Politique

Éric Zemmour, Premier ministre de Marine Le Pen?

Candidat, pas candidat en 2022? À dessein, le polémiste d'extrême droite, plusieurs fois condamné, laisse planer le doute avec une stratégie à double fond.

Éric Zemmour pose durant un shooting photo à Paris, le 22 avril 2021. | Joël Saget / AFP
Éric Zemmour pose durant un shooting photo à Paris, le 22 avril 2021. | Joël Saget / AFP

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Ce qui est improbable n'est pas toujours impossible. Surtout en politique. Avant sa victoire surprise de 2016, l'entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche apparaissait, à beaucoup d'observateurs, comme faisant partie du domaine de la politique-fiction. Et pourtant, cela s'est produit. En Europe et dans le monde, d'autres personnages improbables se sont vus propulsés dans les sphères du pouvoir par la volonté des électeurs.

Comédien, humoriste et homme de télévision, Volodymyr Zelensky est ainsi devenu, en 2019, chef de l'État en Ukraine. Dix ans avant lui, un autre comédien et humoriste, Beppe Grillo, avait lancé en Italie un parti populiste baptisé Mouvement 5 étoiles, qui remporta un quart des voix dans les deux chambres du Parlement aux élections générales de 2013. Animateur de télévision, homme d'affaires et, par ailleurs, milliardaire, Donald Trump a été le 45e président des États-Unis de janvier 2017 à janvier 2021. Une telle probabilité existe-t-elle en France?

En tout cas, un homme, pas particulièrement humoriste mais très à l'aise dans ses propos sur la chaîne de télévision en continu qui l'emploie, laisse planer le doute depuis plusieurs mois sur son éventuelle participation à l'élection présidentielle de 2022. C'est Éric Zemmour. Il est également collaborateur du Figaro.

Le polémiste d'extrême droite organise sa communication

Connu pour ses différentes condamnations dont toutes ne sont pas définitives –provocation à la discrimination raciale en 2011, provocation à la haine religieuse envers les musulmans en 2018, amende de 10.000 euros pour injures et provocation à la haine en septembre 2020–, il a aussi fait condamner son employeur par le CSA, en mars 2021, pour des propos qu'il avait tenus dans son émission sur CNews.

Professionnel rompu aux exercices télévisées, ce polémiste d'extrême droite sait également parfaitement organiser la communication et la non-communication autour de son éventuelle candidature à la prochaine consultation présidentielle. Au point que la société des journalistes du Figaro s'en est émue auprès de la direction du quotidien. Ce n'est pas la première fois qu'elle manifeste de l'inquiétude à son sujet. Elle avait déjà eu l'occasion de saisir la direction du journal conservateur afin de lui signifier que les salariés de l'entreprise ne souhaitent pas être associés aux «provocations» de leur collègue.

Il est probable que l'intéressé n'en a cure, selon une expression du XIe siècle qu'il doit affectionner! Il sait qu'il peut surfer sur sa popularité dans une partie de l'électorat qui représente le noyau dur de la droite, celle qui se baptise elle-même «droite assumée», et dans une frange de la droite extrême qui pourrait être attirée par un discours lepéniste débarrassé de l'habillage de la dédiabolisation. Compte tenu de son audience télévisée, de la mansuétude politique dont il bénéficie sur la chaîne qui accueille ses diatribes visant les musulmans et des précédents américain, ukrainien ou italien, entre autres, dont il pourrait penser se prévaloir, Zemmour rêve donc à la présidentielle... en laissant les autres l'évoquer pour lui.

En février, un sondage lui donnait 17% d'intentions de vote

Ainsi, un sondage réalisé par l'IFOP en février 2021 envisageait sa candidature comme seule porteuse des espoirs électoraux de l'extrême droite à l'élection présidentielle. C'est-à-dire sans la présence de sa représentante naturelle actuelle, Marine Le Pen, la fille du cofondateur du Front national en 1972, Jean-Marie Le Pen. Le résultat de ce scénario de politique-fiction, en aucun cas prédictif, précisait l'institut, pouvait lui monter à la tête puisque le polémiste rassemblait alors 17% des intentions de vote plus d'un an avant l'échéance réelle. Cela le plaçait loin derrière Emmanuel Macron (31%) mais à une portée d'arbalète de Xavier Bertrand (21%).

Sondage IFOP, février 2021.

Dans le détail, l'électorat attiré par cette candidature était plus masculin que féminin (ce qui n'est pas très étonnant au vu de ses tirades anti-féministes), candidature plus appréciée dans la tranche d'âge 50-64 ans, plus solide dans les catégories «ouvrier» ou «chômeur», plus présente dans les villes inférieures à 100.000 habitants. Zemmour puisait ses intentions de vote essentiellement chez les électeurs du Rassemblement national (RN) ainsi que, dans l'ordre, chez ceux qui avaient voté Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et François Fillon au premier tour de la présidentielle de 2017. Enfin, un partie des catholiques non pratiquants ne se montraient pas insensible au personnage, selon les données analysées par l'IFOP.

S'il ne faisait pas, en intentions de vote, le plein des voix rassemblées par la présidente du parti d'extrême droite, Zemmour pouvait quand même se prendre à rêver et nourrir l'espoir de ses partisans de le voir se lancer dans la compétition. Au risque, pour lui, d'être devancé par un représentant de la droite –Bertrand, en l'espèce– au premier tour et d'être ainsi éliminé du second, en remettant en selle une droite qui peine à s'immiscer dans le duel entre le chef de l'État et son adversaire de 2017. Ce scénario est évidemment inenvisageable, aujourd'hui et demain, car on voit mal les raisons qui pousseraient Marine Le Pen à renoncer compte tenu de son solide socle actuel.

En présence de Marine Le Pen, il ne totalise plus que 5,5%

D'autant qu'un autre sondage IFOP, tout chaud, de juin 2021 peut lui faire l'effet d'une douche froide. Plus ancrée dans la réalité, cette enquête prend en compte les candidatures de Le Pen et de Zemmour. Et les choses ne se présentent plus du tout de la même manière pour le polémiste de CNews. Les intentions de vote en sa faveur tombent à 5,5% (ce qui n'est pas un score négligeable puisqu'il le met au niveau de la candidate socialiste, Anne Hidalgo, et du candidat écologiste, Yannick Jadot) alors que celles concernant la présidente du RN restent stables à 28%, selon un adage élaboré en son temps par Le Pen père assurant que «les Français préféreront toujours l'original à la copie».

Sondage IFOP, juin 2021.

D'où viennent donc les intentions de vote de Zemmour? Pour partie, de candidats dont le score est plus marginal comme Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate devenu La voie du peuple (VIA) en 2020, ou Jean Lassalle, président du parti Résistons! et candidat à la dernière présidentielle (1,21% des suffrages exprimés). Mais surtout de l'électorat de la droite républicaine représentée à l'Assemblée nationale et de François Fillon de 2017.

Il recueille, précise l'IFOP, les intentions de vote de 13% de sympathisants du parti Les Républicains. Sa présence fait reculer Bertrand qui passe de 15% dans une enquête IFOP de mai 2021 à 13,5% dans celle de juin. Par ailleurs, il grappille ici et là dans l'électorat flottant d'autres candidats et probablement, aussi, chez des abstentionnistes sensibles à ses propos fondés très largement sur l'exclusion.

Cette base électorale peut-elle définir une stratégie pour Zemmour? Peut-on être bateleur d'estrade ou avoir la grosse tête, penser que l'improbable peut atteindre le possible, s'imaginer dans le costume d'un président de la République et ne pas regarder la réalité des fondamentaux en face? La place qu'occupe Marine Le Pen dans l'espace politique et la solidité de son électorat qui a la foi du charbonnier l'empêchent de penser sérieusement à une possible accession à l'Élysée.

Son entourage, bien évidemment, l'incitera à imaginer le contraire et lui-même fera en sorte de faire planer le doute le plus longtemps possible afin de pouvoir profiter de sa double casquette de chroniqueur de télévision ainsi que du Figaro et de candidat potentiel à la présidentielle. Ce double jeu ne serait pas sans poser quelques petits problèmes à ses employeurs dans l'équilibre des temps de parole pour la partie audiovisuelle et de nature déontologique pour la partie presse écrite. Il pourrait aussi faire réagir le CSA qui a déjà remonté les bretelles de CNews sur le cas Zemmour.

Un avantage et un inconvénient pour la présidente du RN

En réalité, il n'est pas illégitime de se demander s'il ne prépare pas, en sous-main, une autre partition, en visant non pas l'Élysée mais en fantasmant une nomination à l'hôtel Matignon. Sans doute conscient, malgré tout, de l'improbabilité d'être qualifié pour le second tour de la présidentielle et donc d'accéder, de façon hypothétique, à la magistrature suprême, Zemmour pourrait jouer, s'il se présentait, une sorte de Dupont-Aignan dans une stratégie à double fond. C'est-à-dire faire comme le président de Debout la France en 2017: se présenter pour peser sans aucun espoir d'être élu , puis négocier un poste de Premier ministre avec Marine Le Pen, en échange d'un soutien au second tour, dans l'hypothèse de sa victoire présidentielle.

Un tel montage aurait, au moins, un avantage et un inconvénient pour la candidate d'extrême droite. L'avantage serait la réserve potentielle de voix sur laquelle elle pourrait compter avec Zemmour et Dupont-Aignan, le premier devançant le second dans le sondage IFOP de juin. Ce bloc de la droite extrême rassemble 37% des intentions de vote au premier tour, ce qui ne s'est jamais vu jusqu'ici dans une enquête sur l'élection présidentielle. Il met en évidence de façon criante l'extrême droitisation de la société française puisque tous les candidats et candidates de gauche flanqués de l'extrême gauche (Arthaud, Poutou, Roussel, Mélenchon, Hidalgo et Jadot) totalisent... 23% des voix.

L'inconvénient pour Marine Le Pen est l'assimilation qui pourrait être faite, selon l'intéressée, entre elle-même et Zemmour. «La seule crainte que je peux avoir, c'est que les propos qui sont souvent très radicaux, et que je ne partage pas avec [lui], puissent être assimilés aux miens», a-t-elle déclaré récemment dans un entretien accordé à un média de La Réunion (à partir de 9'30 dans la vidéo ci-dessous).

 

L'hypothétique réhabilitation d'un front républicain

Le rejet de cette assimilation entre dans la stratégie de respectabilité développée par la candidate d'extrême droite. Une stratégie elle-même battue en brèche par la mise en évidence de propos anciens, racistes et antisémites, tenus sur les réseaux sociaux par des candidats et candidates du Rassemblement national aux élections régionales et départementales (20 et 27 juin). Certains d'entre eux se sont vus retirer l'investiture octroyée par le RN.

Par contrecoup, cette assimilation de Le Pen à Zemmour pourrait réactiver le mécanisme du front républicain dont une partie de la gauche et de la droite estime qu'il n'a plus lieu d'être. Mais la candidature d'un multirécidiviste plusieurs fois condamné a-t-elle lieu d'être? Ce ne serait pas la moindre des extravagances, mais l'improbable n'est pas toujours le plus impossible.

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