres stables pour modéliser le système, par exemple la vitesse autorisée, la vitesse à laquelle se propage un bouchon, le nombre maximal de voitures que la voie peut accueillir.

Pour reproduire le phénomène de formation des bouchons de façon satisfaisante, les facteurs clés sont la fluidité initiale du trafic, la tendance des conducteurs à surréagir et la tendance des conducteurs à réagir en retard.

De façon contre-intuitive, la vitesse des véhicules et la densité du trafic n'ont pratiquement aucune incidence, sauf dans les cas limites. Le système peut rapidement dégénérer: une très faible perturbation a des répercussions sur l'ensemble. Cette perturbation peut être un conducteur nerveux, un virage trop serré, une anomalie sur la route, etc. Un seul conducteur peut créer un bouchon (ou le résorber, mais cela n'arrive jamais, car un conducteur qui sort d'un bouchon a tendance à trop accélérer).

Conclusion: il faut absolument éviter, dans la mesure du possible, de réagir trop vivement ou pire, de s'arrêter complètement. Mieux vaut rouler à 1 km/h plutôt que d'immobiliser le véhicule. En faisant cela, on diminue l'amplitude de l'onde et on augmente sa longueur d'onde, première étape de son atténuation. Autre préconisation: équiper les voitures de régulateurs spécialement adaptés aux conditions de circulation lente.

 

Solutions et paradoxes

Lors des grands départs en vacances, les embouteillages sont inévitables. Les autoroutes ne sont capables d'absorber qu'un certain nombre de véhicules à l'heure. Au-delà d'un certain débit, la fluidité du trafic diminue jusqu'à l'arrêt complet.

Peut-on prévoir les embouteillages? Hélas... Non! La visualisation des ondes en temps réel et à grande échelle est quasi impossible. De plus, si le mouvement des fluides, régis par des lois physiques est assez stable, les comportements humains, eux, restent imprévisibles.

Alors, pour réguler le trafic, on peut agir sur certains paramètres. Par exemple, jouer sur la vitesse maximale autorisée, même de façon ponctuelle. Sur un axe à plusieurs points d'accès, on peut installer des feux pour faire varier la densité des nouveaux arrivants. De plus, le bon sens pourrait inciter à ajouter des routes. Mais ce n'est pas si simple: à Stuttgart à la fin des années 1960, de gros travaux d'extension du réseau routier avaient créé des embouteillages monstres, aboutissant à la fermeture de la section toute neuve.

La science a même prouvé qu'une voie express pouvait réduire la vitesse moyenne du trafic. C'est le paradoxe de Braess développé par le mathématicien éponyme. En substance: si la ville décide de construire une nouvelle route (appelons-la A) nettement plus rapide que les voies existantes (nommées B et C), tous les automobilistes vont opter pour la solution A. Un bouchon se forme et finalement, les conducteurs mettent plus de temps en empruntant A qu'en se répartissant sur les voies B et C. Sa théorie s'est depuis confirmée. En 1990, la municipalité de New York ferme la 42e rue: la circulation dans Manhattan devient plus fluide. À Séoul, la destruction d'une voie express a permis d'améliorer la circulation globale.

En fait, les automobilistes ont un comportement égoïste et sont en permanence soumis à un conflit intérêt individuel/intérêt collectif. Alors, rappelons les préconisations scientifiques pour éviter les bouchons:

 

  • augmenter les distances de sécurité permettant d'éviter les freinages intempestifs provoquant des ralentissements conséquents en cas de fort trafic;

  • diminuer la vitesse globale tout en gardant une vitesse relativement constante;

  • ne pas changer de file sans arrêt, être attentif, savoir se détendre pour conserver une conduite normale.

Biomimétisme et embouteillages

Nous l'avons vu, les embouteillages sont liés à une trop forte concentration d'individus qui circulent dans un même espace. Pourtant, les déplacements de grandes colonies de fourmis ne rencontrent pas ce problème.

En effet, chez les fourmis, quand la densité augmente, le flux croît puis devient constant, contrairement aux êtres humains qui, au-delà d'un certain seuil de densité, ralentissent jusqu'à avoir un flux nul et provoquer un embouteillage. En cas de trop forte densité, les fourmis ne s'engagent plus sur la route, elles attendent. Le choix est conditionné par l'adaptation continue à ces règles tacites de déplacement. Le trafic automobile, lui, suit des règles imposées, comme celle de s'arrêter au feu rouge, indépendamment du trafic.

Les systèmes de transport intelligents peuvent être influencés par l'adaptabilité permanente des fourmis. La conduite autonome relèverait le défi de la fluidité sur les routes, pourrait rendre la circulation plus homogène, diminuer les erreurs d'appréciation humaines et permettre d'optimiser les temps de parcours en fonction du trafic.

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

The Conversation
cover
-
/
cover

Liste de lecture