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Pour Joe Biden, le plus dur commence maintenant

Les difficultés s'accumulent sur plusieurs fronts: la campagne de vaccination ralentit, les négociations avec le Congrès s'enlisent et les dossiers internationaux s'accumulent.

Joe Biden au Veterans Memorial Park lors du Memorial Day, le 30 mai 2021 à New Castle (Delaware). | Brendan Smialowski / AFP
Joe Biden au Veterans Memorial Park lors du Memorial Day, le 30 mai 2021 à New Castle (Delaware). | Brendan Smialowski / AFP

Temps de lecture: 5 minutes

Comparé à Franklin Roosevelt par la presse, salué par l'aile gauche démocrate et félicité pour l'organisation de la campagne de vaccination aux États-Unis, Joe Biden connaît un état de grâce lors de ses cent premiers jours à la Maison-Blanche. Hyperactif, il enchaîne les signatures de décrets –executive orders– et fait adopter par le Congrès un grand plan de soutien à l'économie, estimé à 1.900 milliards de dollars, très favorable aux classes populaires et moyennes ainsi qu'aux petites et moyennes entreprises.

Le nouveau président américain, conscient de la nécessité de réformer son pays, poursuit sur sa lancée et annonce dans la foulée vouloir investir 2.200 milliards pour moderniser les infrastructures américaines ainsi que 1.800 milliards pour soutenir les familles. Pour le financement, Joe Biden évoque une réforme fiscale incluant notamment une hausse de l'impôt sur les sociétés et sur les revenus des plus aisés ainsi qu'une taxation minimale mondiale des multinationales.

À l'international, le locataire de la Maison-Blanche prône un retour du multilatéralisme et s'astreint à rassurer ses alliés après quatre années mouvementées.

Si tout se semblait jusque-là se dérouler parfaitement, la réalité du pouvoir rattrape le nouveau président. Les difficultés s'accumulent désormais sur plusieurs fronts: la campagne de vaccination connaît un ralentissement depuis le début du mois de mai, les négociations avec le Congrès s'enlisent et les dossiers internationaux s'accumulent.

Vaccination: une seconde phase plus complexe

De décembre 2020 à mai 2021, plus de 290 millions de doses des vaccins contre le Covid-19 ont été administrées aux États-Unis. Au 7 juin, plus d'un adulte américain sur deux est pleinement vacciné et de même, plus de la moitié de la population l'est au moins partiellement. Ces chiffres impressionnants viennent récompenser les efforts de la nouvelle administration américaine qui a fait de la résolution de la crise sanitaire sa priorité.

Cependant, depuis plusieurs semaines, le rythme de la vaccination tend à ralentir alors même que tous les Américains de plus de 12 ans peuvent en bénéficier sans délai ni condition. Lors de la semaine du 11 avril, la moyenne quotidienne de doses administrées était de plus de trois millions. Un mois plus tard, c'est moitié moins. Le seuil d'immunité collective est pourtant loin d'être atteint. Plusieurs dispositifs, promus ou soutenus par la Maison-Blanche, ont donc vu le jour pour inciter les plus jeunes et les plus sceptiques à se faire vacciner afin d'atteindre l'objectif de Joe Biden: rouvrir entièrement le pays le 4 juillet prochain, jour de fête nationale.

«Nous encourageons les États à faire preuve de créativité.»
Andy Slavitt, conseiller principal de la Maison-Blanche pour la lutte contre le Covid-19

Fin avril, le président américain annonce donc la fin du port du masque en extérieur pour les personnes vaccinées ainsi que la mise en place d'une plateforme en ligne –GETVAX– pour faciliter l'accès à la vaccination. Un crédit d'impôt spécial, à destination des entreprises, est créé pour permettre aux employés de bénéficier de congés payés en cas de rendez-vous sur le temps de travail ou d'effets secondaires. Quelques jours plus tard, Joe Biden officialise un partenariat avec les compagnies VTC Uber et Lyft afin d'offrir le trajet aux personnes qui se rendent dans un centre de vaccination. Mi-mai, il promeut le slogan «Vaxxed or Masked» en déclarant la fin de l'obligation du port du masque en intérieur pour les personnes vaccinées.

Toutes ces mesures incitatives ont été complétées par des initiatives des villes et des États. Il est par exemple possible de remporter un million de dollars dans l'Ohio ou de se faire financer une partie de ses études. En Virginie-Occidentale, les résidents âgés de 16 à 35 ans qui se font vacciner ont droit à cent dollars (82 euros). Du côté de l'État de New York, cinquante jeunes vaccinés ayant entre 12 et 17 ans seront tirés au sort dans les semaines qui viennent pour obtenir une bourse d'étude.

L'administration Biden soutient pleinement ces programmes: «Nous encourageons les États à faire preuve de créativité», a fait savoir Andy Slavitt, conseiller principal de la Maison-Blanche pour la lutte contre le Covid-19. Réussir cette seconde phase de la campagne vaccinale est essentiel pour l'exécutif qui doit maintenant concentrer ses efforts sur la reconstruction du pays.

Le programme de Joe Biden à l'épreuve du Congrès

Il a fallu à peine plus d'un mois pour que le Congrès adopte le plan de sauvetage de l'économie de 1.900 milliards de dollars voulu par Joe Biden. L'urgence liée à la crise sanitaire et l'utilisation de la technique législative du Budget Reconciliation, pour contourner une probable obstruction des élus républicains, ont permis d'agir rapidement. Avec une majorité au Sénat trop faible pour avoir les coudées franches, le président souhaite des réformes bipartisanes.

Joe Biden, qui a promis de réconcilier l'Amérique, multiplie les appels du pied et les réunions avec les sénateurs républicains modérés pour tenter de trouver des compromis et éviter les passages en force. Jusqu'à présent, aucun accord n'a pu être conclu car les contre propositions républicaines sont jugées trop peu ambitieuses par la Maison-Blanche. L'équation semble impossible: maintenir l'unité démocrate en satisfaisant l'aile gauche et l'aile centriste du parti tout en arrachant le soutien d'une dizaine d'élus de l'opposition. Joe Biden va donc devoir trancher dans le vif rapidement pour ne pas décevoir ses électeurs, d'autant plus que le temps ne joue pas en sa faveur.

Les élections de mi-mandat, généralement favorables à l'opposition, ont lieu dans moins d'un an et demi. En cas de perte de majorité dans l'une des deux chambres, le programme du Démocrate deviendra inapplicable. Barack Obama en avait fait l'amère expérience lors de son premier mandat et Joe Biden, vice-président à l'époque, était aux premières loges pour constater l'impuissance politique du 44e président les années suivantes.

Dans un édito de The Week, le journaliste Ryan Cooper dénonce «un enlisement dans de fausses négociations» et tire la sonnette d'alarme: «Cette hésitation pourrait ruiner la présidence de Biden.» Dans un contexte de radicalisation du Parti républicain et du retour prochain de Donald Trump, difficile d'imaginer qu'une entente avec un président démocrate intervienne dans un futur proche. Avancer en rang serré, en tentant de limiter l'obstruction de l'opposition, paraît donc être la seule voie possible.

Des dossiers internationaux à haut risque

Depuis les années Obama, les États-Unis ont réorienté leur politique étrangère en direction de l'Asie, plus particulièrement de la Chine. Sur ce point, Donald Trump a poursuivi la politique de son prédécesseur malgré un changement de ton et de stratégie. La Chine reste le défi central de la politique étrangère de l'administration Biden: «C'est le plus important test géopolitique de ce siècle», selon le secrétaire d'État Antony Blinken. Pour parvenir à contenir la montée en puissance de l'empire du Milieu, le président démocrate compte sur ses partenaires européens. Apaiser les tensions avec l'Union européenne est donc impératif, et c'est pourquoi Joe Biden tente de renouer des liens de confiance avec le Vieux Continent depuis son arrivée à Washington.

Si le Moyen-Orient n'est plus une priorité pour les États-Unis, comme l'a montré l'attentisme américain lors du dernier conflit entre Israël et le Hamas, le retour de l'Iran dans l'accord de Vienne reste l'autre défi principal que s'est fixé le Démocrate. Marqueur important de la politique étrangère de Barack Obama, mis à mort par Donald Trump, il permettrait aux États-Unis de poursuivre leur désengagement de la région. La partie ne s'annonce pas facile malgré l'apparente volonté des deux camps. Les prochaines élections en Iran, où les radicaux semblent favoris, pourraient venir compliquer un peu plus les négociations.

«C'est le plus important test géopolitique de ce siècle.»
Le secrétaire d'État Antony Blinken à propos des relations sino-américaines

Enfin, la Russie reste au cœur des préoccupations américaines tant les contentieux s'accumulent depuis 2015 et les soupçons d'ingérence russe au cours de l'élection présidentielle de 2016. Joe Biden et Vladimir Poutine se rencontreront pour la première fois le 15 juin en terrain neutre, à Genève. Difficile d'imaginer qu'un nouveau reset soit possible entre les deux nations. Il faudra pourtant trouver des terrains d'entente afin de réenclencher un dialogue constructif et tenter ainsi de limiter le rapprochement russo-chinois. À ces dossiers, s'ajoutent la gestion mondiale de la crise sanitaire et du changement climatique, le contrôle des flux migratoires en provenance d'Amérique centrale ou encore le retrait des soldats américains d'Afghanistan.

Avec un très grand nombre de défis à relever sur les scènes politiques intérieure et extérieure, la présidence de Joe Biden s'annonce être l'une des plus difficiles de l'histoire récente des États-Unis.

Retrouvez l'actualité politique américaine chaque mercredi soir dans New Deal, le podcast d'analyse et de décryptage de Slate.fr en collaboration avec l'IFRI et TTSO.

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