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Il faut faire évoluer nos stratégies de lutte contre le harcèlement scolaire

Faire intervenir un tiers dans le cercle vicieux des relations agresseur/victime est ce qui peut sembler le plus logique de prime abord. Mais est-ce vraiment efficace à long terme?

Lorsque la victime essaie de se faire oublier de son harceleur (en rasant les murs, en se cachant...), elle lui envoie implicitement le message qu'il peut venir l'agresser sans rien risquer. | Pixabay <a href="https://www.pexels.com/photo/close-up-of-teenage-girl-256657/">via Pexels</a>
Lorsque la victime essaie de se faire oublier de son harceleur (en rasant les murs, en se cachant...), elle lui envoie implicitement le message qu'il peut venir l'agresser sans rien risquer. | Pixabay via Pexels

Temps de lecture: 4 minutes

Depuis 2011, le harcèlement scolaire est devenu un sujet de préoccupation politique et social majeur. Et pour cause, un enfant sur dix environ est victime de ce fléau. Pour combattre ce phénomène, les institutions utilisent deux types de stratégies.

La première consiste à mener une action de prévention afin de sensibiliser les élèves aux conséquences de ce type de comportement (décrochage scolaire, phobie scolaire, troubles psychosomatiques, dépression, suicide). Selon une méta-analyse, cette approche ferait diminuer les actes de harcèlement de 20%.

Pour faire face aux 80% restants, les institutions ont choisi comme seconde approche la stratégie interventionniste. Notre propos est de montrer que l'intervention d'un tiers dans la relation de harcèlement pour la faire cesser, bien que logique de prime abord, peut se montrer contre-productive lorsqu'on adopte un regard systémique.

Des comportements d'opportunité

La stratégie interventionniste revêt quatre formes principales:

 

  • La sanction du harceleur reste la plus pratiquée dans la plupart des pays même si l'on sait qu'elle ne génère qu'une adhésion de surface et que le harcèlement se poursuit sous des formes plus difficilement détectables.

  • La méthode Pikas ou méthode des préoccupations partagées cherche à mobiliser l'empathie du ou des auteurs de harcèlement afin de les amener à changer de comportement.

  • Dans la même lignée, les pratiques réparatrices cherchent à réparer le mal qui a été fait et à résoudre le conflit en encourageant le ou les harceleurs à reconnaître les conséquences de leurs actions sur la ou les victimes.

  • Enfin, la mobilisation d'un groupe d'élèves de soutien, constitué à l'initiative d'un adulte, pour venir en aide à la victime sous différentes formes (aide aux devoirs, présence à ses côtés pendant la récréation...).

Plusieurs constats nous amènent à relativiser l'intérêt d'avoir recours à ces méthodes. Le premier tient au fait qu'en intervenant dans la situation de harcèlement –ce qui est tout à fait compréhensible– on envoie le signal au harceleur et à sa victime que cette dernière n'est pas capable de se défendre seule et donc l'agresseur peut continuer sans risque.

Même si le harcèlement s'arrête après l'intervention d'un tiers, la victime n'aura pas réalisé qu'elle est capable de mobiliser elle-même des ressources internes pour faire face à l'agression. Lorsqu'une nouvelle situation de ce type se présentera, elle sera tout autant démunie que la fois précédente. C'est ce qui explique en partie le fait que les enfants harcelés qui changent d'établissement scolaire se font souvent harceler à nouveau.

 

Il est important de comprendre qu'il n'y a pas de profil de harcelé, contrairement aux harceleurs. L'ensemble des enfants sont «testés» sur le plan relationnel quand ils arrivent à l'école, et ceux qui présentent une vulnérabilité à ce moment-là ont plus de risques d'être harcelés. Les comportements de harcèlement sont des comportements d'opportunité.

Profils manipulateurs

Le second constat se situe du côté des harceleurs, la recherche distinguant deux profils. Nous avons, d'une part, le «harceleur réactif» qui présente des déficits sur le plan des compétences sociales, ce qui l'amène à attribuer des intentions hostiles de la part de ses pairs et à y réagir avec une agressivité excessive. À l'opposé, nous retrouvons le «harceleur stratégique» qui possède des compétences sociocognitives élevées qu'il utilise à des fins de manipulation et de domination d'autrui.

Certains chercheurs soutiennent la thèse selon laquelle le harcèlement a pour objectif d'acquérir une position sociale dominante dans le groupe de pairs. Qualifié également de «populaire», ce type de profil n'a aucun intérêt à cesser son comportement puisqu'il est à l'origine de sa popularité. Cela est corroboré par une étude qui met en évidence que les harceleurs stratégiques sont plus difficilement réceptifs aux interventions.

Enfin, au-delà du statut social acquis grâce au harcèlement, la faible réceptivité à ce type d'approches –notamment celles qui préconisent de mobiliser l'empathie du harceleur, à l'instar de la méthode Pikas– peut aussi s'expliquer par le fait que les auteurs (réactifs ou stratégiques) de ce type de comportements présentent des carences en empathie affective (la capacité à expérimenter l'émotion d'une autre personne) et font preuve d'une forme de désengagement moral qui leur permet de reléguer au second plan leurs principes au profit d'autres impératifs.

L'ensemble de ces faits nous amène à privilégier une autre approche qui consiste à travailler avec l'élève victime de harcèlement afin qu'il développe les ressources qui lui permettront de mettre fin lui-même à la situation d'agression.

Cette approche permet d'éviter les conséquences négatives d'une confrontation avec le harceleur et également de développer la confiance en soi de la victime. Surtout, elle a potentiellement une plus grande chance de réussite car la personne harcelée est souvent l'acteur le plus motivé pour changer dans le système.

Expérience émotionnelle correctrice

Pour ce travail avec l'élève victime, nous mobilisons les outils de la systémie brève et stratégique élaborés par l'école de Palo Alto. Cette approche nous amène à considérer la situation de harcèlement comme une pathologie interactionnelle qui s'incarne dans un cercle vicieux relationnel dans lequel chaque acteur joue un rôle pour entretenir le statu quo.

Cela peut paraître paradoxal, voire injuste, de considérer que la victime a une part de responsabilité dans la situation. Pour autant, ce que fait la victime pour essayer de résoudre son problème ne fait que l'alimenter. «Le problème, c'est la solution», pour reprendre les termes de Paul Watzlawick, grande figure de l'école de Palo Alto. C'est-à-dire que lorsque la victime essaie de se faire oublier de son harceleur (en rasant les murs, en baissant la tête, en se cachant...), elle lui envoie implicitement le message qu'il peut venir l'agresser parce qu'il ne risque rien.

Cette approche systémique préconise d'identifier tout ce que met en place l'élève harcelé pour faire cesser la situation. Cette liste nous permet ensuite d'en trouver le thème général, à savoir quel est le message commun à toutes ses tentatives de solution. Dans le cas du harcèlement, il s'agit souvent de: «Arrête mais si tu continues, il n'y aura pas de conséquences de ma part pour toi». À partir de là, il s'agit d'identifier le thème exactement opposé, à 180 degrés, qui pourrait être dans le cas qui nous préoccupe: «Continue et contemple les conséquences négatives de ma part».

Ce thème à 180 degrés nous permet de créer une tâche, une action concrète, que l'élève harcelé mettra en œuvre lorsqu'il se retrouvera confronté à son harceleur. Cette tâche est coconstruite avec l'enfant ou l'adolescent et tient compte du contexte ainsi que des ressources propres de ce dernier.

La mise en œuvre de ce comportement concret fera vivre à l'enfant ou l'adolescent une expérience émotionnelle correctrice, c'est-à-dire une expérience dont l'émotion et les sensations viendront changer sa perception de la réalité («je peux me défendre seul») et donc sa réaction. Les fondateurs de l'école de Palo Alto considèrent que cette expérience constitue le seul levier dont la nature humaine dispose pour construire et déconstruire une représentation.

 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

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