Égalités / Santé

Pourquoi avons-nous une si mauvaise image de la ménopause?

Les représentations de la ménopause, souvent associée à l'idée de diminution de la valeur sociale des femmes, éclairent les rapports de domination à l'œuvre dans nos sociétés.

Les idées reçues autour de la ménopause traduisent bien souvent une domination masculine ancrée. | kizzzbeth <a href="https://www.flickr.com/photos/31403417@N00/5894754195">via Flickr</a>
Les idées reçues autour de la ménopause traduisent bien souvent une domination masculine ancrée. | kizzzbeth via Flickr

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La fertilité et la physiologie féminine ont, à travers les siècles, nourri de nombreuses croyances. Pour certains peuples, comme les Indiens Mohaves ou les Mayas, la fin de la fertilité est le signe d'un renouveau social et érotique pour les femmes. Mais ceux-ci font figure d'exception. Car dans l'imaginaire commun, ménopause rime avec vieillesse, et donc dévalorisation.

Daniel Delanoë est psychiatre et anthropologue, chercheur à l'Inserm 1018 et auteur de l'ouvrage Sexe, croyances et ménopause (Hachette, 2006). Pour lui, «les stéréotypes qui entourent l'arrêt de la fonction reproductive féminine laissent penser que les femmes ne sont plus vraiment femmes si elles ne peuvent plus donner la vie. Une fois ménopausées, leur statut social change, ce qui est un véritable indicateur des mécanismes de domination masculine qui s'exercent dans nos sociétés.»

Fertilités et infertilités à travers les époques

Dès l'Antiquité, les menstruations ont été perçues comme impures. Pline l'Ancien, écrivain et naturaliste du Ier siècle, prêtait même aux règles le pouvoir d'anéantir les cultures, d'aigrir le vin, écrivant dans son Histoire Naturelle que «la rage s'empare des chiens qui goûtent ce liquide». Pour autant, l'arrêt de la fertilité n'a pas joui de représentations bien plus flatteuses. Au Moyen Âge, les perceptions du vieillir au féminin ont donné naissance à la figure de la sorcière, vieille femme laide et dangereuse, cible prioritaire des chasses aux sorcières et exécutions ayant eu cours entre le XVe et le XVIIe siècle.

Jusqu'au XIXe siècle, le corps humain fut pensé en termes d'humeurs, des théories fondées sur la croyance que la santé reposait sur l'équilibre entre sang, phlegme, bile jaune et bile noire. Dans ce schéma, les menstruations étaient perçues comme un moyen d'éliminer un sang souillé, chargé de «virus acres et morbifiques». Le terme de «ménopause» fut formulé pour la première fois en 1821 par le médecin français Charles de Gardanne, un mot visant à nommer un phénomène biologique considéré comme un stade charnière dans l'existence de la femme.

«Dans la plupart des sociétés, la ménopause a été jugée comme un phénomène d'altération, de perte, comme si la fertilité féminine était la norme», souligne Daniel Delanoë. À la fin du XIXe siècle, les travaux de Charcot le menèrent à situer l'origine des troubles hystériques féminins dans les ovaires et à conclure qu'après la ménopause, le sang menstruel retenu par le corps pouvait provoquer des troubles mentaux, inflammations, cancers etc. Sangsues et saignées étaient alors préconisées aux femmes pour éliminer ce sang excédentaire.

Au XXe siècle, les théories humorales furent délaissées au profit des théories hormonales, introduisant l'idée que l'arrivée de la fertilité provoque des carences en œstrogènes. Un tournant qui amorça la prescription d'hormones aux femmes ménopausées. Devenus sujets à bien des débats, ces traitements peuvent être considérés comme le signe d'une société qui voit la ménopause comme le symptôme d'une affection à soigner. «Les médecins du XXe siècle ont repris à leur compte les représentations culturelles selon lesquelles une fois ménopausées, les femmes perdent leur jeunesse, leur féminité et leur pouvoir de séduction. Outre la volonté de traiter certains symptômes, la prise d'œstrogènes entend restituer aux femmes ces atouts supposément perdus, qui vont de pair avec la valeur que la société leur a amputé.» Ces stéréotypes contribuent à subordonner les femmes à leurs capacités reproductives, tout en appuyant la croyance globalement admise que leurs hormones administrent leurs corps comme leur psychisme.

Le carcan de la biologie

Dans Les âges de la vie, chromolithographies datées de 1900, les différents stades de l'existence de l'homme et de la femme sont représentés par des scénettes du quotidien. Elles montrent une femme déclinante et voûtée dès 50 ans, là où le corps de l'homme n'apparaît vieillissant qu'à partir de l'âge de 80 ans. Aujourd'hui, qu'en est-il? Dans certains cas, ces représentations ont évolué: «On constate que l'importance accordée à l'arrêt de la fertilité des femmes qui se trouvent en position de pouvoir, qu'il soit symbolique, économique ou politique, est devenue insignifiante. Cela nous montre à quel point le statut social permet, ou non, d'accéder à la construction d'une identité qui se situe hors des assignations sociales fondées sur le biologique, qui tendent à cantonner les femmes à l'espace domestique et à leurs fonctions de reproduction», précise Daniel Delanoë.

Un privilège, donc, réservé à une minorité de femmes et qui ne permet pas de réinventer efficacement les perceptions autour de l'âge des femmes. «Comme l'expliquait Simone de Beauvoir, sur le plan social, les femmes sont assignées à l'immanence, c'est-à-dire à leur réalité biologique. Les hommes, eux, ont accès à la transcendance, soit à la possibilité de sortir du champ défini par leur propre nature.»

La sexualité, fertilité puis l'infertilité des femmes sont sous contrôle médical, alors que les corps masculins sont dispensés de ces pratiques. Pourtant, les hommes de plus de 50 ans ne sont pas exempts d'une diminution de leur sécrétion hormonale: «Il n'y a pas d'arrêt complet de la fonction reproductive chez l'homme mais l'andropause se met en place. Ce processus de vieillissement progressif variable implique, entre autres, une diminution du taux de testostérone. Mais du fait de leur position dominante, ce phénomène de vieillissement différentiel des sexes protège les hommes du risque d'altération de leur valeur sociale.»

La ménopause: une nouvelle vie?

Aussi, cette stigmatisation de la ménopause ne doit rien au hasard. D'après Daniel Delanoë, sa fonction serait de protéger les hommes de la réalité de leur propre vieillissement. «Le plus souvent, les arguments d'ordre biologique viennent à la rescousse de l'ordre social. Les constructions culturelles qui entourent la ménopause détournent les hommes de l'idée de leur propre déclin. In fine, cette image de la fin du cycle ovarien comme marquant la finalité de l'existence sociale des femmes permet aux mécanismes de la domination masculine de se déployer en toute quiétude.» D'après le spécialiste, cette violence symbolique n'est pas sans conséquence sur la manière dont les femmes ressentent les symptômes liés à la ménopause.

Ne serait-il pas plus juste de considérer la fin de la fertilité féminine comme une simple transition physiologique? Car au fond, la ménopause ne marque pas tant une fin qu'un début, comme en témoigne la chercheuse Annette Keilhauer: «L'entrée dans la ménopause [qui s'accompagne souvent du] passage des enfants à l'âge adulte est vécue par certaines femmes comme une libération d'une conception restrictive de leur féminité, identifiée avec les rôles d'amante, d'épouse et de mère.»

D'autre part, ces représentations obsolètes sont au fondement du phénomène d'âgisme, terreau de discriminations aux niveaux professionnel, social et économique, qui frappe les femmes de plein fouet. Il serait donc bienvenu de réinventer les discours sur la ménopause, loin des constructions culturelles stigmatisantes, mais aussi d'interroger le rapport de notre société à l'âge et au vieillissement. Comme le suggère Laura Adler: «Il faudrait pratiquer une politique de reconnaissance, de dignité et d'inclusion à l'intérieur de notre société, comme un souffle vital, comme un fluide régénérant.»

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