Santé

On a demandé aux personnels paramédicaux ce qu'ils pensaient de la vaccination

Jean Castex envisage l'instauration de l'obligation vaccinale pour ces soignants, qui sont jugés réfractaires au traitement. Mais le sont-ils vraiment? Jusqu'ici, on ne leur avait pas vraiment posé la question. C'est dorénavant chose faite.

<em>«lI me paraîtrait hypocrite de vouloir soigner tout en reniant les fondements scientifiques qui amèneraient à mettre en danger mes patients», </em>témoigne Claire, kinésithérapeute. | Bertrand Guay / AFP
«lI me paraîtrait hypocrite de vouloir soigner tout en reniant les fondements scientifiques qui amèneraient à mettre en danger mes patients», témoigne Claire, kinésithérapeute. | Bertrand Guay / AFP

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Tribune après tribune, interview après interview, les prises de parole sur la vaccination des personnels soignants contre le Covid-19 tendent à être monopolisées par les médecins, ce qui a pour effet d'invisibiliser les professions paramédicales (infirmiers, kinésithérapeutes, aides-soignants, orthophonistes, diététiciens, etc.)

Alors que les paramédicaux hospitaliers de l'AP-HP ne sont complètement vaccinés qu'à 51% (contre 70% du personnel médical), cette catégorie de soignants, qu'ils soient salariés ou libéraux, est constamment pointée du doigt par les médecins avec souvent un certain paternalisme voire une sorte de mépris. Pour autant, les paramédicaux vaccinés contre le Covid, favorables à la vaccination, voire à l'obligation vaccinale chez les soignants, sont légion. Subissant souvent l'image erronée de n'être que les simples exécutants des décisions des médecins, ils pâtissent aujourd'hui d'un stigmate supplémentaire lié au refus vaccinal de leur confrères et consœurs. Quels sont leurs motivations et quel regard portent-ils sur leurs collègues réfractaires?

Un acte civique

Le 5 mars 2021, le ministère de la Santé enjoint les professionnels de santé à recevoir leur injection. Dans la lettre qu'il leur adresse, Olivier Véran souligne que la vaccination leur est ouverte depuis le mois précédent mais que «près de 40% des personnels des EHPAD et 30% des personnels des établissements de santé sont vaccinés. C'est un chiffre encourageant mais qui ne progresse que trop peu. [...] Si vous n'êtes pas encore vaccinés, faites-le rapidement. Il en va de notre responsabilité collective. »

Si ce rappel à l'ordre passe mal, nombre des professionnels concernés estiment que la vaccination est indispensable à la protection de leurs proches et de leurs patients. Pierre-Henri, infirmier dans un CHU, explique les raisons qui l'ont conduit à passer à l'acte. «Ça a été une évidence.» Comme beaucoup, il a reçu la crise sanitaire de plein fouet et connaît les ravages de la maladie. «L'objectif est bien sûr de me protéger mais aussi de protéger les autres et notamment mes proches, mes parents ainsi que la grand-mère de ma femme», explique t-il. Guida, orthophoniste, n'y a pas non plus réfléchi à deux fois: «J'attendais avec impatience de pouvoir le faire, que ce soit pour me protéger ou pour protéger mes patients, dont certains sont sous chimiothérapie et donc immunodéprimés. Le vaccin est la seule manière de lutter efficacement contre la diffusion du virus.»

Naïs, kinésithérapeute, explique comme nombre de ses collègues: «Non seulement certains de mes patients ne sont jamais revenus, mais de nouveaux sont arrivés avec des séquelles de leur hospitalisation en réanimation ou un Covid long. C'est un vrai facteur incitatif.» «C'est un acte civique, ajoute Pierre-Henri. Toute la société doit œuvrer afin d'éviter une nouvelle vague et l'engorgement des hôpitaux qui s'ensuit.»

Claire, kinésithérapeute, estime que la vaccination est «une obligation morale [pour les soignants]. Il me paraîtrait hypocrite de vouloir soigner tout en reniant les fondements scientifiques qui amèneraient à mettre en danger mes patients. Ce serait prendre le risque d'être responsable de l'hospitalisation voire du décès de l'un d'eux. Cette idée m'est insupportable.» Elle relève, a posteriori, un effet très désirable du vaccin: «Après ma première dose et la nuit un peu délirante qui l'a suivie, le retour au réel s'est fait avec une prise de conscience forte: maintenant je suis sûre que je ne vais pas mourir. L'épée de Damoclès a disparu. Quel soulagement! Je me suis sentie légère et très heureuse.»

Une prophylaxie qui a fait ses preuves

Ceux qui interrogent l'efficacité et l'innocuité des vaccins anti-Covid sont peu nombreux, même si Claire concède: «En février, j'avais un peu peur d'éventuels effets indésirables, mais je savais que de toute façon j'allais me faire vacciner parce que c'est la seule solution.»

Clément, infirmier en psychiatrie, explique avoir été rassuré par les médecins qu'il suit sur Twitter: «J'ai acquis une grande confiance en eux depuis le début de la pandémie. Ils avaient non seulement une démarche scientifique mais ils n'hésitaient pas à se montrer critiques envers le gouvernement.»

«La prophylaxie contre la rougeole, la rubéole, la fièvre jaune ou l'hépatite sont des preuves à l'appui de l'efficacité vaccinale.»
Naïs, kinésithérapeute

Il en va de même à propos des vacccins, estime l'infirmier. «Je suis convaincu de leur bien-fondé au vu des données scientifiques partagées, même si elles doivent être questionnées régulièrement et expliquées avec pédagogie. C'est ce qu'ont fait ces médecins et leur transparence m'a largement encouragé.»

Naïs ajoute: «Lors des études de santé, nous étudions toutes les étapes du processus de recherche qui mène à la création des médicaments afin d'obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les critères sont très précis et rigoureusement appliqués et contrôlés. J'ai donc confiance dans les vaccins. Le principe d'action de l'ARNm me fait espérer que l'on trouvera d'autres sérums ainsi que des traitements.» Elle ajoute: «La prophylaxie contre la rougeole, la rubéole, la fièvre jaune ou l'hépatite sont des preuves à l'appui de l'efficacité vaccinale.»

L'obligation vaccinale envisagée par le gouvernement

En juillet 2021, le nombre des personnels vaccinés ne suffit toujours pas à l'exécutif, qui pense à inscrire dans la loi l'obligation vaccinale pour les soignants, voire l'étendre aux 24-59 ans.

Les professionnels de santé ne trouvent rien à redire à cette éventuelle imposition les concernant et se prononcent même en sa faveur à la quasi-unanimité. «J'entends qu'en santé publique, il est parfois compliqué d'émettre des obligations ou des interdictions totales et qu'il faut composer avec beaucoup de variables et faire au moins pire, concède Clément. Mais la vaccination contre l'hépatite B est déjà obligatoire pour les futurs soignants dès lors qu'ils commencent leurs études. Alors au vu de la situation épidémique, je suis en faveur de la vaccination obligatoire pour les professionnels de santé.»

Pierre-Henri abonde: «Au même titre qu'il est obligatoire d'être vacciné contre l'hépatite B, nous nous devons de tout faire pour protéger nos patients. Nous le faisons en appliquant rigoureusement les gestes barrières, mais le vaccin est une arme supplémentaire qui apporte une protection réelle et sûre. Nous avons un devoir d'exemplarité. On n'accepte pas que les forces de l'ordre transgressent la loi, alors comment accepter que des soignants puissent ne pas tout faire pour protéger la santé des autres?» Aïda, kinésithérapeute, va dans le même sens: «La vaccination fait partie des obligations déontologiques et éthiques. Les soignants ne doivent pas nuire à la santé de leurs patients. Or les mesures barrières ne sont pas une garantie à 100% contre le risque.»

Pour autant, la profession se sent exclue de la concertation à ce sujet.

Julien, infirmier en pneumologie et parmi les premiers vaccinés, exprime pour sa part des réserves à cause de l'injonction des médecins: «Cela donne l'impression d'un retour du paternalisme médical, du genre “Nous, nous savons ce qui est bien pour vous et sinon, c'est la punition”. C'est stigmatisant. Cela nous fait passer du statut de “héros” à “assassins”.»

Il craint aussi la division: «Le principal problème de l'obligation vaccinale tient au risque de clivage qu'elle pourrait créer entre les personnels paramédicaux. Dans mon équipe, ce sont des infirmières très compétentes et absolument pas antivax qui sont aujourd'hui réticentes à la vaccination. Il faut aussi combattre l'idée que si le personnel soignant n'est pas vacciné, il met obligatoirement le patient en danger. Nous portons en permanence un masque, nous appliquons l'hygiène des mains de façon scrupuleuse. Nous sommes déjà en sous-effectif chronique: qui viendra les remplacer?»

Une incompréhension du refus vaccinal

Reste que, face au refus vaccinal de leur confrères et consœurs, beaucoup expriment leur incompréhension: «J'ai parfois du mal à le comprendre, car nous avons tous reçu un enseignement scientifique nous donnant les moyens de comprendre les mécanismes biologiques de la vaccination et les fondements d'esprit critique pour vérifier les informations, explique Claire. Toutefois, je l'explique par un sentiment naturel: la peur de l'inconnu. Voilà un an et demi que nous sommes face à un ennemi invisible dont nous ignorions tout. Aujourd'hui, nous en savons un peu plus, mais pas encore suffisamment. La peur s'exprime par la colère et peut faire perdre toute rationalité de raisonnement.»

D'autres déplorent un engouement pour les pratiques de soins non conventionnelles, qu'ils estiment être une porte ouverte à la défiance vaccinale: «La réticence s'explique par une augmentation de conceptions pseudoscientifiques», pense Guida. Naïs corrobore: «On trouve aisément des docteurs, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes qui prônent l'utilisation des “fake med” comme l'homéopathie, l'ostéopathie ou la naturopathie, qui sont pourtant inefficaces pour prévoir et traiter les pathologies. Depuis des décennies, certains de mes confrères se foutent des données de la littérature scientifique. Ça ne m'étonne pas qu'ils soient réticents au vaccin…»

«Certains soignants utilisent le vaccin pour lutter contre le gouvernement. Mais l'exécutif fera quand même des réformes contre nous.»
Guillaume, kinésithérapeute en libéral

De son côté, Clément considère qu'il n'y a que très peu de véritables antivax au sein de professionnels de santé paramédicaux, mais il constate: «Outre ces anti-vaccins purs et durs qui ne sont qu'une minorité bruyante, il y a beaucoup d'infirmières qui sont très versées dans des médecines douces ou des alternatives qui frôlent parfois le charlatanisme. Qui plus est, dans une optique de bien-être et non de thérapie. Ça les rend plus méfiantes envers les médicaments. Cela peut sembler paradoxal pour des gens qui en donnent tout les jours, mais c'est ce que j'ai pu remarquer.» Il note d'autres freins qui relèvent plus de la pratique et de l'organisation: «Je pense qu'il y a une grande part de soignants qui sont prêts à se faire vacciner, mais qui sont surchargés de boulot, qui repoussent sans cesse leurs vacances ou qui les passent à la maison, et qui connaissent la durée des effets secondaires des vaccins sur des organismes déjà fatigués. Que ce soit au boulot ou pendant les jours de repos, cette perspective n'est pas très plaisante, surtout dans des services où les arrêts de travail sont souvent peu ou pas remplacés.»

Sophie, directrice d'établissements médico-sociaux, déplore que malgré la mise en place de tous les moyens pouvant faciliter ou encourager la vaccination, seuls 65% des salariés soient aujourd'hui vaccinés. Si elle relève une certaine crainte des effets indésirables, elle constate aussi que le refus vaccinal peut être une forme d'action politique de la part des paramédicaux échaudés par le gestion de la crise sanitaire: «Certains souhaitent clairement affirmer une résistance à l'égard du gouvernement.» Elle rappelle l'épisode du vaccin AstraZeneca qui selon elle «a fait beaucoup de mal». Avant sa suspension et la modification de son AMM, le vaccin britannique avait été injecté à des soignants de moins de 55 ans qui avaient été longuement laissés dans le flou concernant leur seconde dose. Guillaume, kinésithérapeute en libéral, abonde en ce sens: «ll y a aussi des soignants qui sont contre le gouvernement et qui utilisent le vaccin comme moyen de lutte. Je pense que c'est une mauvaise vision car cela n'empêche pas le gouvernement de faire des réformes contre les soignants.»

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