Parents & enfants / Santé

Vaccination des ados contre le Covid: que faire si les parents sont antivax?

Les jeunes de 12 à 17 ans souhaitant se faire vacciner doivent obtenir l'autorisation de leurs deux parents. Si le droit de la santé justifie ce choix, des problèmes pourraient se poser dans certaines situations.

Un Américain de 13 ans reçoit une dose de vaccin, le 13 mai dernier à Hartford. En France, les 12-17 ans peuvent l'imiter depuis le 15 juin, sous conditions. | Joseph Prezioso / AFP
Un Américain de 13 ans reçoit une dose de vaccin, le 13 mai dernier à Hartford. En France, les 12-17 ans peuvent l'imiter depuis le 15 juin, sous conditions. | Joseph Prezioso / AFP

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Depuis le 15 juin, la vaccination est ouverte aux jeunes âgés de 12 à 17 ans, avec une subtilité. Pour pouvoir se faire vacciner, ils doivent bien sûr être consentants, mais ils ont aussi besoin de l'autorisation de leurs deux parents (ou titulaires de l'autorité parentale), et de la présence d'un des parents (ou responsable légal) lors de la vaccination. Il existe une seule dérogation: si le jeune est atteint d'une pathologie à très haut risque de forme grave, l'autorisation d'un seul des deux parents suffit.

Si cette mesure s'appuie sur le Code de la santé publique, ainsi que sur la prudence sceptique du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé et sur une volonté évidente du gouvernement de se protéger, elle peut poser problème dans certaines situations.

C'est le cas pour Nathan, 17 ans. Nous avons discuté avec lui après qu'il a tweeté «17 ans, l'envie d'être vacciné! Malheureusement, je ne peux pas me faire vacciner (parents contre…)». Il nous explique: «Mes parents ne veulent pas que je me fasse vacciner, bien que je leur présente régulièrement des chiffres, études et témoignages. Eux-mêmes ne sont pas vaccinés. Ils appliquent leurs pensées sur moi. Ils considèrent que si le vaccin est inutile pour eux, il l'est encore plus pour moi. Mon père, c'est le pire et il sera long à convaincre: il a des penchants complotistes… Ma mère est juste complètement perdue entre les différents arguments qu'elle peut lire.»

Quand on lui demande ce qu'il compte faire, Nathan est pragmatique: «Je pense faire un peu de forcing. J'ai un festival mi-juillet, je vais faire passer l'argument du vaccin.» Il l'est tout autant quand on l'interroge sur son avis concernant cette obligation de double autorisation: «D'un côté, je trouve que c'est assez stupide, simplement car même avant 18 ans (16-17 ans), on est capable de savoir ce que l'on veut, et je ne vois pas de raison de nous l'interdire. C'est notre corps, et puis... ce n'est qu'un vaccin! Mais, d'un autre côté, je trouve que c'est normal, en soi, que l'âge de la majorité soit respecté.»

On voit aussi les difficultés que cela peut poser lorsque les parents ne sont pas d'accord, qu'ils sont divorcés et toujours prêts à s'entredéchirer en se servant de leur enfant… «J'imiterai la signature de mon ex», nous dit sans hésitation Virginie, divorcée et mère d'un adolescent de 14 ans dont elle a la garde.

Acte usuel et non-usuel

Revenons à Nathan. Comment se fait-il que lui (comme tous les jeunes de 12 à 17 ans) ne puisse pas se faire vacciner sans l'autorisation de ses deux parents ou tuteurs légaux, alors qu'il semble parfaitement en mesure de fournir son consentement libre et éclairé, comme le demande l'article R.4127-42 du Code de la santé publique (article 42 du Code de déontologie médicale)?

Pour le comprendre, il faut en venir au droit de la santé. Nous avons demandé à maître Benjamin Pitcho, avocat à la cour (Paris), maître de conférences en droit privé et spécialiste des problématiques de droit de la santé de nous éclairer. Il explique: «Ce n'est pas tout d'ouvrir la vaccination aux jeunes, encore faut-il voir comment cela se passe sur le plan juridique. Dès lors que le Comité consultatif national d'éthique a considéré que le bénéfice individuel tiré de la vaccination est “limité pour la santé physique” des jeunes, elle est considérée comme un acte “non-usuel”, ce qui signifie que l'autorisation des deux parents est requise.»

Cette distinction entre acte usuel et non-usuel est à détailler. Le Conseil national de l'Ordre des médecins précise ainsi cette «notion cadre»: «En l'absence de liste exhaustive, on s'accorde à considérer que “l'acte usuel” est un acte de la vie quotidienne, un acte sans gravité.» Il considère qu'entrent dans la catégorie des actes usuels «les soins obligatoires (vaccinations obligatoires), les soins courants (blessures superficielles, infections bénignes…), les soins habituels chez l'enfant (traitement des maladies infantiles ordinaires) ou chez tel enfant en particulier».

«À ne pas vouloir braquer les antivax et les hésitants, le gouvernement en est venu à un compromis compliqué.»
Franck Clarot, médecin et membre du collectif Du Côté de la Science

Les actes non-usuels, eux, sont par exemple «la décision de soumettre l'enfant à un traitement nécessitant une hospitalisation prolongée, le recours à un traitement lourd (y compris dans un domaine psychothérapeutique) ou comportant des effets secondaires importants, les interventions sous anesthésie générale, la résolution d'arrêter les soins ou de les réduire à un traitement de confort.»

Il est à noter qu'en vertu de l'article L.2212-7 du Code de la santé publique, une IVG ainsi que tous les actes afférents peuvent être pratiqués sur une mineure sans le consentement des représentants légaux. De plus, en vertu des articles L5134-1 à L5134-3, le consentement des titulaires de l'autorité parentale n'est pas requis pour la prescription, la délivrance ou l'administration de contraceptif aux personnes mineures. Il s'agit ici d'exceptions qui reposent sur la primauté de la santé de l'adolescente sur l'exercice de l'autorité parentale.

Au sujet de la vaccination contre le Covid-19 des jeunes de 12 à 17 ans, Benjamin Pitcho s'interroge: «Cela pose la question de ce qu'est un acte usuel, de ce qu'est la sauvegarde de la santé de l'enfant.»

Des recours possibles pour les jeunes?

Le Dr Franck Clarot, médecin légiste et radiologue, membre du collectif Du Côté de la Science, explique que la difficulté repose sur l'évaluation du rapport bénéfice-risque des vaccins contre le Covid-19 injectés à une population adolescente. «Il n'y a globalement pas d'effets secondaires du vaccin chez les adolescents. Il existe de rares cas de myocardites chez les garçons, mais elles sont de bon pronostic», expose-t-il.

Il poursuit: «De l'autre côté, on ne peut pas dire que la vaccination soit absolument urgente pour les jeunes sans comorbidités à titre individuel. Cela dit, il existe aussi chez les ados des cas de Covid longs, qui ne sont pas sans conséquences. Et le bénéfice collectif est important, car vacciner les adolescents permet de compenser le refus vaccinal de certains adultes, mais aussi d'éviter, à la rentrée, des fermetures de classe qui impactent la vie sociale et scolaire.»

Franck Clarot regrette qu'«à ne pas vouloir braquer les antivax et les hésitants, le gouvernement en est venu à un compromis compliqué, tout en poursuivant sa politique d'attestation en œuvre dès le début de la pandémie». Par «compromis compliqué», on entendra le manque de logique consistant à refuser à un jeune comme Nathan, capable d'exprimer son consentement libre et éclairé, le droit d'être vacciné.

En effet, selon la loi Kouchner du 4 mars 2004: «L'information devant être délivrée aux mineurs ou majeurs sous tutelle doit être donnée aux titulaires de l'autorité parentale ou au tuteur, sauf si les personnes concernées sont en mesure de comprendre elles-mêmes l'information et ainsi de participer à la prise de décision.» Pour le médecin, force est de reconnaître que la situation est un «sac de noeuds»: «Je me demande ce que vont faire les soignants face à un jeune porteur de comorbidités qui va arriver au centre de vaccination sans autorisation parentale», nous confie-t-il.

Mais existe-t-il, dans les textes, quelque chose pour ces jeunes volontaires dont les parents ne veulent pas signer conjointement l'attestation? Y a-t-il un recours possible? «En théorie, oui», affirme Benjamin Pitcho en invoquant l'article L1111-5 du Code de la santé publique: «Par dérogation à l'article 371-2 du Code civil, le médecin peut se dispenser d'obtenir le consentement du ou des titulaires de l'autorité parentale sur les décisions médicales à prendre lorsque le traitement ou l'intervention s'impose pour sauvegarder la santé d'une personne mineure, dans le cas où cette dernière s'oppose expressément à la consultation du ou des titulaires de l'autorité parentale afin de garder le secret sur son état de santé. Toutefois, le médecin doit dans un premier temps s'efforcer d'obtenir le consentement du mineur à cette consultation.»

Ainsi, un médecin pourrait procéder à un acte nécessaire à la sauvegarde de la santé de l'enfant sans l'autorisation des parents. «En pratique, dans les centres de vaccination, cela ne risque pas de se passer aussi simplement, avertit l'avocat, mais je pense qu'au nom de la sauvegarde de la santé de l'enfant –qui est le plus important, cela pourrait se défendre.» Peut-être les jeunes auront-ils alors besoin de cas de jurisprudence, afin de pouvoir s'affranchir de l'autorisation de leurs parents.

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