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En pleine pandémie, le Maroc veut révolutionner sa protection sociale

Sans attendre la sortie de la pandémie de Covid-19, le roi du Maroc vient de lancer une grande réforme structurelle tendant à étendre la couverture sociale obligatoire à l'ensemble d'une population qui en était jusque-là en bonne partie exclue.

Un médecin raccompagne un patient guéri du Covid-19, à Rabat en avril 2020. | Fadel Senna / AFP
Un médecin raccompagne un patient guéri du Covid-19, à Rabat en avril 2020. | Fadel Senna / AFP

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Disposant, à la différence de ses voisins du Maghreb, d'une base économique dynamique et diversifiée, le Maroc accusait jusque-là un retard significatif en matière de protection sociale sur l'Algérie et la Tunisie. Depuis des décennies, il s'agissait là d'un des principaux points faibles de ce que beaucoup ont qualifié de «miracle marocain».

Or, le 14 avril dernier, conformément à ce qui avait été annoncé en juillet 2020, le roi Mohammed VI a lancé une réforme structurelle d'envergure destinée à refondre l'ensemble de la protection sociale dans le pays.

Une protection qui, depuis 2014, dans le domaine de la maladie, ne couvre qu'une moitié de la population à travers deux régimes, celui de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) et celui du Régime d'assistance médicale (RAMED) octroyant aux plus défavorisés –moins de 500 euros de revenus annuels– la gratuité des consultations et des soins en hôpital.

Parallèlement, un régime d'assurance-chômage assure une indemnité de perte d'emploi aux seuls travailleurs salariés dans des conditions assez restrictives (plus de deux ans de travail effectif sur les trois dernières années) et à un niveau modeste d'indemnisation (260 euros par mois avec une extension possible dans la limite de 820 euros). Quant au régime de retraite, il ne permet aux salariés que de percevoir une pension mensuelle maximale de 390 euros. Enfin, les allocations familiales ne dépassent pas 28 euros par enfant jusqu'au troisième enfant (40 euros en Algérie), et disparaissent quasiment à partir du quatrième.

Quatre étapes jusqu'en 2025

Une protection peu généralisée et peu généreuse donc, que le pouvoir royal entend considérablement améliorer en quatre temps à travers des lois-cadres. Première étape, en 2021-2022, la généralisation de l'assurance-maladie obligatoire, qui va bénéficier désormais aux 11 millions de bénéficiaires de l'assistance médicale RAMED ainsi qu'à tous les travailleurs non-salariés, commerçants, artisans, agriculteurs, professions libérales, qui représentent également, avec leur famille, près de 11 millions de personnes. Au terme de ce processus, près de 85% de la population devrait ainsi être couverte, soit une proportion équivalente à ce qui existe en Algérie et Tunisie.

Une deuxième étape, en 2023-2024, visera à généraliser les allocations familiales jusque-là réservées aux seuls salariés. À ce stade cependant, il n'est pas précisé si l'allocation par enfant sera augmentée. Troisième étape, en 2025, l'extension du régime de retraite aux travailleurs indépendants qui, souvent, à moins de cotiser à un régime de retraite complémentaire, ne perçoivent qu'un minimum vieillesse particulièrement congru (à peine plus de 90 euros par mois). Et puis, cette même année 2025 sera également celle de l'extension aux non-salariés de l'indemnité de perte d'emploi.

L'ensemble de ces réformes devrait exiger annuellement, lorsqu'elles auront été mises en place, un effort financier de 51 milliards de dirhams, soit un peu plus de 4,7 milliards d'euros. Sur ce total, le budget de l'Etat supportera 23 milliards (2,1 milliards d'euros) ce qui équivaut à près de 7% des dépenses budgétaires de 2021. Ainsi, le royaume chérifien devrait combler son retard par rapport aux pays voisins. Un retard important: en 2018, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les dépenses de santé du Maroc n'excédaient pas 7,5% des dépenses totales, contre 10,7% en Algérie et 13,6% en Tunisie.

Améliorer l'offre médicale

L'élargissement de la couverture maladie au Maroc risquerait cependant de rester une mesure en partie symbolique si l'offre médicale n'était pas considérablement améliorée. En ce qui concerne le nombre de médecins, le royaume accuse un net retard par rapport à ses voisins: toujours selon l'OMS, le pays ne comptait dans la décennie 2010 que 7,3 médecins pour 10.000 habitants, contre 13 en Tunisie et 17 en Algérie.

Pour cette raison, la refonte de l'assurance maladie s'accompagnera d'une intensification des programmes de formation des médecins, de consolidation de leurs compétences médicales et, surtout, d'un renforcement des capacités médicales passant notamment par une ouverture accrue aux médecins étrangers, et un encouragement donné aux établissements de santé internationaux à investir au Maroc.

Quelle leçon à tirer de cette mini-révolution? D'abord que le Maroc a choisi de suivre une voie moyenne et originale entre, d'une part, une Europe occidentale développée dont le «welfare state» sophistiqué n'est pas sans peser sur son dynamisme économique et, d'autre part, les grands pays émergents dont l'obsession du rattrapage économique a largement fait oublier l'impératif du progrès social et de l'amélioration du bien-être des populations. Bien sûr, il reste beaucoup à faire mais, pour peu que les ambitions annoncées par le Maroc se réalisent, l'élan paraît prometteur.

Et puis, comment ne pas le souligner: à l'heure où les habitants d'une planète durement affectée par la pandémie se prennent à rêver d'un «monde d'après», le Maroc est l'une des rares nations à avoir saisi l'occasion de ce bouleversement inédit pour engager sans attendre des réformes structurantes.

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