Société

«J'aime mon compagnon et cette femme en même temps»

[C'est compliqué] Cette semaine, Lucile conseille Isabelle, mère et en couple hétérosexuel qui est tombée amoureuse d'une femme qu'elle n'arrive pas à oublier.

<em>«J'ai vécu un chagrin d'amour quand j'ai coupé la première fois le contact avec elle.»</em> | Tim Foster <a href="https://unsplash.com/photos/RffDOBV_sdQ">via Unsplash</a>
«J'ai vécu un chagrin d'amour quand j'ai coupé la première fois le contact avec elle.» | Tim Foster via Unsplash

Temps de lecture: 4 minutes

«C'est compliqué» est une sorte de courrier du cœur moderne dans lequel vous racontez vos histoires –dans toute leur complexité– et où une chroniqueuse vous répond. Cette chroniqueuse, c'est Lucile Bellan. Elle est journaliste: ni psy, ni médecin, ni gourou. Elle avait simplement envie de parler de vos problèmes. Si vous voulez lui envoyer vos histoires, vous pouvez écrire à cette adresse: [email protected].

Vous pouvez aussi laisser votre message sur notre boîte vocale en appelant au 07 61 76 74 01 ou par Whatsapp au même numéro. Lucile vous répondra prochainement dans «C'est compliqué, le podcast», dont vous pouvez retrouver les épisodes ici.

Et pour retrouver les chroniques précédentes, c'est par là.

Je suis une femme de 39 ans, en couple depuis dix ans avec un homme et nous avons une fille de 5 ans.

Il y a sept ans, j'ai rencontré une femme plus âgée sur mon lieu de travail. Pendant un an, notre relation était purement professionnelle. Puis, petit à petit, je me suis rendu compte que j'adorais nos rendez-vous, que je m'habillais spécialement pour la voir. J'ai dû me rendre à l'évidence très difficilement (parce que j'ai toujours été avec des hommes) que j'étais amoureuse d'elle. Je n'ai évidemment rien dit, même si je semblais déceler chez elle la même proximité. À l'époque, j'avais quelques problèmes de couple. Je me suis dit que j'inventais des signes pour m'évader. Je me suis dit que cela me passerait, que l'herbe était toujours plus verte ailleurs... J'ai espacé nos rendez-vous mais je pensais toujours à elle. Lorsque nous nous voyions, nous avions la même proximité. J'ai tenté alors de rompre notre relation professionnelle en la recommandant à quelqu'un d'autre. Puis, je lui ai proposé qu'on commence à se voir en dehors du travail. Elle a accepté et nous sommes allées boire un verre. Cela s'est très bien passé et je me suis imaginé que d'autres rendez-vous suivraient. Mais elle avait toujours des excuses et on ne se voyait plus. Les motifs étaient valables mais j'ai été blessée par ses refus. Du coup, je me suis énervée et j'ai rompu la relation.

Quelques semaines plus tard, je l'ai recontactée. Nous avons repris cette relation amicale mais ambiguë. Rien n'est dit des deux côtés. Du sien, elle est en couple et a deux enfants.

Au début, je voulais une relation platonique mais pouvoir se voir régulièrement et se parler vraiment. Même si nous sommes en lien par téléphone, réseaux sociaux, nous communiquons rarement et les propos restent très superficiels. Personne ne pourrait se douter, en tout cas, de mes sentiments en lisant mes messages. Quand j'essaie de relire ses messages, ses propos sont ambigus mais peuvent être interprétés de façon très différente.

J'ai essayé une fois d'être claire, enfin, à ma façon, en envoyant un SMS avec juste «je pense très fort à toi». Mais elle n'a rien répondu.

Aujourd'hui, j'ai fait le point: j'aime mon compagnon et cette femme en même temps mais c'est différent. Je ne me vois pas quitter mon compagnon et ma fille pour elle. J'aurais aimé avoir une liaison avec elle mais l'occasion ne s'est pas présentée et je pense, ne se présentera pas.

J'ai fait mon deuil de cette relation amoureuse. J'ai vécu un chagrin d'amour quand j'ai coupé la première fois le contact. Aujourd'hui, on se voit de façon aléatoire. J'essaie vraiment de la voir comme une amie et de voir le verre à moitié plein. Je ne me vexe plus si elle annule nos rendez-vous, quel que soit le motif. Je profite de l'instant passé avec elle. La plupart du temps, c'est moi qui la sollicite, qui prends de ses nouvelles. Quand je suis physiquement en son contact, je suis incapable de dire ou de faire quoi que ce soit pour exprimer mes sentiments envers elle. J'ai essayé de bloquer son numéro, d'arrêter de lui envoyer des messages mais un simple «coucou», même après des semaines de silence, ravive tel un phoenix l'étincelle qui vit en moi. Nos discussions sont superficielles, parfois encore professionnelles. J'ai l'impression qu'elle m'envoie encore des signes. Je rêve d'elle la nuit et penser à elle m'apaise. Je voudrais l'oublier mais je ne sais pas comment faire.

Isabelle

Chère Isabelle,

Ce n'est pas parce qu'on prend conscience de l'impossibilité de la relation, quelle qu'elle soit, que les sentiments s'apaisent miraculeusement. La prise de conscience est une chose; les espoirs, les réflexes, les fantasmes en sont une autre. Vous aimez encore cette femme, même si ce n'est pas totalement réciproque, et vous avez besoin de faire votre deuil de cette histoire. Vous avez besoin de cesser de l'aimer. Et j'imagine que vous vous doutez que sur ce point, seul le temps guérit les choses. Il n'est pas question de raison ici. Vous n'avez pas à vous en vouloir. Vous devez, au contraire, faire preuve d'une grande bienveillance envers vous-même parce que vous souffrez encore et que rien, à part le temps, ne peut soulager votre souffrance.

C'est ça qui est capital et qui définira ce que vous ferez de cette histoire. Si vous n'acceptez pas cette phase douloureuse mais nécessaire, vous risquez de ne garder dans vos souvenirs que les fantômes de la souffrance, de l'injustice et de l'incompréhension. Si vous envisagez cette période à venir comme une étape nécessaire à la clôture de cet épisode, vous serez plus à même de prendre du recul sur cette expérience. Qu'est-ce que cela vous a appris sur vous? Est-ce que vous n'avez pas eu la chance de vivre deux amours simultanés? Malgré la conclusion avec laquelle vous devez apprendre à vivre désormais, il y a dans tout ça une infinité de moments heureux, de sentiments positifs et puissants, d'évolutions de votre côté. Cette approche peut vous accompagner dans les moments difficiles. Vous pouvez être heureuse d'avoir aimé, heureuse d'avoir vécu quelque chose d'aussi beau. Ce qui ne s'est pas passé, ce qui n'a pas eu lieu et n'a pas été vécu ne mérite pas qu'on s'y attarde. Ce qui compte, ce qui est palpable, c'est ce qui reste vraiment.

Ne laissez pas toute la place aux regrets. Il y a tant à garder et à se réjouir. Et ces sentiments que vous avez ressentis, cet apaisement que vous ressentez encore quand vous pensez à elle, ce sont des sentiments qu'on ne peut pas vous retirer. Que ni elle ni personne ne peuvent vous enlever. C'est sur ce qui vous appartient et vous appartiendra toujours que vous devez concentrer votre attention. C'est votre liberté et c'est votre salut. Soyez fière d'avoir été amoureuse et a fortiori d'avoir eu une amoureuse hors du cadre que vous pensiez être le vôtre. Vous êtes plus surprenante que vous ne le pensiez. Et la vie n'est pas finie. Que vous réserve-t-elle encore? Embrassez la souffrance que vous ressentez aujourd'hui et qui est à la hauteur des sentiments ressentis, n'oubliez pas le beau et laissez-le accompagner votre peine et vous enrichir pour la suite. Ce que vous avez vécu valait la peine de l'être. J'espère que vous le réaliserez vite.

 

«C'est compliqué», c'est aussi un podcast. Retrouvez tous les épisodes:

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