Politique

Jusqu'où iront Les Républicains pour barrer la route de l'Élysée à Xavier Bertrand?

Favori de la droite dans les sondages, le président des Hauts-de-France, qui refuse de passer par la primaire LR, va devenir la cible de son ancien parti... aux risques et périls de celui-ci.

Le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand pose lors d'une séance photo, le 1er juillet 2021 à Paris. | Joël Saget / AFP
Le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand pose lors d'une séance photo, le 1er juillet 2021 à Paris. | Joël Saget / AFP

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C'est un secret de polichinelle: les membres de l'appareil du parti Les Républicains (LR) n'apprécient pas trop leur ex-compagnon Xavier Bertrand. Réélu sans surprise à la tête des Hauts-de-France (110 voix sur 170) après sa brillante victoire sur l'extrême droite, au premier et au second tour, lors des récentes élections régionales, Bertrand a réaffirmé sa décision d'être candidat à l'élection présidentielle en avril 2022, sans s'astreindre à passer par la pré-sélection que veut organiser LR pour désigner celui ou celle qui se lancera sous sa bannière dans la compétition élyséenne.

Vainqueur des régionales, sans fusion préalable avec quiconque –contrairement à Renaud Muselier, patron sortant (LR) de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) qui s'est allié au parti présidentiel La République en marche (LREM)– ni fusion a posteriori, il compte reproduire le même schéma en se passant de la primaire que veut organiser LR pour choisir le champion ou la championne de la droite. Plusieurs personnalités sont potentiellement sur les rangs (Laurent Wauquiez et Valérie Pécresse qui n'est plus membre de LR) ou déjà déclarées comme Philippe Juvin, chef du service des urgences de l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris, et maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine).

À dire le vrai, Bertrand, chantre d'une droite dite sociale, ne se sent pas vraiment concerné par les procédures politico-administratives d'un parti dont il n'est plus membre depuis décembre 2017. «Je ne reconnais plus ma famille politique alors j'ai décidé de la quitter», avait-il déclaré sur le plateau du JT de France 2 au lendemain de l'élection de Laurent Wauquiez, héraut d'alors d'une droite dite décomplexée, à la présidence de la principale formation de la droite. Les deux hommes symbolisent deux lignes politiques différentes au sein de l'opposition parlementaire.

L'appareil revendique des victoires qui ne sont pas les siennes

Celle-ci se cherche depuis l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République en mai 2017. Éliminée au premier tour (François Fillon était arrivé en troisième position), la droite partidaire, déstabilisée, est dépourvue d'une ligne claire et d'un représentant ou d'une représentante pouvant l'incarner de façon crédible. Grignotée à ses deux bouts par le lepénisme d'un côté et par le macronisme de l'autre, le parti LR est en proie à des soubresauts récurrents. Cette instabilité s'est concrétisée moins d'un et demi après la désignation de Wauquiez par un échec retentissant aux élections européennes de 2019.

Une semaine après le scrutin, cette défaite avait entraîné la démission de Wauquiez de la présidence du parti, accusé en termes aimables d'avoir une ligne trop «droitière» et une gouvernance trop «solitaire». «Il faut que la droite se reconstruise [...] je ne veux pas être un obstacle, à aucun prix», indiquait alors le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Manifestation déformée de ce redressement en raison d'un taux d'abstention record, le bilan des régionales est arrivé comme une divine surprise: cette consultation a permis à la droite (comme à la gauche) de conserver toutes les régions qu'elle détenait depuis 2015. Et à Wauquiez, réélu haut la main dans sa région, de revenir in extremis dans le jeu interne à LR.

Laurent Wauquiez célèbre sa victoire au second tour des élections régionales, à Lyon, le 27 juin 2021. | Jeff Pachoud / AFP

Aux régionales, l'appareil LR a revendiqué des victoires qui ne lui appartiennent pas formellement. S'il a accepté que la droite soit représentée par des têtes de liste qui ne sont pas membres de ce parti (Bertrand et Pécresse), c'est qu'il ne pouvait pas faire autrement. Dans les Hauts-de-France et en Île-de-France où ces deux personnalités sont incontournables pour la droite, il n'y avait personne à leur opposer qui aurait eu la moindre chance de figurer honorablement.

De plus, l'une et l'autre voulaient faire la démonstration qu'elles pouvaient choisir elles-mêmes les candidats LR ou non figurant sur leur liste, en s'évitant, de surcroît, de passer sous les fourches caudines de LREM qui, de son côté, souhaitait réussir à se rendre indispensable auprès d'elles. Bertrand et Pécresse ont gagné leur pari, le parti présidentiel a perdu le sien.

Le choix entre une primaire ouverte et une primaire fermée

Mais ce qui était impossible à contrecarrer aux régionales ne doit pas se reproduire à la présidentielle, pour les caciques du parti de la droite. Selon eux, point de salut en dehors de LR! Les candidats et les candidates de la droite à la mère des batailles électorales devront impérativement passer par la case primaire pour être labellisés «vraie droite». Comprenez droite pur jus, non susceptible d'être «Macron-compatible» en cas de coup dur électoral.

Dans ce scénario, Bertrand est d'ores et déjà hors piste. Pour Pécresse, c'est un peu moins clair: d'une part, elle ne s'est pas (encore) déclarée candidate, et d'autre part, elle n'a pas dit qu'elle ne participerait pas, dans cette hypothèse, à la primaire. Elle n'a pas dit le contraire non plus. Ce qui fait que tout le monde avance dans le brouillard à dix mois, maintenant, de l'élection présidentielle.

Et pour couronner le tout, les têtes pensantes de LR ne sont pas d'accord entre elles sur le périmètre de ladite primaire. Les plus arrangeantes, si l'on peut dire, dont le «Monsieur Primaire» du parti, Jean Leonetti, maire d'Antibes (Alpes-Maritimes) et ancien président par intérim du parti (de juin à octobre 2019), sont partisanes d'un départage ouvert, c'est-à-dire allant au-delà de la consultation des seuls membres encartés. «Si nous décidions d'interroger nos seuls militants LR, comment pourrions-nous demander à Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou nos amis centristes d'y participer?», interrogeait-il dans un entretien publié par le JDD, ce début juillet.

De plus, Leonetti ne souhaite pas accélérer le processus de désignation: «Demander à des candidats de se déclarer maintenant et d'aller chercher des parrainages pendant l'été ne serait pas sérieux», dit-il dans la même interview. Le président du parti, Christian Jacob, est sur la même longueur d'onde concernant ce dernier point. Sur le premier, c'est une autre histoire...

Les sobriquets qui frisent le dénigrement de classe

C'est justement sur ces deux points que ça coince chez LR. Une majorité écrasante des sénateurs du groupe présidé par Bruno Retailleau (lui-même candidat potentiel à la primaire et pas franchement proche politiquement de Xavier Bertrand) souhaite justement une accélération de ce calendrier de désignation. Elle l'a fait savoir dans un texte adressé à la direction du parti, en mode pression. «L'élan de juin ne doit pas s'enliser pendant l'été. Dans ces conditions, nous considérons que le processus de choix de notre candidat doit être avancé, permettant de valider définitivement le processus de désignation», écrivent ces sénateurs qui sont probablement une majorité de messieurs. On notera, en effet, que dans leur grande attirance pour la parité, ils évoquent uniquement «notre candidat» sans envisager l'hypothèse d'une candidate.

Par ailleurs, une partie non négligeable des membres de ce groupe du Sénat n'est pas favorable à une primaire ouverte, préférant qu'elle s'adresse en priorité –voire strictement– aux membres de la famille, détenteurs d'un morceau de la croix de Lorraine et accessoirement à jour de cotisation. Une position un peu paradoxale pour des parlementaires élus au second degré, essentiellement par des maires et des membres de conseils municipaux de communes rurales ou semi-urbaines qui, justement, ne sont pas encartés pour l'écrasante majorité d'entre eux. Mais à LR, on n'en est plus à un paradoxe près.

La meilleure illustration de cette appétence pour une «primaire familiale», disons fermée, en opposition à ouverte, est l'enquête réalisée sur Twitter par le sénateur LR de Paris, Pierre Charon, fidèle parmi les fidèles de Nicolas Sarkozy. Le 1er juin, il avait posé une question à la cantonade sur le réseau social (elle est présentée comme un sondage, ce qu'elle n'est pas car ne répondant à aucun des critères de ce type d'enquête) demandant «Qui souhaiteriez-vous pour l'Élysée en 2022?».

Le principe d'une telle démarche est de faire monter les militants au créneau et en masse afin de mettre en évidence ce qui est présenté comme le sentiment de la base. De fait, l'opération était plutôt pas mal réussie puisqu'elle avait rassemblé plus de 11.000 réponses, ce qui est un excellent score pour ce genre d'exercice dont on est en droit de se demander s'il ne s'apparente pas plus à une intoxication orientée qu'à une enquête donnant tous les gages de la sincérité.

Comme par le plus grand des hasards, le résultat est l'exact opposé des sondages sur les intentions de vote réalisés par les instituts ayant pignon sur rue: Retailleau rafle la mise avec plus de 60% des votes et Bertrand arrive bon dernier avec à peine plus de 8%. Le message ainsi envoyé à la direction du parti est assez clair.

Moqué par ses compagnons néo-gaullistes quand il était encore membre du parti (UMP puis LR) et affublé de sobriquets qui frisent le dénigrement de classe (il était surnommé Séraphin Lampion, nom d'un personnage de Tintin, assureur de son état, métier qui fut exercé par Bertrand), l'ancien ministre de Sarkozy n'est pas aimé dans certaines sphères de la droite, notamment chez les sarkozystes. Il est probable que ceux-ci trouveront sans difficulté quelques alliés de poids à l'intérieur du mouvement pour lui barrer la route présidentielle. Ou à tout le moins, pour entraver son parcours. La question est de savoir jusqu'où ils iront pour parvenir à leur fin... au risque d'empêcher la droite d'être présente au second tour de la présidentielle et de porter un coup fatal à leur propre parti.

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